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Anne-Sophie Picard, créatrice de Mon Labo Couture

Publié le 6 décembre 2022

Elle met des couleurs dans la grisaille normande… A 29 ans, cette Saint-Leusienne a réussi sa reconversion professionnelle à Caen, d’assistante qualité en industrie agroalimentaire à chef d’une entreprise individuelle de prêt-à-porter, sa passion. Preuve que les outils numériques peuvent permettre la création d’une micro-activité qui opère sur deux continents : du tissu acheté en Afrique à la vente en ligne, en passant par la confection 100 % fait-main en France.


Pouvez-vous vous présenter ?

Anne-Sophie Picard, 29 ans. J’ai grandi à La Chaloupe Saint-Leu et j’ai été scolarisée à l’école Notre Dame des Enfants (je me rappelle de chaque institutrice que j’ai eu, c’est drôle la mémoire !). Pendant mes années collège à La Chaloupe, j’ai eu l’opportunité d’aller en voyage en Australie et en Espagne (j’en suis fière et reconnaissante encore aujourd’hui). Après mon lycée à Stella, j’ai fait un DUT Génie Biologique à l’IUT de Saint-Pierre. Puis j’ai quitté La Réunion en 2013, à 20 ans : direction Caen en Normandie où j’ai validé une Licence Professionnelle puis un Master Microbiologie en 2016.

Racontez-nous vos débuts en métropole.

En arrivant en Métropole, j’étais persuadée que pour être ici, il fallait que je le mérite car tout le monde n’a pas cette opportunité. J’étais donc à 200 % dans mes études puis dans mon travail, pour prouver que j’avais le droit d’être là où je suis. J’ai beaucoup appris en observant, en imitant ce que les autres faisaient autour de moi pour m’intégrer. J’ai eu beaucoup de mal à échanger avec les autres les premières semaines, de peur que mon accent s’entende trop, ou que les autres ne me comprennent pas. Une remarque revenait souvent sur ma couleur de peau, la couleur bien blanc du yab les hauts... On me répétait "ah tu es réunionnaise, bah ça ne se voit pas…"

Voyage à la rencontre des fournisseurs de tissu en Côte d’Ivoire

Une anecdote ?

Un samedi d’octobre 2013, un mois après mon arrivée, je suis allée faire les courses au Carrefour proche de ma résidence étudiante... en jeans et en "savate deux doigts". J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi les gens me regardaient bizarrement. En octobre, c’est l’automne, il pleut, il commence à faire froid. On privilégie les bottines et les manteaux, pas les savates comme j’ai pu le faire … Finalement tout cela n’était que préjugés et idées reçues, car tout s’est bien passé. Au final, je suis très reconnaissante pour l’accueil que les Caennais m’ont réservé. Ils sont chaleureux, ouverts d’esprit et bons vivants. J’ai été adoptée longtemps avant que je me sente chez moi ici !

Avec Amandine en Côte d’Ivoire

Qu’avez-vous fait après votre diplôme ?

J’ai travaillé en tant qu’Assistante Qualité Agroalimentaire dans deux entreprises, avant de décider d’une reconversion professionnelle fin 2020 pour créer ma propre entreprise. Mon Labo Couture a été immatriculée en juillet 2022. Son activité : la confection de vêtements, accessoires et bijoux pour femmes. La particularité : je fais tout moi-même à partir de tissus très colorés. J’ai décidé de vivre de ma passion, de suivre mes rêves…

Pourquoi la couture ?

En tant que Réunionnaise, le mélange des cultures et des traditions fait partie de mon identité. J’ai passé une grande partie de mon enfance auprès de ma grand-mère maternelle, que j’accompagnais absolument partout, que je regardais cuisiner, faire des gâteaux, torréfier du café, tricoter et surtout coudre… Je pense que cette passion remonte à elle, et j’imagine qu’elle serait fière si elle était encore là... Heureusement elle m’accompagne dans mon cœur, c’est en la regardant faire que j’ai appris.

Coopérative des Tissérands de Bomizambo

Comment avez-vous réussi cette reconversion ?

Autodidacte, je n’avais aucune expérience professionnelle de la couture et de la mode en général. Amélie, de Reeft Leather Goods à Caen, a eu la gentillesse de m’accueillir pour un stage d’immersion en milieu professionnel en juin 2022. Ce stage m’a permis de compléter mon dossier et d’intégrer une formation en septembre : le CAP Métiers de la Mode et Vêtements Flous !

Racontez-nous votre rencontre avec Amandine, qui vous fournit en tissus.

