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Un conte populaire du Tamil Nadu : « Aya Kappan qui devint roi »

Publié le 23 septembre 2009

Par Dominique Jeantet. Un homme d’affaires prospère avait un fils nommé Aya Kappan. Aya Kappan perdit son père très jeune et, entouré de beaucoup d’amis, il dilapidait sans compter l’héritage paternel. Lorsque peu d’argent resta son cercle d’amis également diminua et cela fit prendre conscience à Aya Kappan de la valeur de l’argent. Dès lors, il commença à dépenser plus raisonnablement.

Le roi et son ministre avaient l’habitude de se promener incognito dans le royaume afin de s’assurer par eux-mêmes du bien-être du peuple. Un jour, alors qu’ils déambulaient ainsi, ils aperçurent Aya Kappan. Ils allèrent dans sa direction, lui dirent qu’ils étaient des voyageurs et qu’ils voudraient bien manger chez lui. Aya Kappan les accueillit chaleureusement et demanda à sa mère de préparer un bon dîner.
Le roi et son ministre prirent leur repas puis dirent à Aya Kappan : « Nous sommes vraiment reconnaissants de votre hospitalité ; il devient rare de nos jours de rencontrer un homme bon comme vous. Si vous avez un souhait que nous puissions satisfaire, n’hésitez pas à nous le dire, nous ferons de notre mieux pour vous contenter. » Aya Kappan dit : « Je suis très heureux, mais si je pouvais être le roi du pays pour seulement un jour, je pourrais punir deux de mes voisins qui se sont moqués de moi. » Les deux autres répondirent : « Nous espérons que votre vœu se réalisera. »

Puis ils commencèrent à prendre les aṭaikāy (feuilles de bétel et noix d’arec avec mélange d’épices). Le roi mit une drogue dans celui d’Aya Kappan afin de le rendre inconscient. Avec l’aide de son ministre il le transporta jusqu’au palais et comme c’était la nuit personne ne les vit. Ils mirent Aya Kappan dans le lit du roi et le vêtirent avec les vêtements royaux.

Le lendemain matin le ministre vint près du lit et dit : « Sire ! Il est temps de vous lever. Tout le monde vous attend. »
Aya Kappan se redressa et s’assit dans le lit. Il était très surpris de se trouver dans une chambre si décorée. Il se demandait où il était et chez qui, pensa qu’il rêvait et voulut se rendormir. Le ministre dit encore : « Sire ! Ce n’est plus le moment de dormir. Plusieurs personnes vous attendent. Levez-vous et venez vous occuper d’elles. » Aya Kappan demanda alors au ministre : « Qui êtes vous ? Qu’ai-je à faire avec les occupations du roi ? »Le ministre répondit : « Sire ! Pourquoi me posez-vous une telle question aujourd’hui ? On dirait que vous avez fait un mauvais rêve pour ne plus reconnaître votre humble serviteur qui est à vos côtés depuis maintenant dix ans. » Quand Aya Kappan entendit tout cela il chercha comment un fils d’homme d’affaires pouvait bien se retrouver roi. Il se dit qu’il rêvait sûrement et encore une fois tenta de se rendormir. Mais le ministre le réveilla.

Enfin Aya Kappan décida de se lever et de juger par lui-même s’il rêvait ou pas. Il alla s’asseoir sur le trône, écouta attentivement toutes les personnes et donna des ordres. Le roi le regardait en cachette et était heureux.

Soudain, Aya Kappan se souvint de ses voisins. Il ordonna à ses ministres d’aller chercher ces deux hommes, de raser leur tête, de leur faire chevaucher un âne et de leur faire parcourir ainsi toute la ville. Il ordonna aussi qu’on envoie à sa mère quinze mille pièces d’or. Les ministres s’exécutèrent.

On servit ensuite à Aya Kappan un grand déjeuner dans des assiettes en or, durant lequel de belles danseuses évoluaient. Le soir on joua à des jeux variés et un grand dîner fut organisé. À la fin du repas on savoura des aṭaikāy et, dans les siens, on saupoudra une drogue qui le fit s’évanouir. On lui enleva ses habits d’apparat, lui remit ses vêtements d’origine et le ramena chez lui.

