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Nosy-bé, un condensé de l’Histoire de l’océan Indien

Publié le 13 octobre 2009

Les Indiens à Nosy-Bé : Des boutres venus de loin, des expéditions maritimes de 1 à 3 mois... Le premier homme à avoir parlé de Nosy-Bé, dans ses écrits, est le Lieutenant-colonel anglais Robert Hunt. Cet Anglais qui prend comme titre, le Gouverneur d’Assada était aux ordres d’une société coloniale fondée en 1635, par un certain Sir William Courteen.

Lire aussi : L’histoire des premiers Karanes

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En 1650, il rêvait d’une part, d’entreprendre par l’Ouest la conquête de Madagascar, et d’autre part, il voulait faire de l’île de Nosy-Bé un entrepôt, d’où une équipe de « petits navires porteraient jusqu’aux Indes les produits du pays : sucre, indigo, gingembre, coton, tabac, poivre, céréales, bêtes à cornes, porcs, volailles, riz, haricots, patates, oranges, limons, ananas et le reste ; ils en rapporteraient les étoffes et les objets fabriqués, couteaux, arquebuses, ustensiles divers ».

Depuis cette histoire ce n’est que vers 1775, qu’on entend à nouveau parler de Nosy-Bé. Un Français, cette fois-ci, Nicolas Mayeur, venu vers 1750, à l’île de France (île Maurice actuelle), vient à Madagascar en 1762. D’abord, chef de traite, puis interprète du Gouvernement français, il semble être le premier Européen à pénétrer en 1771 à Tananarive. Au cours d’un voyage dans le Nord de Madagascar, entre 1774 et 1776, il visita donc Nosy-Bé.

Vers 1825, à Madagascar commence une nouvelle époque, celle de l’expansion des mérinas (les Hovas des Hauts Plateaux), qui sous la houlette de leur roi Radama 1er, puis sous le commandement de l’épouse et successeur de Radama 1er, Ranavalona 1ère, entreprenaient la pacification et la centralisation du royaume de Madagascar, en guerroyant contre les peuples côtiers (les Sakalavas), à seule fin d’obtenir leur soumission. Ce projet d’expansion territoriale et politique a été mis en place par Andriananpoinimérina en 1824. A cet effet, le poste de Fort Dauphin que la France possédait jusqu’en 1825, a dû être abandonné à la suite de son occupation par les Hovas, dans le cadre de l’unification politique entamée par le roi Radama 1er. La France ne possédait donc plus de port de relâche, ni de ravitaillement à Madagascar, d’autant plus que les rades vagabondes de Saint-Paul, Saint-Denis, et Saint-Pierre à l’île de La Réunion, n’étaient pas équipées. La France était donc à la quête d’un point stratégique intéressant, où pourrait être fondé un nouvel établissement « sur lequel le pavillon français, flottant à nouveau, rétablirait notre prestige, fortement ébranlé dans cette partie de la mer des Indes ».

Il ne faut pas oublier les objectifs de départ de l’idéologie coloniale de la France sur Madagascar. La France avait déjà tenté sous Louis XIII et Richelieu, une première tentative qui avait permis au sud de Madagascar, l’établissement d’un comptoir dès 1642 à Fort Dauphin sous la direction des Gouverneurs Pronis, puis Etienne de Flacourt, travaillant pour la Compagnie de Madagascar et de la Compagnie Française des Indes orientales fondées par le cardinal de Richelieu. Cette tentative s’est soldée par un échec à Fort Dauphin, à cause de la révolte de la tribu des Antanosy, et… cet échec a eu pour suite, la mise en place d’une colonisation, à partir de 1664, de celle qui va sortir de l’ombre - et qui va passer d’un simple îlot où les navires faisaient une halte à un statut de Colonie de plantation puis d’habitation - cette île, c’est l’Ile de La Réunion anciennement connue sous le nom de l’Ile Bourbon, dont la Compagnie des Indes - fondée par Colbert sous Louis XIV - va prendre possession.