Je suis tombée par hasard en février 2021 sur un Live Facebook d’une femme autoentrepreneure, Amandine, qui lançait sa boutique en ligne (Amagate wax) de vente de tissus wax. Nous avons appris à nous connaître virtuellement pendant plusieurs mois jusqu’à nous rencontrer physiquement en mai 2022... la veille d’un incroyable voyage pour la Côte-d’Ivoire d’où elle est originaire. J’ai eu le privilège de l’accompagner en Afrique, où j’ai été accueillie par ses proches comme un membre de la famille. J’ai pu découvrir une autre culture qui, pour mon plus grand bonheur, était sur plusieurs points similaires à la culture réunionnaise.

Coopérative des Tissérands de Bomizambo

J’ai surtout découvert l’envers du décor et tout le travail existant derrière son entreprise de vente de tissus. Pour le site amagate.fr nous sommes allées à Abidjan, sur le marché de Adjamé. Nous nous sommes aussi rendues dans les terres, à la rencontre de travailleurs extraordinaires qui tissent les pagnes traditionnels appelés baolé ou kita : la Coopérative des Tissérands de Bomizambo. Contribuer aussi à l’économie locale c’est important pour nous.

Coopérative des Tissérands de Bomizambo

Parlez-nous de votre matière première.

Le tissu Wax, coton de grande qualité à motifs colorés, représente l’identité culturelle de l’Afrique. Le wax que j’utilise est acheté à 80 % en Côte d’Ivoire par mon fournisseur de confiance basé en France (Picardie). En plus de l’histoire familiale derrière les tissus que j’achète, je suis sure de la qualité des motifs et des couleurs. Puis je fabrique moi-même tout ce qui est proposé à la vente sur mon site de vente en ligne. Et tout cela se passe à Caen, en Normandie (mon souhait est de mettre en avant le fait-main français !) Je souhaite proposer des produits de qualité qui vont durer dans le temps, à l’opposé de la fast-fashion fabriquée à l’autre bout du monde.

Tissus achetés en Afrique

J’ai créé moi-même ma boutique en ligne (200 heures de travail), elle me ressemble. En tant que microentreprise, je n’avais pas les moyens de passer par des développeurs professionnels. J’ai eu une période très intense : aller en formation, trouver un stage, coudre, créer, essayer des prototypes, se transformer en photographe de ses propres créations, traiter les photos, se transformer le weekend en développeuse informatique (bilingue parfois quand j’ai besoin d’assistance de développeurs étrangers), se former à tous les aspects juridiques du site et de la vente… Mais le résultat est là. Aujourd’hui je ne vends que ce qu’il me plaît de créer, les modèles sont fabriqués en pièces très limitées et parfois en pièce unique.

De quoi illuminer l’automne !

Avec le recul, que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

L’expérience de la mobilité est très enrichissante du fait des différents modes de vie que j’ai pu observer en Métropole, d’abord en tant qu’étudiante puis en tant femme dans la vie active. J’ai gagné en ouverture d’esprit. Je prends les choses avec beaucoup plus de recul et toujours en comparant avec ce que j’ai connu/appris à La Réunion. Après neuf ans passés ici, j’ai finalement compris que je n’avais rien à prouver, je devais juste trouver ma voie. Et quand j’ai un coup de mou, je me répète régulièrement ces deux phrases créoles : "pas kapab’ les mort sans essayé" et "ti lam ti lamp na rivé".

L’Écharpe Boréal que j’ai mise en ligne a été victime de son succès, tous les exemplaires ont été vendus en moins de 24 h !

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Ce qui me manque c’est le soleil ! Le peu de luminosité et de l’omniprésence de la pluie, le fait qu’il fasse déjà nuit à 17h30… c’est dur ! Heureusement j’ai des contacts avec mon frère, qui habite dans l’est de la France et un grand oncle et sa femme en région parisienne. J’ai aussi un ami d’enfance qui vit vers Toulouse : Xavier Dijoux de « La kaz Ti Gousse », qui est déjà passé sur Réunionnais du monde ! Je ne suis pas trop l’actualité à la Réunion (je suis au courant des évènements majeurs grâce aux réseaux sociaux) car ça me transmet une mauvaise énergie du fait des nouvelles plus pas bonnes que bonnes … Mais à Caen, ma marmite riz et mon pilon pou crase l’ail n’ont jamais quitté mes différents chez moi.

 
Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

L’assurance d’avoir un emploi en CDI dans un domaine pour lequel je suis formée, avec un salaire à la hauteur de mes compétences. 

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Une île avec du soleil et des fruits tropicaux, un paysage à couper le souffle. Le Grand Raid est connu, le Piton de la Fournaise aussi. Je suis heureuse que quand je parle de Saint Leu, on ne me parle plus des attaques de requins !


+ d’infos sur la boutique en ligne : www.monlabocouture.fr / www.facebook.com/mlabocouture / www.instagram.com/mon_labo_couture

Marché nocturne de Caen
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