Quand il se réveilla le lendemain matin il ne vit pas le palais. Il appela son ministre d’une voix forte. Lorsque sa mère l’entendit crier, elle arriva en courant et dit : « Mon cher fils ! Pourquoi cries-tu si fort ? Où étais-tu hier ? Pourquoi n’es-tu pas rentré ? » Comme la maison d’Aya Kappan était très grande, sa mère n’avait pas vu le roi et son ministre emmener son fils. Aya Kappan demanda à sa mère : « Qui es-tu ? », qui répondit : « Ne suis-je pas ta mère ? Pourquoi me demandes-tu cela ? », ce à quoi il répliqua : « La mère de qui es-tu ? Je suis un roi. Comment peux-tu être ma mère ? ». La mère interloquée lui dit : « Ne dis pas de telles choses. Le roi serait fâché et te punirait. Tu ne connais pas sa colère. Ne sais donc tu rien du châtiment qu’il a infligé à nos voisins juste parce qu’il était mécontent ? » Aya Kappan lui rétorqua : « Oh ! N’as-tu donc pas vu ! C’est moi qui les ai punis de la sorte hier. Pourquoi prétends-tu alors que je ne suis pas le roi ! » Sa mère prit peur : « Que t’arrive-t-il ? Si le roi entend tout cela, que se passera-t-il ? Lui qui a eu la bonté de nous envoyer hier quinze mille pièces d’or ! Sais-tu cela ? » Dès que Aya Kappan entendit parler de cela il s’écria : « C’est moi qui t’ai fait parvenir cet argent, et encore tu ne me respectes même pas ! Comment peux-tu être ma mère ? » Disant cela, il se saisit d’un bâton et commença à la frapper. Elle hurla et tous les voisins accoururent. Ils arrêtèrent Aya Kappan dans son geste, le sermonnèrent en disant qu’on n’agissait pas ainsi envers sa mère. Il s’entêta tant à dire que ce n’était pas sa mère, que les voisins inquiets le firent admettre dans une infirmerie.

Là on lui donna très peu de nourriture et on le flagella quotidiennement. Sa mère vint lui rendre visite chaque jour. Aya Kappan commença à se rendre compte de ce qu’il s’était passé et dès qu’il vit sa mère le jour suivant il lui présenta ses excuses : « Ma chère mère, s’il te plaît excuse-moi pour toutes ces choses indignes que je t’ai faites. Je suis sincèrement désolé. J’implore ton pardon. » Lorsqu’elle entendit cela, sa mère ressentit une joie sans bornes. Elle alla demander sa sortie aux responsables de l’hôpital et le ramena à la maison. Aya Kappan retrouva la joie de vivre.

Quelques jours s’écoulèrent ainsi lorsque le roi et son ministre revinrent à passer anonymement pour s’enquérir de la satisfaction de leurs sujets. Dès que Aya Kappan les vit, il se cacha derrière un arbre. Mais le roi s’approcha et lui demanda : « Pourquoi te caches-tu comme cela ? T’ai-je fait du tort ? » Aya Kappan lui dit d’aller son chemin, qu’il n’avait rien à lui dire. Le roi lui dit alors qu’il venait de très loin et qu’il avait très faim et Aya Kappan ne put faire autrement que le convier à entrer se restaurer chez lui. Pendant le repas le roi lui demanda à nouveau : « Pourquoi t’es-tu caché lorsque tu m’as vu ? » Cette fois-ci Aya Kappan lui raconta tout, sans omettre ses malheurs et son séjour à l’hôpital ; il lui montra même ses ecchymoses sur le dos. Le roi s’apitoya et, alors qu’ils mâchaient le bétel, il lui offrit une belle fleur. Aya Kappan la sentit et perdit tout de suite connaissance. Il fut transporté au palais.
Quand il se retrouva la lendemain matin au palais, Aya Kappan fut surpris. Il demanda au ministre qui vint le réveiller qui il était et ce qu’il faisait là. Le ministre lui répondit qu’il avait sûrement rêvé et qu’il ne se souvenait plus de lui. Alors Aya Kappan dit : « Pars et ne reviens pas. Je ne suis pas un roi. Je suis le fils d’un homme d’affaires. La dernière fois que je me suis cru roi j’ai été flagellé, tu peux voir les bleus que j’ai encore sur le dos. » Et il lui montra son dos. Le roi qui assistait à la scène caché derrière la porte ne put s’empêcher d’éclater de rire. Il s’approcha en disant : « Alors, comment vas-tu ? » Quand il entendit sa voix, Aya Kappan comprit que l’homme qui était venu par deux fois lui demander l’hospitalité n’était autre que le roi. Il se prosterna à ses pieds en répondant : « Je vais bien, votre Majesté ! » Le roi présenta Aya Kappan à la reine et lui donna une invitation permanente à venir au palais quand bon lui semblerait.

Dès lors, Aya Kappan prit l’habitude de venir de temps en temps et il tomba amoureux d’une servante. La reine vint à le savoir et en parla au roi, qui organisa leur mariage, fit construire une grande maison pour eux et leur prodigua tout le nécessaire afin qu’ils puissent vivre confortablement. Mais Aya Kappan dépensa tout l’argent, à tel point qu’il ne resta plus assez de ressources pour pouvoir se nourrir. Comme il était très astucieux, il élabora des ruses pour obtenir de l’argent du roi. Il demanda à son épouse de dénouer ses cheveux, de faire comme si son mari venait de mourir et d’aller demander à la reine de l’argent pour pouvoir procéder aux rites funéraires. La reine fut désolée et donna mille pièces d’or à la jeune veuve en lui demandant de revenir près d’elle.