Les deux échecs de la colonisation de Fort Dauphin, en 1642 puis en 1674, ont en fait permis la colonisation de l’Ile Bourbon. Le fort construit par les Français sous la direction de Flacourt, et qui devait les protéger des agressions de la tribu des Antanosy, existe toujours. Ses ruines sont là. J’ai pu le voir lors de mon voyage à Fort-Dauphin en juillet 2008. Il est placé au-dessus de la baie Dauphine, d’où d’ailleurs sont partis, les premiers colons et malgaches qui allaient devenir les fondateurs des familles à La Réunion.

Donc, vous voyez, mes chers lecteurs, ce qui est intéressant dans l’histoire, ce sont les anecdotes insolites et vivantes ! Le comptoir de Fort-Dauphin portait le nom du dauphin (le futur Louis XIV), alors que le roi soleil n’y a jamais posé les pieds !

Les réfugiés ou les exilés de Fort-Dauphin (malgaches et colons) vont donner naissance en 1646 aux ancêtres des Réunionnais ! Pour la quête identitaire, c’est intéressant de le savoir. De 1642 à 1674, 32 années d’efforts inutiles, d’échecs et de mort brutale, miséreuse - sous l’attaque des fièvres paludéennes ou le fer pointu des sagaies, la lame des haches et de sabres - ont eu pour seul fruit, la colonisation de Bourbon dont l’Histoire coloniale commence dorénavant, et qui sera ancrée définitivement dans l’histoire de France ! Bourbon deviendra une colonie de peuplement, puis d’exploitation, pour enfin terminer département en 1946… Mais ça, c’est peut-être une autre histoire…que je laisse pour les historiens et romanciers de l’île de La Réunion.

Nous pouvons aussi par ailleurs, préciser que dans l’idéologie coloniale française, le grand rêve de la conquête de Madagascar, obéissait à des motivations parisiennes jacobines, beaucoup plus fortes et ambitieuses. En effet, dans le cadre des rivalités coloniales entre l’Angleterre (qui avait installé et étendu son Empire aux Indes orientales), et les Français (qui s’intéressaient également à l’Inde et à l’Afrique), la course aux colonies et à l’hégémonie continuait. Le but initial pour les cadres français, était de former des soldats malgaches capables de contrarier l’impérialisme anglais aux Indes. Ils voulaient utiliser Madagascar, comme plateforme coloniale. Les Français rêvaient de l’Inde où ils avaient déjà, des comptoirs comme Karikal, Pondichéry, Yanaon, Mahé et Chandernagor. Ils voulaient dans la course aux colonies, avoir une plus grande part aux Indes qui devenaient progressivement britanniques.

Un peu comme Faidherbe au Sénégal, qui va, un peu plus tard, former des tirailleurs qui serviront pour la Première Guerre mondiale (1914-1918), la France avait comme projet, peut-être dès le XVIIIème siècle (un projet qui évidemment resta obsolète), de former des militaires malgaches pour aller contrer les Anglais en Inde. En effet, en Inde, les rivalités entre la France et l’Angleterre étaient très visibles aux XVIIIème et XIXème siècles.

Quelques Européens avaient pu prendre pied en Asie : les Espagnols aux Philippines, les Hollandais à Java. Ils n’avaient pu installer des comptoirs en Chine et au Japon qu’avec beaucoup de difficultés. Ils furent plus chanceux en Inde, à cause de l’affaiblissement de l’autorité mongole, et des rivalités continuelles des princes hindous. Les Anglais installèrent des comptoirs à Madras, Calcutta, Bombay. Il ne faut jamais oublier que depuis Marco Polo, Christophe Colomb, l’Inde a toujours été un rêve d’Eldorado dans l’imaginaire européen. Ce pays asiatique, sa culture millénaire, son architecture, son élégance, son art culinaire, ses costumes, son savoir-vivre, sa société presque féodo-vassalique avec le pouvoir des Maharajahs, ses épices qui servent d’alicaments, ses belles et élégantes femmes souriantes, en sari et en punjabi, ont toujours fait fantasmer les hommes, surtout en Europe !

