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La fête des lumières tamoule : « Karthikai Deepam »

Publié le 6 septembre 2009

7e épisode de la série de Dominique Jeantet sur les origines tamoules de l’identité réunionnaise malbar. kārttikai tīpam, le festival des lumières, est l’un des plus anciens festivals du Tamil Nadu. Il a lieu au mois de kārttikai (Novembre-Décembre) et est observé dans chaque maison et chaque temple. kārttikai est le nom du mois tamoul mais aussi celui d’une constellation composée de six étoiles, associées aux nymphes célestes qui ont élevé, dans l’étang de Saravana, six bébés ensuite réunis pour former les six visages du dieu MurukaN (qu’on a appelé Kārttikēyar).

kuttu vilakku, la lampe aux cinq pétales

Plusieurs origines mythologiques sont attribuées à cette fête :
Alors que Brahman (skr.)et Viṣṇu se disputaient pour savoir lequel d’entre eux était le plus fort, Civa apparut sous la forme d’une très haute colonne de feu. Ils décidèrent de se départager en se donnant le défi d’atteindre le premier l’une des extrémités de la colonne. Brahman prit la forme d’un cygne et s’envola vers le haut tandis que Viṣṇu se transforma en sanglier et se mit à creuser profondément la terre à la base. Après plusieurs années d’effort, aucun n’avait pu trouver les extrémités de la colonne et ils se rendirent compte que le pilier n’était autre que Civa. Peu après Civa prit l’apparence de la montagne Tiruvannamalai, au Tamil Nadu (de tiru, préfixe indiquant la sainteté, aṇṇā, mettre la tête en arrière pour regarder en l’air et malai, la montagne), « la montagne sacrée au sommet inaccessible ». Dans le temple qui y fut érigé se trouve le agni liṅga (skr.) c’est à dire, parmi les cinq liṅgam (signe de Civa, sculpture de forme phallique dressée sur un yoni (skr.), symbole de la vulve) représentant chacun l’un des cinq éléments, celui symbolisant le Feu. Toutes les petites lampes allumées durant le festival de kārttikai tīpam sont censées être des répliques miniatures de ce liṅgam de feu.

On raconte aussi que le démon Tripurasura avait été exaucé, après une ascèse très sévère, de son vœu d’être invincible et immortel aussi longtemps que les trois forteresses dans lesquelles il résidait ne seraient pas détruites d’un seul coup. Ces citadelles étaient imprenables, construites l’une dans l’autre, et si l’une ou l’autre était démolie par des assaillants elle avait le pouvoir de se reconstruire immédiatement aussi solide qu’auparavant, ce qui rendait Tripurasura invulnérable. Il ne pouvait être vaincu et exterminé qu’à une seule condition : que les trois forts soient détruits en même temps et d’un seul coup. Jusqu’à présent, et malgré leurs assauts répétés, tous les êtres célestes divins n’avaient pu soulager le monde des atrocités et de la tyrannie de Tripurasura. Ils étaient parvenus à détruire une forteresse, ou alors deux l’une après l’autre, et toujours celles-ci se reconstruisaient. En désespoir de cause, ils allèrent trouver Civa qui accepta de les aider et de protéger le monde. Ensemble ils formèrent une armée, Civa prit son arc, fait d’un serpent à sept têtes aux dents empoisonnées, et ils partirent plein d’entrain à l’attaque du démon. Tout d’abord Civa ne démolit qu’une ou deux citadelles et constata qu’elles se reconstituaient comme si elles n’avaient subi aucune éraflure. Il se souvint alors de la réalisation du vœu de Tripurasura, banda son arc et une seule flèche lui suffit pour transpercer les trois forts à la fois ! Les murs imprenables s’écroulèrent, devinrent poussière et le terrible démon, privé de son refuge invincible fut vaincu, au grand soulagement de l’Univers entier. L’ordre régna à nouveau dans le monde ; les gens purent s’adonner librement à leurs devoirs religieux et vivre dans l’harmonie et la prospérité. C’est durant le jour de pleine lune du mois de kārttikai que ce grand triomphe du Bien sur le Mal fut accompli et depuis, on observe à cette date un jour de réjouissance suivi d’une nuit où une lumière la plus vive possible doit briller en l’honneur de la victoire divine.

Il est fait référence à kārttikai tīpam dans le célèbre ouvrage de la période de la littérature du Sangam (caṅkam) (du IIIème siècle avant J. C. au IIème siècle après J. C.), l’Akananuru (akanāNuRu), qui fait partie des huit anthologies (eṭṭuttokai). Dans cette œuvre, il est bien spécifié que le grand festival (peruviLā) est célébré lors de la pleine lune (paurṇami) du mois de kārttikai. La poétesse Auvaiyar (auvaiyār), de cette même époque du caṅkam, met également ce festival en valeur dans ses chants, tout comme le poète du VIIème siècle Sambanthar (campantar).

Les lampes à huile allumées sont un symbole de bon augure, qui éloigne les forces du mal et attire le bonheur et la prospérité. Si elles sont importantes pour tout festival hindou, elles sont indispensables pour kārttikai tīpam (tīpam signifie lampe à huile). Les lampes allumées à l’occasion de ce festival sont généralement en terre cuite (akal viļakku) de taille et de forme variées et on les voit près de chaque tiṇṇai (banc en maçonnerie, symbole d’hospitalité, situé dans la véranda d’accueil sur le devant de la maison) des maisons traditionnelles et dans les niches encadrant les portes d’entrée. Dans la maison ce seront des lampes de métal sur pied, (kuttu viļakku) ou des lampes très stylisées représentant une femme avec une coupe, contenant l’huile, dans ses mains jointes. On utilise du ney (beurre clarifié) en guise d’huile et des mèches de coton pour allumer les lampes.
Les kuttu viļakku sont formées de cinq pétales. On dit qu’elles étaient déjà en usage sous les empereurs Chola (cōLar) et que ce nombre invariable symbolise les cinq éléments de la nature (terre, eau, feu, air et éther). Par extension, ce sont aussi les cinq éléments nécessaires à une vie harmonieuse : la santé, la richesse, la connaissance, le courage et la longévité.

Traditionnellement, après kārttikai tīpam, la plupart des kuttu viļakku, sauf celles d’usage quotidien, sont nettoyées et conservées pour l’année suivante. Les akal viļakku étaient vendues chaque année par un potier qui venait les proposer de maison en maison pour ce festival. Les maîtresses de maison guettaient alors son passage et en achetaient par douzaines. De nos jours, on se les procure dans les supermarchés et des stylistes en créent, avec des formes, des décors et des matériaux modernes. On voit même des familles ne plus utiliser de lampes à huile, sous prétexte que c’est salissant, et les remplacer par des bougies parfumées dont certaines ont une forme de akal viļakku. Et dans les appartements qui ne comportent pas de balcon, une simple bougie est placée devant la porte d’entrée en témoignage de cette ancienne tradition.

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