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Crise dans les Dom - Lilian Malet : « Une crise, un nouveau départ... »

Publié le 24 février 2009

Cette crise était annoncée et prévisible. Parti en octobre dernier de La Réunion, contrairement à ce que disent plusieurs médias, le mouvement a eu un premier écho en Guyane, puis en Guadeloupe et en Martinique. Celui-ci, en Guadeloupe, s’est enraciné dans la durée grâce à une meilleure structuration et exacerbé par des situations locales. Depuis plusieurs semaines, les évènements s’enchaînent et les réactions sont nombreuses, mettant en évidence un aspect de l’opinion publique dans l’hexagone, ici à La Réunion comme ailleurs en Outre Mer.

Lilian Malet
Lilian Malet, Délégué Général de l’ACCD’OM

C’est ainsi que ces évènements ont permis à nombre de nos compatriotes de l’hexagone de découvrir la réalité de nos départements et de mettre à bas certains clichés négatifs et faux, trop souvent entretenus par ceux qui en pâtissent les premiers, c’est-à-dire nous-mêmes. La découverte de la structure des prix, la découverte des problèmes sociaux de chômage et de logement, la découverte d’un mal-vivre enraciné au plus profond de nos cœurs d’ultramarins français.

Mais sommes-nous des Français à part entière ? Je suis européen lorsque je prends l’avion de Paris pour Budapest ou Rome ou Barcelone. Aucun contrôle d’identité. Je ne suis même plus français lorsque je prends l’avion de Paris vers Saint Denis ou Fort de France ou Pointe à Pitre. Je dois subir deux contrôles d’identité, souvent plus poussé en fonction du faciès présenté, l’un au départ et l’autre à l’arrivée, comme lorsqu’on se rend dans un pays étranger. Et oui, nous ne faisons pas partie de l’espace Shengen et de ce fait, les produits également, venant d’Europe, sont soumis à taxation. Qui crie face à cette disparité vécue comme une injustice ? On s’en accomode et on finit par trouver cela normal.

Non, la vie en Outre Mer ce n’est pas ne pas travailler pour toucher le RMI, se bronzer, plages et cocotiers et gros salaires pour tous.

Si nous avons des records au niveau des rmistes, c’est bien que la situation est catastrophique. Nos rmistes et nos chômeurs n’ont pas fait un choix délibéré. Nos économies, qui ont accumulé au fil des années de départementalisation des retards, ne permettent pas de donner du travail à tous. S’il n’y avait pas la politique de mobilité mise en œuvre par le département, la situation serait pire que ce qu’elle est. Alors entendre un Réunionnais en métropole dire qu’il a quitté La Réunion parce que les Réunionnais sont paresseux… ça me laisse pantois ! Qui peut contester que les prix, donc le coût de la vie, sont plus élevés en Outre Mer par rapport à la métropole ? Qui peut contester que le SMIC soit le même (bravo l’égalité) ? Sauf à être un privilégié aveugle ici, on ne peut que légitimer les luttes et les attentes de nos français d’Outre Mer.

Si on continue dans cette voie, la France finira par nous donner l’indépendance ! Nous coûtons cher alors vaut mieux être discret et ne pas trop crier…

Il faut savoir que la France ne peut décider unilatéralement d’octroyer l’indépendance, ni même l’autonomie, à l’un de ses territoires. Sommes-nous français oui ou non ? Comment peut-on encore tenir ce type de raisonnement, entretenu c’est vrai pendant des années par certains partis, aujourd’hui ? Nous ne vivons pas la main tendue et Monsieur JEGO lui-même a rappelé certaines vérités s’il en était besoin. L’Outre Mer est une chance pour la France et pour l’Europe. Dans une tribune libre du 31 août 2008, nous écrivions : « Nous sommes riches ! Oui, l’Outre mer est riche, trés riche même mais nous n’en avons pas encore pleinement conscience.

Riche de sa diversité dans beaucoup de domaines et, contrairement à l’opinion répandue, tant au niveau national que chez nos propres ressortissants locaux, nous ne sommes pas une charge pour la Nation et encore moins pour l’Europe.

Combien d’entre nous savent que nous apportons à nous seul en biodiversité autant que toute l’Europe réunie ?

Grâce à l’outremer, la France est la 2eme puissance maritime avec 11.000.000 km2 de zone maritime.

Grâce à l’outremer, la France, pour l’Europe, dispose d’une base de lancement de fusées.

Grâce à l’outremer, malheureusement pourront dire certains, la France a pu développer sa puissance nucléaire.

Grâce à l’outremer, la France est présente dans tous les océans de la planète.

Grâce à l’outremer, la France a eu des Aimé Césaire, Raymond Barre, Roland Garros, Leconte de Lisle, Félix Eboué, le chevalier de Saint-Georges… et j’en passe.