Alexandre le Grand, le grec-macédonien, à l’époque hellénistique, avait déjà parcouru une partie l’Indus. Un peu plus tard, le rêve indien était toujours présent dans la conscience collective des Européens. Le Devisement du Monde ou le Livre des Merveilles de Marco Polo, a eu un grand retentissement à l’automne du Moyen Age, aux XIVème et XVème siècles ! Bien avant Marco Polo, Alexandre le Grand avait aussi des ambitions indiennes. Christophe Colomb lui-même, sachant que la Terre était ronde, voulait bien aller en Inde par l’Ouest…suivi de Vasco de Gama et bien d’autres explorateurs et navigateurs…L’Inde a toujours été présente dans l’imaginaire et les rêves des hommes !

Les Français installèrent aussi quelques comptoirs de commerce, à Pondichéry et Chandernagor essentiellement. Ces comptoirs pratiquaient la politique commerciale traditionnelle de troc, jusqu’au jour où des initiatives locales de directeurs de compagnies de commerce développèrent, les circonstances aidant, une véritable colonisation. Le Français Dupleix réussit à étendre son influence sur presque tout le plateau du Dekkan, inquiétant beaucoup les commerçants anglais. Dupleix commença sa carrière en Inde, en dirigeant le comptoir de Chandernagor. Connaissant admirablement le pays et sa langue (sa mère était née aux Indes), se mêlant à la politique locale, il établit un contact fructueux avec les princes hindous. C’est ainsi qu’il put étendre, peu à peu, l’influence de sa Compagnie dans le pays, sans aucun secours de Paris et sans même demander d’avis. Toutefois, Dupleix fut désavoué par sa Compagnie qui le rappela, pour éviter tout conflit avec les Anglais.

La guerre de Sept ans, entre la France et l’Angleterre, provoqua l’envoi en Inde d’une petite armée française, commandée par Lally Tollendal en 1756. Celui-ci fut assiégé par les Anglais dans Pondichéry, et dut capituler. Le Traité de Paris de 1763 laissait à la France cinq comptoirs en Inde, mais lui interdisait toute expansion territoriale. Les Anglais eurent alors les mains libres pour étendre leur domination sur le Bengale, qui fut acquis par Robert Clive, puis sur la vallée du Gange, contrôlée par Warren Hastings. La Compagnie anglaise de l’Inde administrait ces pays sous l’autorité d’un Conseil de Contrôle, résidant à Londres et nommé par le roi, qui désignait aussi le directeur de la Compagnie. Ainsi, à la fin du XVIIIème siècle, l’impérialisme colonial britannique l’avait emporté partout sur son concurrent français. Ces derniers ne gardaient de colonies importantes que dans les Mascareignes et aux Antilles.

Donc, le XVIIIème siècle, voit se constituer dans le monde des systèmes coloniaux européens, basés sur l’exploitation du commerce et des plantations esclavagistes. La rivalité des Français et des Anglais, est particulièrement vive aux Antilles. Les Français, au cours de guerres coloniales acharnées, perdent leurs possessions d’Amérique du Nord et leur influence en Inde. L’Empire colonial anglais est fondé. Il domine les mers et les océans.

Quant à Nosy-Bé, il est à souligner aussi qu’avant 1840, cet espace insulaire portait les noms de Sada et ensuite de Vario Bé. Aux XIIème et XIIIème siècles, Marodoka (ou Ambanoro) était établi comme comptoir arabe et centre de traite et trafic d’esclaves. Habitée, principalement par les Sakalava Bemihisatra, la ville de Marodoka devint une ville cosmopolite car des Arabes, des Africains (Makoas) et des Indiens y cohabitaient. Après Marodoka, Nosy-Bé avait transféré sa capitale à Tafondro qui était aussi le fief des tribus Antakarana ou Zafimbolafotsy. Le prince Kozobe succéda à la reine Ambary (1609-1639) ancêtre éponyme et fondateur du royaume Antakarana. Après sa mort, sa fille aînée la reine Soanaomby et son fils, le prince Andriamaitso (1639-1689), ont pris la relève. Le roi Andrianampela a régné de 1689 à 1692. Le village qui était le centre commercial et économique, restait jusqu’en 1840, la petite localité d’Ambanoro encore appelée Marodokany. Le reste de l’île n’était encore pas, ou très peu exploitée. Marodoka demeurait l’endroit où arrivaient les boutres. Ce village était le poumon économique de l’île au XIXème siècle. Une population de tendance religieuse musulmane dominait et domine toujours dans ce village. De nombreuses mosquées (certaines sont encore fréquentées, d’autres sont abandonnées) témoignent d’ailleurs de cette effervescence liée aux va-et-vient des boutres arabes, comoriens et indiens.
A peu près à la même époque, poussés par les vents de la mousson d’hiver (soufflant de décembre à avril), les premiers Indiens, sujets britanniques de la région du Gujerat (Inde anglaises), arrivent dans des boutres, dans la rade d’Ambanoro à Nosy-Bé, après avoir fait escale en Afrique de l’Est et surtout à Zanzibar ou à Mombassa. De mai à novembre, les vents de la mousson d’été permettaient aux boutres indiens de faire le voyage dans le sens inverse.

