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Georges Ah-Tiane : Contribution aux états généraux de l’Outre Mer

Publié le 8 mai 2009

Je voudrais exprimer mon avis sur ces états généraux dont je pense que vous devrions nous saisir. De l’engouement au scepticisme (ou au désintérêt pur et simple), chacun de nous aura sans doute son avis mais bien souvent, nous les Réunionnais, on n’ose pas parler. J’ai choisi de m’exprimer et vous expose ci-après ma contribution, ouverte à toute discussion. Que les Antillais m’excusent si j’y exprime une certaine amertume à un moment donné mais je ressens plus une déception vis-à-vis des Réunionnais de Métropole qui tardent à se manifester sur la scène publique et donc, je les incite à réagir.

Georges Ah Tiane

Parmi les ateliers (8 pour l’Outre Mer et 4 spécifiques aux domiens de l’Hexagone), un certain nombre suscitent des réactions de ma part. Avant de les exposer ci-après, je voudrais faire quelques remarques :

- Je constate que peu de contributions y sont faites, surtout de la part des Réunionnais de Métropole. Même si l’on peut mettre en cause de la crédibilité de ces états généraux, je pense qu’il faut au moins donner son avis, on pourra juger ensuite.
- De tous les ateliers en place, je n’ai pas noté une vraie volonté de débattre des inégalités de salaires ou de traitement (pourtant en partie à la source des récents conflits).
- Concernant la composition des membres des commissions en métropole, j’ai pu noter un certain déséquilibre quand à la représentativité des DOM : 28 Antillais, 5 Réunionnais, pas de Guyanais…
- certains thèmes se chevauchent. Il y a par exemple des points communs entre identité, culture / égalité des chances / citoyenneté.

Voici donc ma modeste contribution sur quelques uns de ces thèmes.

POUR l’HEXAGONE

Égalité des chances, lutte contre les discriminations et la citoyenneté

Les autres sujets sont intéressants mais je ne m’exprimerai que sur la citoyenneté. Un bien grand mot qui n’a de sens que ce que l’on veut en faire. Pour en débattre il faudrait en définir les limites. Car elle peut s’appliquer dans beaucoup de domaines : participation à la vie politique, respect du prochain, de l’environnement, solidarité…

La citoyenneté ne prend tout son sens que si l’on applique réellement les principes de la République. Comment se sentir citoyen lorsque ceux-ci sont bafoués ? (injustice, partialité…)
Les domiens portent déjà en eux certains stigmates du passé, il est plus difficile pour eux d’intégrer et de vivre pleinement leur citoyenneté. Malgré tout, un effort soutenu doit être entrepris pour les intéresser à la vie politique et sociale de l’Hexagone. Ppeu d’entre nous vont voter par exemple.

En résumé, pour vivre pleinement sa citoyenneté il faut déjà être bien dans sa peau, accepter et être accepté par son entourage, vivre aussi dans un contexte politique, économique cohérent. C’est beaucoup dire et on ne peut y accéder si on ne développe pas la culture, l’éducation, l’égalité sociale…

Culture, Mémoire, Identité

Thèmes fondamentaux qui devraient mobiliser et retenir notre attention. Cependant, je note que dans le contenu de ce thème, on ne parle pas de l’écriture de la langue (on parle de tradition orale). Qu’est ce que cela cache ? Va-t-on en faire l’impasse alors que les langues créoles sont les piliers de nos cultures ? Quels moyens seront mis en œuvre pour le développement de l’écriture de la langue créole ?

Identité

Je dirais que les Réunionnais de métropole devraient investir les lieux de débats publics davantage qu’ils ne le font actuellement. Avant de parler d’identité, il faudrait déjà faire un effort de représentativité. On parle souvent de la « communauté invisible » mais ce qui m’intéresse le plus c’est de savoir comment devenir visible et surtout d’être identifié par les métropolitains comme tels et non comme faisant partie du groupe des Antillais. On subit cet état de chose depuis longtemps.