La femme d’Aya Kappan retourna chez elle et donna l’argent à son mari. Alors, Aya Kappan dénoua ses cheveux, mit des habits négligés et alla voir le roi : « Votre Majesté ! Je menais une vie heureuse et sans souci familial. Mais vous m’avez donné cette servante en mariage et elle est morte subitement hier. J’ai dépensé tout l’argent que vous m’aviez donné en médicaments pour la soigner et il ne me reste plus rien pour accomplir la cérémonie funéraire. » Le roi fut affligé et lui donna mille pièces d’or. Puis il alla informer la reine de cela.

La reine, qui était fort éplorée par le décès du mari de sa servante, ne savait pas comment annoncer cette triste nouvelle au roi. Celui-ci arriva et lui dit : « Qui peut aller à l’encontre du destin ! Ses jours étaient comptés. Ne le prends pas tant à cœur. »
La reine répondit : « Elle n’aurait pas été mariée qu’elle aurait pu espérer vivre avec un pottu (marque de vermillon portée par les femmes mariées) sur le front. Nous la lui avons donnée en mariage et il est mort. »

Le roi fut interloqué : « C’est ta servante qui est morte et tu parles comme s’il s’agissait du décès d’Aya Kappan ! »
La reine répondit : « J’aurais été mille fois plus comblée si ma servante avait pu être heureuse sans ce veuvage à subir. Je lui ai donné mille pièces d’or pour régler les obsèques. »
Le roi dit : « Je n’y comprends vraiment rien ! Il y a à peine une demi-heure, Aya Kappan est venu et m’a dit que sa femme était décédée ! Je l’ai consolé et lui ai donné mille pièces d’or. » Il envoya alors un homme au domicile d’Aya Kappan pour connaître la vérité.

Dès que Aya Kappan vit l’envoyé du roi arriver, il demanda à sa femme de s’allonger sur le lit et commença à pleurer. L’homme constata cette situation et alla rapporter au roi que sa femme était morte et qu’Aya Kappan se lamentait. Lorsque la reine entendit cela elle fut très surprise et envoya à son tour l’une de ses servantes voir ce qu’il en était. Et lorsque Aya Kappan la vit approcher, il se coucha dans le lit et sa femme se mit à sangloter. La servante vit cela et partit dire à la reine que Aya Kappan était mort.

Le roi et la reine décidèrent d’aller ensemble sur place vérifier la vérité. Dès que Aya Kappan les vit venir, lui et sa femme s’allongèrent tous les deux sur le lit et feignirent d’être morts. Quand il furent près d’eux, le roi dit à la reine : « La femme est morte en premier et son mari l’a suivie. ». La reine répondit : « Non, ce n’est pas le cas. Si son mari décède, une femme ne peut pas supporter le chagrin et elle meurt après lui. »
Ils commencèrent à se disputer et finalement le roi dit : « À celui qui me dira la vérité je donnerai un village en récompense. » À ces mots, Aya Kappan se leva d’un bond et se prosterna aux pieds du roi en s’écriant : « Sire ! C’est moi qui suis mort le premier. » Au même moment, la servante se leva tout aussi vivement et tomba aux pieds de la reine en proclamant : « Madame ! Je suis morte avant mon mari. »
Le roi et la reine furent stupéfaits et Aya Kappan expliqua : « Votre majesté ! Veuillez m’excuser pour le tour que j’ai joué. C’est la pauvreté absolue qui m’a forcé à agir de la sorte. » Le roi fut très heureux de cet aveu sincère et lui offrit un village et des richesses. Aya Kappan et sa femme vécurent dès lors très heureux.

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Durant la période du Sangam (caṅkam) (du IIIème siècle avant J. C. au IIème siècle après J. C.) il était très fréquent que le roi fréquente librement le peuple, accompagné toutefois de ses gardes du corps et de ses serviteurs.

La personne du roi était entourée de beaucoup de faste et de majesté. Il était servi par « les huit corps de courtisans », qui sont les parfumeurs, les confectionneurs de guirlandes, les porteurs de bétel, les serveurs de noix d’arec, les armuriers, les valets de chambre, les porteurs de torche et les gardes du corps. Le roi portait une haute couronne de forme conique, en or et sertie de pierres précieuses, des bracelets en or sur les bras, un bracelet de cheville en or sur la jambe droite et un collier de perles ou de pierres précieuses. Assis sur le trône ou en procession hors du palais, il était toujours abrité d’une grande ombrelle décorée de guirlandes de perles. Dans ses déplacements, il montait généralement un éléphant ou un cheval ou se tenait dans un char tiré par des chevaux. D’énormes tambours résonnaient à l’entrée de son palais à l’aube et au coucher du soleil et des crieurs annonçaient l’heure régulièrement.

Une partie isolée du palais, dont les appartement étaient interdits aux hommes, était réservé à la reine entourée de servantes, nains, bossus et eunuques attachés à son service. Lors des apparitions publiques, elle siégeait sur le trône aux côtés du roi.

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