Ces boutres qui étaient des lourds navires à mât unique, penché en avant avec une grande voile latine et un château arrière pouvant remon-ter au vent, étaient trop lourds pour doubler le Cap d’Ambre, et de plus, la navigation sur la côte est de Mada-gascar était rendue très aléatoire, du fait d’une forte houle de cyclones, de tempêtes, et de manque d’abris sûrs. Donc, les boutres longeaient les côtes arabes, puis africaines et arri-vaient dans la rade d’Ambanoro à Nosy-Bé où les indiens commencèrent à s’installer progressivement. Depuis 1876, la reine Victoria été proclamée Impé-ratrice des Indes. Les Indiens deviennent alors des sujets britan-niques. La présence des Indiens et plutôt des boutres originaires du Golfe de Cambay, faisant du com-merce de cabotage dans l’océan In-dien était déjà signalée par Vasco de Gama en 1498, dans son journal de bord. En 1508, un Amiral portugais, Lopes de Sequeira - mouillant dans le Sud malgache - a aussi signalé la présence des Indiens. En 1775, Nicolas Mayeur - commerçant français à Madagascar - constate la présence des Indiens également.

Leurs descendants qui vont s’établir à Ambanoro (village swahili de Nosy-Bé), seront les fondateurs des grands lignages indiens « Kara-nas » dont les héritiers sont présents aujourd’hui dans toute l’île de Mada-gascar et même ailleurs (à La Réu-nion ou en France par exemple). Le plus vieux cimetière indien date de 1850, si on se réfère à la date inscrite sur l’épitaphe de la première tombe, encore visible à Ambanoro (Nosy-Bé), ainsi que la mosquée de Nosy-Bé totalement en ruine, datant à peu près de 1870. J’ai eu l’occasion en 1999, en 2000, et en 2005 de visiter tous ces sites et à Ambanoro, j’ai été aidé par des guides, qui vivaient dans ce village depuis les années 1920, et qui connaissaient toute l’histoire et l’évolution de ce village. La digue où accostaient les boutres en provenance de l’Inde, existe toujours dans le village d’Ambanoro. Elle est un des rares vestiges qui témoigne de l’arrivée des Indiens commerçants dans ce village assez isolé de l’île.

Les premiers Indiens ont été d’emblée, bien considérés par l’administration coloniale française présente sur l’île de Nosy-Bé. Cer-tains ont même exercé des postes-clés comme douaniers, ou exploitants agricoles. D’autres ont migré vers les contrées éloignées, parcouru les villages alentours, pour fructifier leurs esprits mercantiles. Les Indiens ont tout de suite été considérés comme une strate intermédiaire entre les colons français et les Malgaches. Par exemple, après le départ des Alle-mands de Nosy-Bé en 1914, certains Indiens ont acheté même les entre-prises allemandes. Leur politique mercantile, leurs qualités d’aventuriers aimant les risques, leurs capacités d’adaptation dans des contrées inconnues, leur maitrise de la langue anglaise, française et mal-gache, ont permis aux ressortissants de la première diaspora indienne, d’être bien vus par les colons fran-çais. Ils ont même pratiqué la spolia-tion des terres malgaches. Cette pra-tique était un peu tolérée par l’administration coloniale française présente sur l’île. La confiscation des terres des pauvres paysans malgaches par certains karanas, a permis à ces derniers de fructifier, illégalement leurs entreprises sur plusieurs générations.

