Alain Lorraine, un homme de mille parts

Quand on dit "Alain Lorraine", on pense Tienbo le rein, beaux visages cafrines sous la lampe. C’est effectivement son premier recueil poétique, paru en 1975 à L’Harmattan et qui a obtenu le Prix des Mascareignes. En fait, son œuvre est très diversifiée.
Il y eut d’autres recueils poétiques (Sur le black, 1990 ; Dehors est un grand pays, 1993), mais aussi des essais (Les chrétiens du désordre, 1979 ; Une communauté invisible, 175 000 Réunionnais en France métropolitaine, 1996, ouvrage collectif), des nouvelles (Jeamblon ou les petites libertés, 1996). Sa dernière œuvre fut une pièce de théâtre pour la commémoration du 150e anniversaire de l’Abolition de l’esclavage, Histoires de silence, jouée en Provence, puis au Port. Sans oublier une dernière, dernière œuvre posthume, La Réunion, île de mille parts (2001) où il dialogue avec les photos noir et blanc de Philippe Dupuich.

Cette liste peut paraître modeste, mais Alain Lorraine, né en novembre 1946 à Saint-Denis, est décédé à Paris en mai 1999. Il n’avait pas 53 ans. A ces ouvrages, il faut ajouter de nombreux articles de presse (Témoignage Chrétien de La Réunion, Fanal, Présence réunionnaise, entre autres). Le journalisme fut en effet une de ses vocations où il déploya son art de l’observation perspicace et de la restitution inspirée. C’est à partir de plongées dans le vécu qu’il composa sa vision de La Réunion dans sa relation au "grand pays dehors", voguant sans cesse de son île natale à Paris et d’autres pays.

Quelle que fut la diversité de ses genres d’écriture, son œuvre vibra d’une fraternité fidèle aux paumés de la vie quotidienne, aux "anges blessés" de l’Histoire. Une figure habite son imaginaire : celle du Marron, ce "guérillero de la nuit". Cette figure est au centre de la "culture de la nuit, culture du fénoir, culture du fait noir". Mais on le trahirait en y voyant une approche ethnique. Le marronnage est une manière d’être au monde dans une île où tant d’hommes et de femmes ont subi exploitation, domination, déshumanisation. C’est une affirmation d’humanité résistante, de capacité créatrice dans les pires conditions.

L’ouvrage Alain Lorraine, un homme de mille parts restitue le cheminement d’un "vagabond de l’existence", montre le maillage poétique entre révolte et amour, entre souffrances et espérances, décortique la notion complexe de "culture de la nuit" et rappelle ses propositions de développement où se rencontrent "les nécessités de l’économie et les droits de l’imaginaire". Celles et ceux qui l’ont croisé apportent leurs témoignages et plusieurs photos, de l’enfance à 1998, restituent un peu de sa présence. L’ouvrage est préfacé par Anne Cheynet, le dessin de couverture est de Geneviève Kœnig.
C’est, à ce jour, la seule publication qui lui soit entièrement consacrée et cette voix nous parle encore.

Alain Lorraine, un homme de mille parts, un essai de Brigitte Croisier. paru en 2014, comprenant une douzaine de photos et quelques inédits.
Ed. MDA Le Port, 2014.

A commander dans la boutique pour 15 € + 3 € pour La Réunion et 5 € pour la métropole