Grâce à l’outremer, sur le plan sportif, combien de victoires et de médailles ? »

Alors cessons de courber la tête et soyons fiers de nous. Nous payons des impôts, nous inventons, nous innovons, nous participons à la vie de la nation… Viendrait-il à l’idée de dire que l’Ile de France est totalement dépendante de la province pour ses approvisionnements ? La province serait alors la métropole de Paris ? Chiffre-t-on les transferts financiers vers tel ou tel département de l’hexagone en contrepartie de son apport à l’économie nationale ? Nous n’aurions pas à rougir si tel était le cas. La Nation est un tout et qu’on habite la Creuse ou la Martinique ou La Réunion…, la solidarité est une notion qui ne se discute pas. Qu’on le veuille ou non, notre histoire est imbriquée dans celle de la France, qu’on le veuille ou non, notre destin le sera également. Il nous appartient de prendre la mesure des défis qui nous attendent, de nous donner le maximum de chances pour aller de l’avant et, comme l’a dit le Président de La République, de discuter sans aucun tabou.

"L’Histoire retiendra de cette crise qu’elle aura été à la naissance d’un nouveau développement pour nos économies"

Quelques chiffres :

L’ensemble des dépenses publiques nationales est de 5570 €/hab et le PIB 2007 est de 17.069€/hab pour les DOM. Celui-ci est de 30.140€/hab pour l’hexagone.

Pour la continuité territoriale, la dotation attribuée à la Corse, 260.000 habitants (soit 704 euros/hab), est conséquente, 183.187 millions d’euros pour 2007, à comparer aux 33,3 millions d’euros attribués à l’ensemble de l’Outre Mer qui compte 2.290.000 habitants (soit 14,54 euros/hab).

Sur 10.191.000 Km2 de Zone économique exclusive, l’Outre Mer apporte 97,28%, soit 9.926.900 Km2 (dont 47% pour la Polynésie française).

Alors oui, malgré les difficultés économiques engendrées, malgré les craintes suscitées par cette situation, la Guadeloupe a le mérite de pousser à une prise de conscience générale en Outre Mer et en France hexagonale et, à ce titre aussi, son action est légitime. L’Histoire, j’en suis persuadé, retiendra de cette crise qu’elle aura été à la naissance d’un nouveau développement pour nos économies, c’est le vœu que l’on formule et qui, je l’espère, ne sera pas déçu.

METROPOLE est le mot couramment utilisé en Outre Mer où, pour parler de la France hexagonale, on dit « La Métropole ». Habitude qui n’est pas anodine et sans signification en Outre Mer bien qu’exprimée de façon inconsciente. La France hexagonale est toujours vécue dans l’insconscient et le conscient collectif des ultramarins comme la métropole, la source de tout. C’est donc à bon escient que les ultramarins utilisent le mot métropole pour parler de La France, mieux, de la mère patrie, un simple constat, vécue comme une réalité.

De nos colonies ayant utilisé l’esclavage comme outil de développement, abolie « définitivement » en 1848, aux structures départementales ou autonomes d’aujourdh’ui, nées progressivement en 1946 pour les unes et au fil des années suivantes pour les autres, la réalité est celle d’un vécu post colonial dont personne finalement n’est encore sorti, avec toutes ses conséquences.

Nier cette évidence, c’est renier l’histoire qui connait aujourd’hui une étape supplémentaire. Entre la prise de possession, la colonisation, le développement des colonies s’appuyant sur l’esclavage, la départementalisation et sa politique d’assimilation puis d’intégration, nous arrivons aujourd’hui à un constat d’échec dont la crise actuelle est le révélateur. Toutes ces périodes ont été ponctuées de soubresauts plus ou moins violents ici et là mais le lien avec la mère patrie reste fortement ancrée dans l’histoire et dans les esprits.

Lorsqu’un métropolitain utilise le même mot, cela prend une signification toute différente puisqu’il se positionne lui-même comme la source de tout justement avec, immanquablement pour l’ultramarin, une connotation péjorative qui, à défaut d’être assumée, est imposée.

On trouve comme définition du mot métropole (du Grec mêtêr, mère, et polis, ville) dans l’Antiquité, la ville d’origine des fondateurs d’une colonie, d’où, par extension, un État considéré sans ses colonies extérieures, lesquelles sont devenues depuis départements et territoires d’outre-mer pour La France.

La relation entre l’Outre Mer et la France hexagonale doit changer. Nous ne sommes plus une colonie et la France ne doit plus être la métropole. Cela suppose un changement des mentalités de part et d’autres : Que les ultramarins, français pour leur quasi-totalité depuis plusieurs siècles, intègrent ce fait historique pour aujourd’hui et pour demain sans états d’âmes et sans honte aucune.

Que notre composante ultramarine, c’est-à-dire la France hexagonale, intègre également ce fait, et, qu’à ce titre, respecte les hommes et les femmes vivant en Outre Mer dans leur diversité culturelle. Alors, la France trouvera une place reconnue et légitime en Outre Mer, et nos populations, enfin reconnues, retrouveront la fierté et la place qu’elles méritent au sein de la République et de l’Europe. Pour reprendre Aimé CESAIRE, « l’heure de nous-même a sonné… » ! Saurons-nous être au rendez-vous ?

Lilian MALET- Délégué Général de l’ACCD’OM

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Lilian Malet est Délégué Général de l’ACCD’OM (Association des Communes et Collectivités d’Outre Mer), qui regroupe des communes et collectivités des quatre DOM ainsi que de Mayotte, Polynésie Française et Nouvelle Calédonie depuis 2001.
Il est né à Saint Denis et a rejoint l’Ecole Militaire du Tampon en 1972 après le Lycée Leconte de Lisle. Enseignant puis agriculteur, il est élu depuis 1983 à La Possession.

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