Cependant, les Indiens ne se sont pas réellement intégrés à la so-ciété malgache. Leurs relations avec les Malgaches se sont limitées à des rapports de concubinage ou à des échanges commerciaux. Rares sont les Indiens qui se sont métissés. Après le départ des Français en 1960, les Indiens ont souvent été victimes des crises économiques. En effet, dans un pays où la misère règne et la colère du peuple gronde, ils consti-tuent avec les Chinois, « un îlot de richesse dans un océan de pauvreté ». Leur manque d’intégration dans les sociétés malgaches et leurs vies communautaires en vase clos, ont fait d’eux « des boucs émissaires naturellement trouvés ». Le métis-sage serait un des points positifs de leur intégration. Ce métissage est ralenti par un état d’esprit communautaire aujourd’hui devenu presque religieusement sectaire.

Il ne faut jamais oublier qu’avant et peut-être parallèlement aux Arabes (qui faisaient du com-merce tout au long de la côte orien-tale africaine), les Indiens (qui avaient une marine commerciale as-sez puissante), et les jonques chi-noises étaient bien présents dans l’océan Indien et dans le canal du Mozambique. Les écrits de Vasco de Gama, navigateur portugais, nous le prouvent aussi. Les Indiens faisaient donc du commerce de cabotage, de côte en côte. Leur point de chute res-tait l’île de Zanzibar, qui à en croire une émission télévisée diffusée en 2008, garde encore des traces de la présence des Indiens en Afrique de l’Est. Ceux qui sont arrivés à Mada-gascar, et notamment à Nosy-Bé, dès les années 1850, sont venus volontairement, dans le cadre d’une immigration spontanée, et par vagues successives. Au cimetière abandonné d’Ambanoro, où reposent éternelle-ment les pères fondateurs des grands lignages indiens de Madagascar, on peut voir la première tombe qui date de 1850 et la dernière tombe qui date de 1946.

D’après Jacques Bousiges, So-phie Blanchy et Sophie Romeuf-Salomone, les Indiens étaient 26 en 1868, 200 en 1875, 511 en 1905, 520 en 1908, 569 en 1911, 494 en 1925 et 352 en 1939 à la veille de la Se-conde Guerre mondiale sur l’île de Nosy-Bé. Fuyant la crise démographique, les disettes, les famines, les sècheresses et les épidémies qui frappèrent l’Inde à la fin du XIXème siècle, ces Indiens allèrent chercher à Nosy-Bé, des moyens d’existence, d’autant plus qu’un décret du roi malgache Ra-dama 1er, datant du 18 juin 1825, permettait aux Anglais et aux sujets anglais de résider à Madagascar et à faire du commerce.

Ils sont venus par vagues successives mais volontaires des villages indiens de Kathiawar, du Gujerat, de Jamnagar, de Bombay, de Surat, de Rajkot, du Kusch-Mandui ou Porbandar. C’est par le biais d’une immigration spontanée, individuelle puis familiale que s’est constituée la congrégation indienne de Nosy-Bé depuis la fin du XIXème siècle jusqu’au début du XXème siècle (1920). Les Indiens étaient 303 en 1999 et il doit actuellement, en rester quelques 150 individus. Ceux qui sont français ont quitté l’île dans les années 1970, puis dans les années 1980. Arrivés à Nosy-Bé avec la na-tionalité britannique, depuis que la reine Victoria a été proclamée Impératrice des Indes en 1876, ils ont acquis la nationalité française de plein droit par les décrets français applicables dans les colonies, de 1928 et 1933, permettant aux étrangers, en l’occurrence, les in-diens anglais, d’obtenir la nationalité française. En effet, si l’on regarde le code juridique applicable dans les colonies, on peut y observer l’évolution des décrets.

