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Réunionnais à Mayotte - Regards croisés

Publié le 13 avril 2014

A quoi ressemble la vie dans le département français le plus proche de la Réunion ? Installés depuis plusieurs années sur l’île aux Parfums, Julie et Vincent témoignent des grandes ressemblances et différences avec notre île. Regards croisés.


Réunionnais à Mayotte - Regards croisés

Votre parcours avant Mayotte.

Julie Chane Fan, 58 ans : Originaire des bidonvilles de la Rivière Saint-Denis, j’ai arrêté l’école en cinquième. A la Réunion, je faisais des petits boulots. Je suis arrivée à Mayotte dans les années 80 avec mon mari (muté pour monter l’agence Air Liquide), mes trois filles de 12, 9 et 1 an, ma marmite à riz et mon pilon...

Vincent Damour, 27 ans : Originaire de Saint-Joseph, je suis diplômé de la Licence professionnelle Qualité-Hygiène-Sécurité-Environnement de l’IUT de Saint Pierre. Embauché par l’entreprise Dupont Restauration Réunion, c’est grâce à une belle opportunité et à la confiance de mon employeur que j’ai obtenu début 2013 un poste d’Assistant technique en restauration sur le site du Centre Hospitalier de Mayotte.

Vos débuts sur l’île aux Parfums.

Julie : Nous sommes arrivés il y a 27 ans dans un petit paradis, mais avec les difficultés de l’époque et les pénuries de biens de première nécessité : viande, produits laitiers souvent périmés... Nous faisions avec. Malgré le double du salaire qu’il gagnait à la Réunion, le traitement de mon mari ne suffisait pas face à la chèreté de la vie. J’ai dû me mettre à travailler en tant que couturière pour les mouzoungous (zoreils d’ici). Il n’y avait pas de boutiques. Je faisais mes achats de tissu à la Réunion et confectionnait les habits à mes clientes.

Vincent : Mon installation s’est faite dans les meilleures conditions possibles. Mon logement était déjà trouvé, ne restait plus que la voiture et quelques affaires à faire venir de la Réunion. Je partais sans à priori, malgré les quelques craintes et remarques de membres de ma famille, car Mayotte n’a pas toujours malheureusement une très belle image...


Réunionnais à Mayotte - Regards croisés

Votre vie à Mayotte.

Julie : Après avoir monté une boutique d’articles cadeaux et fait du secrétariat dans plusieurs entreprises, je me suis lancée en tant que snack-traiteur. C’était l’année de mes 40 ans. L’entreprise de mon époux était en vente et nous avions le crédit de la maison à rembourser. J’ai ouvert un petit snack à Kawéni avec un service barquettes comme à la Réunion. Je faisais ma cuisine : caris, samoussas, bouchons... Au bout d’un moment, les clients m’ont demandé à manger sur place, les entreprises sollicitaient un service traiteur. J’ai servi jusqu’à 100 repas par jour et embauché quatre employés ! Ça a marché jusqu’à la grande grève de 2011, qui fut le début de la dégringolade. Les vols et les agressions physiques ont commencé, dans l’indifférence totale de la police, des autorités judiciaires et des politiques. Pour compenser la perte de nos revenus, nous avons alors monté avec mon époux une chambre et table d’hôtes chez nous : le Guétali.

Vincent : Personnellement je me sens très bien à Mayotte. C’est une île pleine de richesses, un des plus beaux lagons du monde, une population très respectueuse si on prend le temps de parler, comprendre et s’intéresser à la culture. Malheureusement le contexte actuel est très compliqué. Les salaires dans le privé ne sont pas très attractifs alors que dans le public c’est l’inverse. Il y un écart énorme entre les riches et les pauvres, et cette cohabitation engendre des violences. Selon moi, il faut apprendre à vivre à la mahoraise, ne pas exhiber de signes de richesse. La vie est chère ; j’adapte ma façon de manger et de consommer...

Ce qui a changé à Mayotte avec la Départementalisation.

Julie : Les Mahorais revendiquent tout et tout de suite. Je leur explique souvent que nous Réunionnais, avons attendu quarante ans après la départementalisation de 1946 pour avoir le même SMIC qu’en métropole par exemple. Ici on demande des salaires métropolitains alors qu’il y a très peu de personnel formé. En tant qu’employeur c’est très difficile à accepter, car le professionnalisme n’est pas au rendez-vous...

Vincent : Les changements sont très lents mais petit à petit tout se fait. Encore récemment, il n’y avait pas de carte de sécurité sociale, les cartes vitales viennent tout juste d’arriver ! On compte beaucoup sur la départementalisation, l’augmentation des aides de l’État et les financements européens pour booster le développement économique. Il y a encore tellement de choses à faire et à construire ici...

Julie à droite avec ses filles et petites filles qui ont grandi à Mayotte.

Les grands sujets d’actualités.

Julie : Les sujets brûlants sont la délinquance galopante et la politique. Comme à la Réunion on ne voit les postulants qu’au moment des élections pour nous rappeler qu’ils attendent notre vote.

Vincent : Les péripéties liées aux élections municipales, l’insécurité dans certains établissements scolaires… Ce sont des sujets que nous pourrions retrouver à la Réunion dans certaines communes, sauf qu’à Mayotte c’est un peu plus généralisé. Beaucoup de choses diffèrent entre nos deux départements : la mentalité, le rythme de vie, la façon de travailler. Mais parfois j’ai l’impression que Mayotte ressemble à la Réunion d’il y a quelques dizaines d’années…

Votre regard sur l’avenir de Mayotte.

Julie : Il y a encore cinq ans, je me voyais passer ma retraire ici, avec mes filles et mes six petits enfants. Mais mon enthousiasme des premières années a fait place à du pessimisme, car je n’ai pas vu la progression que j’attentais. C’est peut-être la situation de tension actuelle, la délinquance et le sentiment d’impuissance qui me fait dire ça. Il faut mettre fin au laxisme des autorités et mettre en place des formations pour donner un avenir à cette île.

Vincent : La Réunion peut apporter son expérience de la départementalisation, son expertise pour faire avancer plus rapidement certains dossiers. Il faut développer les flux de passagers et de marchandises entre nos deux îles. Les entreprises réunionnaises peuvent apporter de la concurrence ici et dynamiser le tissu économique. Ce qui me rend optimiste, c’est le potentiel de Mayotte. Mais pour que ça fonctionne, il faut que tout le monde tire la charrue dans la même direction...

Article paru dans Le Quotidien du 13 avril 2014

Lire aussi : Julie Chane Fan, restauratrice à Mamoudzou (interview de septembre 2007) / D’autres infos sur Mayotte


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