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Village de la diaspora réunionnaise : compte rendu des débats

Publié le 15 octobre 2009

Après les discours inauguraux dans l’hémicycle du conseil général*, en présence d’élus et de chefs d’entreprises partenaires, un débat a eu lieu pendant deux heures, au cours duquel les sujets centraux touchant les Réunionnais expatriés ont été abordés. Beaucoup de doigts étaient levés pour des prises de parole parfois ponctuées d’applaudissements. Un débat riche et qui est entré dès le début au cœur du sujet.

photo : Betty Cerveaux-Mayer
Séance inaugurale du 1er village de la diaspora réunionnaise.

Le 14 octobre 2009

La question du retour au pays arrive dès le début du débat, Marie-Suzelle Chapelan (restauratrice vivant depuis 35 ans à Lyon), soulignant la souffrance ressentie lors de certaines de ses rencontres avec des Réunionnais de métropole, affectés par la distance, le déchirement familial et par « l’impossibilité » de rentrer.

Kathy Carime-Jalime (conseillère à la mairie de Paris) suggère la possibilité d’un accompagnement au retour par les collectivités réunionnaises.

Yann Mondon (chef d’entreprise à Bordeaux) se considère « choqué » par certaines comparaisons. Prenant l’exemple des Corses, il précise que ceux-ci payent moins cher leur billet d’avion pour rentrer au pays, et payent aussi moins d’impôts par la suite. Il propose également la rédaction d’un manifeste pendant le Village de la diaspora avec des propositions très concrètes à porter auprès des décideurs.

Margaret Robert Mucy s’engage à prendre en main ce manifeste et à le soumettre aux politiques.

Daniel Hurel (dirigeant à Paris) propose la création de groupes de travail sur les sujets centraux – retour au pays, prix des billets, etc. – pour la rédaction du manifeste.

Daniel Sangouma, (ex champion d’athlétisme rentré à la Réunion en 2002) précise qu’il n’avait pas fait le choix de partir étant enfant. Il s’est battu pour rentrer. Pour lui, Diaspora est un mot fort, source de fierté.

Betty Cerveaux-Mayer (investie dans la vie associative et culturelle réunionnaise à Paris, membre de l’Association réunionnaise culture et communication) a participé aux ateliers des Etats généraux de l’outre-mer dans l’hexagone. Elle souligne que le concept de « préférence à l’embauche » pour les originaires d’un territoire concerne tous les Doms et non pas seulement la Réunion. Il faut s’organiser selon elle à l’échelle des organisations et de la représentation domienne pour appuyer cette revendication. Mais elle regrette le fait que les Réunionnais s’investissent trop peu dans la vie publique et les débats organisés en métropole (ministère, mairie de Paris, etc.), étant souvent très peu nombreux au milieu d’une masse d’Antillais.

Margaret Robert Mucy (chef d’entreprise et chasseur de tête aux Antilles, de retour à la Réunion depuis 3 ans) revient sur l’exemple antillais. Là-bas, il y a une conscientisation générale sur la valorisation des compétences locales. A compétence égale, la préférence régionale doit primer. Une ligne de conduite qu’elle applique dans ses recrutements à la Réunion.

Guillaume Huet (consultant à Paris, ayant beaucoup vécu à l’étranger et en Asie) a confronté sa vision à d’autres « diasporas ». Ce concept lui évoque en premier lieu la diaspora chinoise, très organisée partout dans le monde et les notions de solidarité et de réseau qui font parfois défaut à la diaspora réunionnaise. Il se souvient par ailleurs d’une discussion avec un dirigeant français installé en Chine, qui justifiait le fait du recours à des cadres français dans ce pays par le fait qu’ils sont plus « faciles à contrôler » que les cadres locaux. Mutés pour 2 ou 3 ans, moins revendicateurs, les « expat » peuvent être déplacés facilement en cas de problème dans leur travail. Même s’ils sont parfois moins compétents que des cadres locaux, l’embauche d’expat pour les postes à très haute responsabilité est plus commode pour certains grands groupes internationaux. Guillaume se souvient également de son retour en France après une longue période à l’étranger. Un retour compliqué, devant affronter la « jalousie » de certains collègues. Il faut alors faire l’effort de se réadapter, de l’humilité et prendre le temps de reconstruire sa vie.

C’est alors qu’Ahmed Adame (PDG de Adamelec à la Réunion, entreprise partenaire du Village de la diaspora) prend la parole et donne son point de vue de chef d’entreprise sur l’île. Prenant son exemple (il a peu de diplômes), il souligne le fait qu’il y a encore peu de temps, les ingénieurs et « gros calibres » réunionnais étaient très peu nombreux. Ce type de profils est encore aujourd’hui très rare et difficile à recruter, les expatriés réunionnais ne souhaitant pas toujours revenir sur l’île. Il insiste sur le fait que la Réunion est une île jeune, à l’histoire récente et que « tout cela est nouveau » (des générations de haut diplômés) et mettra un peu de temps à être intégré par la société. Enfin, les comparaisons avec les Corses et les Antillais sont pour lui inopérantes car les Réunionnais sont un peuple doux, qui préfère la patience au passage en force.