On identifie, pour des raisons fonctionnelles, les Indiens Karanas par le terme « Indopakistanais ». Leurs ancêtres étaient en effet, origi-naires d’une région, qui est à la fron-tière de l’actuel Pakistan et de l’Inde. A l’époque, cette différenciation n’apparaissait pas, puisqu’on parlait plutôt de « l’Empire des Indes an-glaises qui comprenait le futur Pakistan et l’Inde, tous les deux, nés en 1947, sans oublier, le Pakistan oriental né en 1972, plus connu sous le nom (Bengladesh) ». Ces Indiens, qui étaient des sujets britanniques, sont de confession musulmane. Toutefois l’identité culturelle dominante reste quand même de ten-dance hindouiste. Les décombres de ces maisons (la maison Soundera par exemple), en ruine sont visibles à l’entrée du village d’Ambanoro.

Signalons aussi que pour les Indiens de confession musulmane, une mosquée a été construite en 1870, dans le même village de Marodoka. Cette mosquée, marque d’un Islam modéré sur une terre africaine, est aussi visible. Elle a été totalement abandonnée depuis 1952, date à laquelle les derniers Indiens installés à Hell-Ville, ont migré vers cette ville, qui allait devenir le centre d’animation économique, commer-ciale et politique de l’île de Nosy-Bé.

La route, qui relie Hell-Ville à Ambanoro, s’est désagrégée avec le temps. Elle est difficilement prati-cable. Ambanoro ou Marodoka reste donc assez isolé. Des communautés descendantes des africains swahilies y vivent, pratiquement en autarcie. On met presque une heure dans une vieille Renault 4L pour effectuer 6 ou 7 kilomètres. Il faut patienter en écoutant les bruits des boulons des-serrés, et des amortisseurs usés, sans oublier les secousses qui vous font remonter l’estomac à la gorge, et les intestins dans le crâne ! Tout est adaptable. C’est le règne de la dé-brouillardise. Comme le disait Lavoi-sier, « Rien ne se perd, rien ne se créée, tout se transforme ! ».

Eh oui, Nosy-Bé, c’est aussi le cimetière vivant et ambulant des voi-tures occidentales et asiatiques. Elles ont une nouvelle vie ! La réincarna-tion de toutes les âmes automobiles, celles qui n’obtiennent plus leurs visites techniques en France, celles qui ne se vendent plus dans les concessions réunionnaises, celles dont on ne retrouve plus les pièces. Elles revivent toutes à Nosy-Bé. Certaines ont droit à un nouveau moteur, d’autres à une carrosserie en tôle galvanisée, partiellement ou totalement renouvelée. Elles ont le droit d’avoir une énième vie. Elles ressuscitent, elles se réincarnent, et ne connaissent jamais les trompettes du Jugement dernier. Pour elles, la naissance d’Adam et le Big-bang sont tellement loin. Leurs moteurs explosent tous les jours, et elles démarrent au quart de tour. Certaines n’ont plus de balais d’essuie-glaces, d’autres n’ont plus de feux arrière, ni de freins ou de pare-brises. Elles roulent, et font des kilomètres. Le compteur est fatigué, le temps s’est arrêté. Comme les reines, femmes des pharaons égyptiens, elles respirent et connaissent l’éternité. Entre les charrettes de zébu et les vespas ou les Honda camino, on peut voir en-core les vieilles et séduisantes Renault, les antiques et craquantes Peugeot, les séculaires et rustiques Citroën, les aïeules charismatiques des Toyota ou les ancêtres des belli-queuses Jeep et des offensives Land Rover, sans oublier, les nouvelles venues comme les fragiles coréennes comme les Daewoo ou les Kia !

