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Florence Hydulphe, 27 ans, Substitut du Procureur dans le Pas de Calais

Publié le 17 octobre 2007

Après un Deug de Droit à l’université de la Réunion, Florence poursuit ses études jusqu’au DEA de Droit pénal et de Sciences criminelles à l’Ecole Nationale de la Magistrature de Bordeaux. Le concours de magistrat en poche, elle exerce depuis un an en tant que Substitut du Procureur au Tribunal de Grande Instance de St Omer, ville du Pas de Calais.

Florence Hydulphe
Avant une réquisition : « J’ai longtemps pensé que j’étais une zoreil à la Réunion et une créole en Métropole. Finalement… »

D’où êtes vous à la Réunion ?

"Je suis issue d’une famille de Zoreils. C’est grâce à la mobilité professionnelle de mon père, fonctionnaire, que nous avons pu tenter une grande traversée pour la Réunion, qui attirait mes parents depuis des années pour avoir travaillé avec des Réunionnais leur vantant les mérites de l’île et pour avoir aussi de la famille au Tampon. L’escale a duré plus longtemps que prévu, puisque j’ai vécu de 10 à 20 ans, c’est-à-dire les années les plus importantes pour le développement personnel, à Sainte Clotilde. J’ai fait mon cursus scolaire à St Denis dans des établissements d’enseignement privé".

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?

"Là encore j’ai suivi le mouvement familial puisque c’est à cause d’une mutation de mon père que nous avons quitté l’île. Et j’ai pu ressentir un peu cette sensation de déracinement qu’avaient pu connaître ma famille, d’origine pieds-noirs, 40 ans plus tôt. En 1998, c’est donc à Bordeaux, ma ville natale, que j’ai poursuivi mon cursus universitaire. J’ai ensuite vécu à Bayonne et Mont de Marsan".

Qu’avez-vous ressenti ?

"L’adaptation a été rude, ne serait-ce que du strict point de vue climatique car je n’avais pas connu d’hiver pendant dix ans… J’ai été surprise aussi et surtout de la froideur des gens. La faculté de Bordeaux attirant beaucoup de personnes d’origine diverse, c’est tout naturellement auprès d’insulaires que j’ai réussi à trouver du réconfort. Puis le temps fait son œuvre et on finit par s’acclimater. J’ai le souvenir d’avoir été choquée par le stress ambiant (et pourtant j’étais en province !) et j’aime encore utiliser des expressions créoles que je suis seule à comprendre…"

Quels sont vos projets ?

"Ma profession m’ouvre beaucoup d’horizons et j’espère en profiter. A court terme, des vacances sur l’Ile seront les bienvenues. J’envisage de mettre à profit ma mobilité géographique pour découvrir beaucoup d’autres régions de France. Et à plus long terme, pourquoi pas retourner à la Réunion pour que mes futurs enfants aient la chance de vivre cette expérience et apprennent tout à la fois le pluri-ethnisme pacifique, les trésors naturels de la faune et de la flore et tout simplement la diversité dans toute sa splendeur".

Qu’est-ce qui vous manque de la Réunion ?

"Vous surprendrais-je si je disais la chaleur ? Surtout pour moi qui vit désormais dans le Pas de Calais… Le soleil, l’air marin, la vue de la montagne depuis la mer, l’odeur du souffre au volcan, les mangues vertes, entendre parler créole, l’idée de pouvoir s’isoler dans les hauts, les caris, beaucoup de sensations, de saveurs et de plaisirs impalpables".

Que vous apporte cette expérience de mobilité ?

"J’ai longtemps pensé que j’étais une zoreil à la Réunion et une créole en Métropole. Finalement j’ai surtout appris que j’étais de partout et de nulle part et que seule la sensation de bien être à un endroit devait guider nos envies de bouger ou de rester. J’ai donc acquis une grande faculté d’adaptation et une ouverture d’esprit certaine. Après tout, ce n’est pas parce qu’on n’est pas né au même endroit qu’on est foncièrement différent. Basques, Ch’ti et créoles ont chacun leurs petites particularités locales, mais font partie du même pays !"

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de l’île ?

"L’île a grandement souffert socialement, économiquement et médiatiquement de l’épidémie de chikungunya. Mais c’est faire abstraction de toutes ses richesses et de sa capacité à rebondir. Ce n’est pas la première crise qu’elle traverse et à chaque fois, la population a su se mobiliser pour s’en sortir. Maintenant, il ne faut pas tomber dans les travers de l’assistanat et attendre que le touriste revienne en pleurant sur notre sort.
Je crois que paradoxalement, la population jeune de l’île, fortement touchée par le chômage, pourrait être un atout et démontrer qu’elle est le moteur d’une île dynamique, tournée vers l’extérieur et l’avenir. Du reste, le tourisme n’est pas la seule perspective d’avenir. Une activité économique basée sur des échanges commerciaux avec les îles voisines, l’Afrique ou l’Océanie entre justement dans cette perspective d’ouverture salutaire".

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

"L’avantage c’est de devenir tenace face aux incrédules : je viens de la Réunion, et alors ? Je peux être aussi intelligente que vous. Ayant passé mon bac et fait mon Deug à la Réunion, poussé mes études jusqu’en DEA de droit pénal et de sciences criminelles à Bordeaux, passé le concours de la magistrature où la sélection est rude, je peux affirmer que la Réunion n’a pas à rougir de la qualité de son enseignement ! L’inconvénient principal c’est justement de rencontrer parfois des incrédules…"

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

"Un peu ignorante mais plutôt positive. Je vous fais grâce des clichés sur les cocotiers et les plages de sable blanc. Mais ça fait un moment que je n’ai pas à eu à rappeler qu’on avait aussi des immeubles, des voitures et des supermarchés ! De plus en plus de Réunionnais viennent en métropole et la Réunion est aussi une destination de plus en plus accessible. Je crois que désormais, chaque métropolitain connaît un Réunionnais ou quelqu’un qui connaît un Réunionnais, permettant ainsi une curiosité constructive et réciproque ! De plus, la Réunion bénéficie d’une aura globalement positive, notamment en comparaison des Antilles, fréquemment taxées de racistes".

Vous même, quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

"Très positif. J’ai réalisé, en arrivant dans le Pas de Calais, que j’avais des a priori sur cette région tout comme certains métropolitains en avaient sur la Réunion. J’ai finalement décidé d’arrêter de vouloir classer les gens ou les régions. Depuis, je vis très bien ici et la réputation des gens du Nord (qui ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors) n’est pas usurpée. Un dicton du coin précise qu’on arrive dans le Nord en pleurant et qu’on en repart aussi en pleurant".

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?

"Foncez ! Allez découvrir le monde et si vous voulez rentrer à la case, faites selon votre instinct, mais ne vous laissez pas gagner par la facilité et la flemme de bouger ! Et surtout pas de complexe d’infériorité !"

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