1er axe de réflexion : développer une communication interne chez les Réunionnais de façon à travailler sur une meilleure perception de nous-mêmes par les métropolitains (et pas seulement à travers les manifestations et soirées dansantes). Cette réflexion pourrait mener à multiplier par exemple des interventions à l’école, les lieux de travail, lieux sociaux… où on pourrait partager nos cultures respectives.
Autre question : comment établir des liens durables entre Réunionnais métisses, chinois, malbar, zarab, ceux qui sont en haut, au milieu et en bas de l’échelle sociale… Existe-t-il une solidarité et une vraie communication entre Réunionnais de Métropole ? Le site reunionnaisdumonde.com en est un bel exemple sur le Net.

2è axe de réflexion : comment investir ces fameux lieux de débats et de représentativité. Deux exemples :
- les médias (chaînes nationales, France O, radios tropicales…) où la Réunion, les Réunionnais sont très peu présents. De plus lors de débats concernant les DOM, j’imagine que pour beaucoup de métropolitains encore, la Réunion fait partie des Antilles.
- Certaines manifestations culturelles des DOM TOM où les Réunionnais sont absents.

Culture et Mémoire

Je pense que nous avons beaucoup d’éléments et d’outils pour continuer à développer notre culture et la partager mais il faut aussi que les Réunionnais(es) s’en saisissent. Il y a un gros travail à faire pour s’intéresser les Réunionnais à leur propre culture et au devoir de mémoire.

Artistes, plasticiens, musiciens, troupes de théâtre sont déjà en place et les collectivités réunionnaises ainsi que l’État, participent à leur reconnaissance, mais les artistes de Métropole sont un peu oubliés. Il faudrait plus d’attention et de moyens de ce côté-là et créer des agences.

La langue maternelle est un élément fondamental de notre culture. Sans elle nous sommes à peu près certains que notre culture s’estompera au fil du temps. Nous le voyons déjà à travers les nouvelles générations. Je ne suis pas contre l’évolution ou la fusion des cultures. Après tout, les nouvelles générations sont moins attachées à leurs cultures originelles et plus ouvertes au monde contemporain mais quand on parle de Mémoire et de culture, nous devons maintenir un minimum de traditions et l’écriture du créole en est un bon gardien.

Georges Ah-Tiane

POUR LA REUNION

Les productions locales et les conditions d’un développement endogène

Là encore à mon avis, on ne peut faire de propositions si on ne procède pas à une analyse transversale de la situation économique réunionnaise et sans déborder sur les autres thèmes. La société réunionnaise de tous temps n’a jamais voulu guérir de ses maux ou les avouer. Elle s’est engouffrée dans une course à la consommation et au bien personnel pour mieux cacher ou exorciser ses propres frustrations depuis la colonisation. D’autres bien sur, n’ont eu qu’à ouvrir les bras et ramasser ce qui tombait du ciel avec la bienveillance de la gouvernance.

Mais ceci relève de la nature de l’espèce humaine et n’est pas spécifique à la Réunion ou aux DOM. Beaucoup d’autres pays industrialisés présentent des situations similaires, et ne parlons pas des pays émergeants. Néanmoins, la Réunion souffre aussi de la promiscuité de ses mondes. Si l’on y accepte volontiers la diversité culturelle, religieuse... on ne pardonne pas l’étalage de la richesse. Ainsi un noble ou riche dans sa propriété gênerait moins qu’un voisin "exubérant ou nanti".

L’actuel ordre économique mondial doit certainement être repensé. Les pays émergeants auront à peser de tout leur poids et commencent à répondre économiquement aux hégémonies séculaires. De plus, les gouvernants ne peuvent plus mentir au peuple, mondialisation et communication oblige ! Ce qui veut dire que les populations commencent à faire "caisse de résonnance" et manifestent leur droit au "vivre mieux"

Oui, il faudrait mieux développer la production locale, mieux affecter les fonds publics à ce développement là, aider l’initiative, l’innovation, inscrire l’entreprise dans la pérennité, essayer de mieux équilibrer la balance commerciale, donc limiter la sur consommation, les importations …

Le problème n’est pas d’imaginer l’économie de demain mais plutôt de s’engager tous à la rendre plus saine, parler des inégalités de traitement public/privé, créer des cellules de veille concurrentielle, de déontologie… Faire que les Réunionnais consomment moins et mieux, qu’ils limitent un peu plus les déplacements personnels en voiture (surtout pour aller travailler)… mais là on déborde vite du sujet, il y a toute une sensibilisation à faire.

Georges AH-TIANE, Coordonateur technique à France Telecom, président de l’association Ker Volkan, Marseille

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