A la même époque, et plus précisément à La Réunion, le Contre Amiral de Hell, d’origine alsacienne, avait été promu Gouverneur de l’île. Il était arrivé le 5 mai 1838 à La Réunion, et remplaçait le Gouver-neur Cuvillier. En octobre 1841, il fut remplacé par le Gouverneur Ba-zoche. Pour la petite précision, nous sommes en France sous la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe 1er, Roi des Français depuis 1830. Cette monarchie de Juillet va prendre fin en 1848. L’amiral de Hell donnera son nom à deux villes : Hell-Bourg à Salazie (île de La Réunion) fondée en 1841, tant connue des réunionnais et… une autre, peut-être un peu moins connue…….Hell-Ville, sur l’île de Nosy-Bé ! Cette anecdote historique est vraiment captivante, pour tous ceux qui veulent com-prendre l’Histoire complète de l’océan Indien, sans se focaliser uniquement sur l’île de La Réunion.
Les Historiens à la Réunion, devraient d’ailleurs donner une di-mension davantage régionale qu’insulaire à leurs recherches. L’histoire de La Réunion ne peut s’expliquer, qu’en analysant, de plus près les histoires des autres îles, et le Réunionnais pourrait ainsi com-prendre qui il est, et finir sa quête identitaire, qu’en regardant et qu’en acceptant plus aisément les interfé-rences culturelles qui ont marqué son espace insulaire... Il est peut-être ve-nu le temps de s’intéresser de plus près, aux autres îles de l’océan In-dien, et non plus, seulement se focaliser exclusivement sur l’histoire de La Réunion. Il est peut-être venu le temps de sortir du « nombrilisme culturel et historique » en ce qui con-cerne les domaines de la recherche historique, ethnologique et géogra-phique, et de s’intéresser davantage, aux autres espaces insulaires de l’océan Indien, dont l’histoire, mérite d’être également connue du grand public.

L’Histoire de La Réunion est très attachante mais, il faut avoir maintenant une vision panoramique, une ouverture régionale et océanique pour pouvoir la comprendre davan-tage, et mieux l’appréhender. L’ouverture régionale qui fera dépas-ser l’insularité permettra aux Réu-nionnais d’aboutir, dans leurs quêtes identitaires et de comprendre enfin qui ils sont, et comment est construite leur Histoire. Comme le répétait souvent, le Professeur d’Histoire Contemporaine Yvan Combeau, « l’Histoire est faite du rapport passé sur présent ».

J’aime beaucoup l’île de La Réunion, une île qui est ancrée dans l’océan Indien, où baignent, dans le blanc des vagues, entre le bleu de la mer et le rouge du volcan, les peurs des uns, et les espoirs des autres. L’Histoire de cette île splendide, an-ciennement appelée Bourbon ou île Bonaparte, renferme presque 400 années de chroniques politiques, économiques, sociales, remplies d’événements que chaque Réunion-nais natif ou adoptif ne doit plus nier, ni ignorer. Au contraire, j’incite chaque Réunionnais à connaitre son passé et les « splendeurs et les mi-sères » de l’histoire de son île, car aller sur les traces de son passé, c’est apprendre à se connaître soi-même, pour pouvoir affirmer et comprendre mieux son identité culturelle, son identité nationale et sa fierté fran-çaise, sa notoriété et son apparte-nance européenne en tant que citoyen de région ultra-périphérique européenne, sans pour autant oublier ses racines africaines, malgaches ou ses influences asiatiques, qui contribuent à sa construction identitaire et mentale, et qui vont lui apprendre à relativiser les échecs, à en tirer les leçons, tout en persévérant dans ses efforts et prospérant dans ses ambitions et ses rêves pour demain. Le nouvel en-gouement pour la généalogie, est un bon début, pour les Réunionnais, dans le cadre, non seulement de la recherche historique, mais aussi et surtout de la quête identitaire, d’aboutir dans l’affirmation et la construction de la personnalité, et, dans la compréhension et la tolérance des autres.

L’Histoire est faite du rapport passé sur présent et, c’est en s’intéressant à son passé, aux ri-chesses liées aux interférences cultu-relles que l’on peut préparer mieux, et construire avec sagesse et ouverture, son futur. La prise de conscience de son ignorance est, pour chacun d’entre nous, un premier pas accompli vers la connaissance, l’intégration, l’acceptation de l’autre aussi différent soit-il, et le début d’une vraie réflexion sur les sens de la tolé-rance, la fraternité entre les peuples et de la notion d’humanité.