Jonas (sapeur pompier ayant finalement réussi à rentrer à la Réunion) raconte son expérience. Il considère qu’aujourd’hui les jeunes ont beaucoup de chance car ils bénéficient du financement et de l’accompagnement des collectivités. Lui a quitté l’île avec le BUMIDOM à la fin des années 60, en bateau « 3e cale ». Son voyage vers la métropole a duré un mois et était pour lui une aventure. L’arrivé très difficile, les gens le prenant pour un « bougnoule ». Il a croisé pendant ses 26 ans d’exil beaucoup de Réunionnais désespérés, alcooliques ou suicidés qui n’avaient pas les moyens de rentrer sur l’île. A la fin, il avait froid en travaillant. Son retour, demandé depuis plusieurs années, a fait l’objet d’un conflit syndical, la direction des sapeur pompiers préférant embaucher un « zoreil » ayant le même grade plutôt que lui.

photo : Betty Cerveaux-Mayer

Eric Chane Po Lime (indépendant dans les assurances à Montréal – un pays où il fait froid !) apporte le point de vue « nord-américain » sur la situation. Pour lui il y a eu et il y aura toujours des difficultés et des échecs, mais il vaut mieux regarder les succès pour avancer. Et s’en inspirer… La Réunion est jeune, elle évolue vite et progressera de façon pragmatique en se servant des expériences qui ont marché ailleurs. Le retard réunionnais pourra se rattraper selon deux axes : un effet de groupe (entrainement collectif dans une même direction) et un effort de compréhension sur ce qui se passe et fonctionne bien ailleurs.

Laurent Dennemont (cadre en Belgique et européen convaincu) revient sur ce qui a été dit sur la préférence régionale à l’embauche. Pour lui on ne peut pas légiférer sur ce point, ce serait même illégal. Plutôt que de revendiquer, il vaut mieux agir sur des points sur lesquels nous avons prises, comme la construction et le renforcement du réseau.

Jules Lucas (chargé de mission dans une administration à la Réunion) insiste alors sur le rôle d’ambassadeur de chacun des expatriés présent dans l’hémicycle : « Vous êtes tous des modèles, des lumières qui nous guident. Que les fleurs réunionnaises fleurissent partout où elles sont portées » (Florebo quocumque ferar – devise de la Réunion). Pour le réseau tout reste à faire. « Yes you can ! »

Sandra Dosoruth (directrice financière dans une collectivité en Seine Saint Denis) est partie de la Réunion par choix il y a 10 ans. Aujourd’hui elle veut rentrer mais elle n’est plus toute seule : elle a une famille. Pour éviter les déchirements familiaux, les pouvoirs publics devraient selon elle consacrer des moyens pour accompagner les retours. Par ailleurs elle souligne que les expatriés devraient être informés des recrutements sur l’île et qu’ils pourraient y apporter leur contribution.

Georges Ah-Tiane (responsable associatif à Marseille) soulève le problème de la représentation réunionnaise en métropole. Selon lui, nous sommes quasiment absents des débats sociétaux et pas assez impliqués dans les questions de citoyenneté et de culture. Quand il s’agit de faire la fête, de manger créole ou d’une manifestation sportive, les Réunionnais sont là, mais pas pour parler d’avenir. Il insiste sur la nécessité de s’organiser et l’importance du réseau.

Marie-Ange Thébaud (responsable associative en Midi-Pyrénées) précise qu’il est aussi important de porter la revendication et de se serrer les coudes entre départements d’outre-mer.

Nicolas Cise (directeur adjoint du Pôle Emploi Réunion) prend alors la parole. Il précise qu’il représente Jean-Luc Minatchy absent du département, directeur réunionnais d’un organisme de 1 000 salariés sur l’île. Si pour lui légiférer sur la préférence régionale serait illégal, le concept est acceptable au titre d’une compétence. Parmi les compétences demandées pour un poste donné, le fait d’être réunionnais et la connaissance du territoire est une compétence supplémentaire. C’est à ce titre qu’un lobbying doit être mené pour faire accepter cette idée dans les entreprises locales.

Nicolas Cise explique également que pour ne pas répéter les erreurs du passé, le pôle emploi et les partenaires publics travaillent sur le principe d’une mobilité choisie, accompagnée, et accompagnée jusqu’au retour. Il faut travailler avec les bailleurs de fonds (collectivités) sur le retour des expatriés, pour que mobilité ne rime pas avec fuite des cerveaux. Il soulève également la question des salaires en précisant que les salaires sont souvent moins attractifs sur l’île, ce qui explique que les diplômés ne rentrent pas dans certains cas. Enfin, il assure l’assemblée de l’aide du Pôle Emploi après la sortie du manifeste et du plan d’action qui sera rédigé.

Georges Klenklé (chef d’entreprise à Paris) introduit la notion d’entreprenariat dans la discussion, prenant pour exemple l’entreprise qu’il a créée et qui embauche aujourd’hui plusieurs centaines de personnes. Selon lui, la meilleure façon d’agir en faveur de l’emploi, c’est de créer son propre emploi (puis celui des autres) en créant une entreprise.