Notons au passage cette petite pensée méthodologique : c’est la vi-sion globale et panoramique large, qui permet de comprendre un point précis et non le contraire. Pour la construction identitaire, pour la com-préhension de l’Autre, il est toujours attachant de voir son Histoire, car cela permet de se découvrir soi-même et de se comprendre soi-même, pour construire sa propre identité.

Je souhaite juste terminer ce travail sur Nosy-Bé, en soulevant un pro-blème d’ordre épistémologique. Il est vrai que le sujet que je viens de traiter est un sujet d’étude qui touche à l’Histoire contemporaine, récente voire immédiate et qui s’inscrit donc un peu dans le cadre de l’Histoire du Temps Présent. J’ai pu constater au cours de mes recherches, et lors de l’établissement de la bibliographie, que ce thème sur Nosy-Bé, n’avait pratiquement pas été travaillé. L’Histoire de Nosy-Bé demandait donc une synthèse que j’ai essayée d’accomplir, en essayant de concilier le mieux possible, d’un côté, la pas-sion du cœur et de l’autre côté, la démarche scientifique rationnelle. Ce n’était pas une chose facile, car il m’est évidemment très difficile de rester totalement objectif.

Le champ d’enquête et les portes du chantier d’investigation sont encore largement ouverts à la recherche historique. L’histoire de l’île de Nosy-Bé et de ses habitants, s’inscrit aussi dans une approche anthropologique. Elle reste donc à écrire… et à réécrire. Toutes les thé-matiques et les problématiques res-tent demandent à être développées. Pour utiliser un langage métapho-rique, si les champs laissés en jachère attendent depuis longtemps le renouveau des labours, nombreux sont les domaines qui attendent le premier essartage. Ces champs d’étude deviennent très captivants pour les chercheurs qui veulent explorer, défricher et s’aventurer par passion, à la quête de l’inconnu et des nouvelles trouvailles, vers des nouvelles pistes.

Au niveau historiographique, la démarche qui inscrit le sujet dans l’Histoire du Temps Présent, est en pleine mutation. Elle touche aux sources variables et aux résultats peut-être qui deviennent très vite obsolètes et éphémères. Néanmoins, cette démarche est très fructueuse, enrichissante pour ceux et celles qui veulent mettre leur passion et une partie de leur cœur, au service de l’Histoire et de la recherche universi-taire.

Enfin, une dernière chose, que je tiens à dire quand même. Il n’y a pas d’histoires différentes et indépendantes des îles de l’océan Indien. Il y a une grande Histoire de l’océan Indien, dans laquelle s’inscrivent des histoires parallèles et interdépendantes des différents pays ou îles de l’océan Indien. Il y a une Grande Histoire coloniale de l’océan Indien, et non, plusieurs histoires indépendantes et isolées des différentes îles. Pour comprendre un petit point, il faut s’intéresser à l’ensemble d’abord, en prenant évidemment en compte le brassage des populations, les idéologies coloniales des puissances euro-péennes, les flux de populations et les réseaux d’échanges maritimes, les choix politiques et économiques heureux ou malheureux, des différentes îles de cet océan, à un moment donné de leur histoire, le contexte international et les pressions décisionnelles des pays anticolonialistes, et enfin, la lutte d’hégémonies et les rivalités coloniales entre les pays européens.

Pour terminer par un exemple flagrant, on ne peut par exemple comprendre, le choix de la France et l’évolution statutaire, politique et économique de l’île de La Réunion qui en découle, sans chercher à com-prendre l’histoire de Madagascar, mais aussi celles de l’Inde, de Mau-rice ou des Seychelles, sans oublier, celle de l’île de Nosy-Bé ou encore l’île Sainte-Marie, mais aussi le con-texte international, et l’histoire des grandes rivalités pour la lutte d’hégémonie, entre les puissances européennes, des rivalités his-toriques, géostratégiques et géopolitiques incontestables, qui ne datent pas seulement du XXIème siècle. Ce sont donc, des destinées parallèles, mais surtout intercomplémentaires, pour la com-préhension de l’histoire générale de l’océan Indien, dont les flots des vagues et les abysses, renferment à tout jamais les vrais secrets…

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