Gilles Dubois, (également gérant d’entreprise après avoir été professeur agrégé de math pendant 25 ans), précise qu’il existe aussi des retours ponctuels et réguliers sur l’île, plutôt que des retours définitifs. Dans ce contexte, le prix excessif des billets d’avion est un gros problème. Il se demande pourquoi il n’existe pas de promotions attractives sur les vols vers la Réunion, alors que cela se fait sur toutes les autres destinations. Par ailleurs, il est stupéfait par la richesse des parcours et des CV visibles sur le site Réunionnais du monde. S’il existe bien de nombreux profils qualifiés, la question est alors de savoir comment les toucher et les informer des opportunités d’emploi à la Réunion. Il propose la création de deux groupes de travail sur les thèmes :
- comment faire se rencontrer opportunités d’emploi et diplômés réunionnais dans le monde ?
- comment faciliter les retours réguliers ou définitifs ?

Bruno Hibon (travaille pour Air France à Barcelone) précise que nombreux sont les diplômés réunionnais qui aimeraient bien revenir et mettre au service de la Réunion leurs compétences acquises. Il espère que le Village de la diaspora ne sera pas seulement une belle journée médiatisée, mais le début d’une vraie démarche et d’actions concrètes.

« Y-a-t-il besoin d’une loi pour transmettre en priorité les offres d’emploi à Réunionnais du monde ? » demande alors une voix dans l’assemblée.

Réponse de Nicolas Cise, DGA du Pôle Emploi : « Cela doit pouvoir se faire sans trop de problème ».

Erika Velio (ingénieur qualité près de Paris) raconte son expérience de prospection d’emploi pour un retour à la Réunion. Elle a constaté que certains chefs d’entreprise sur l’île « ont peur » d’embaucher des candidats plus diplômés qu’eux.

Michel Lapeyre (DG du groupe Bernard Hayot, partenaire de la manifestation) réagit. Selon lui, un bon chef d’entreprise n’a pas peur de recruter un collaborateur qui le dépasse, meilleur que lui-même. Par ailleurs, la connaissance du territoire est une compétence importante qui doit être prise en compte dans l’embauche. Pour améliorer le profil des candidats réunionnais, qui sont parfois introvertis, le groupe GBH s’est impliqué dans un partenariat avec les élèves de classes préparatoires du lycée de Bellepierre. Des cadres de l’entreprise ont monté un programme de coaching aux entretiens de personnalité pour les préparer aux concours. Des stages de découvertes en entreprise sont organisés avec des tuteurs, procurant un enrichissement mutuel. Des bourses aux stages sont délivrées pour le placement d’étudiants à l’étranger. Enfin, Michel Lapeyre revient sur l’importance du goût d’entreprendre, qui est encore insuffisant à la Réunion. La création d’entreprises est une des solutions au problème de l’emploi.

Ramesh Pavedepoulle (manager à Bangkok) livre sa vision, enrichie par l’expérience internationale. Il propose de s’appuyer sur le réseau Réunionnais du Monde et de l’enrichir d’outils collaboratifs du type Viadéo, Linked in pour en faire une véritable plateforme d’échanges. Par ailleurs, si le débat a beaucoup tourné sur le fait de « réimporter » les compétences réunionnaises, il considère qu’il faut continuer à exporter ces mêmes compétences. En effet, malgré les efforts faits en termes de développement économique, il n’y a pas de « place pour tout le monde » à la Réunion. Des pistes de développement sont aussi à trouver en s’inspirant des modèles des tigres asiatiques. Singapour par exemple (une île de 5 millions d’habitants) a su développer des pôles d’excellence dans certaines technologies. La Réunion a besoin d’une vision stratégique qui puisse rassembler tout le monde autour d’objectifs communs. C’est le développement économique de l’île qui permettra à ceux qui le souhaitent de rentrer. Enfin, il trouve aussi scandaleux qu’il puisse y avoir un tel écart de prix entre un Paris – Bangkok et un Paris – Réunion.

Gilmé Albuffy (chirurgien dentiste à Marseille) est en train de se réinstaller à la Réunion après des études et des débuts professionnels en métropole, dans l’objectif d’apporter ses connaissances à son île. Malgré les gros besoins du secteur médical à la Réunion, il n’existe aucune aide au retour. L’ouverture d’un cabinet représente un gros investissement mais il pense y arriver.

Wilson Martial (responsable marketing chez Mac Donald à Lyon) explique qu’il n’a que le bac… et puis l’expérience de la vie. S’il a la chance de travailler dans une entreprise où la motivation et l’envie de réussir sont plus importantes que les diplômes, il préconise la mise en place d’un système de reconnaissance et de validation des acquis.

Laurent Dennemont (cadre en Belgique) revient sur la notion d’esprit d’entreprise, qui selon lui n’est pas innée mais peut s’enseigner. Il est surpris par la part des jeunes qui veulent travailler dans la fonction publique et préconise de promouvoir et valoriser le goût d’entreprendre.

Nicolas Peyrot (technicien informatique à Lyon) apporte un témoignage de création d’entreprise à la Réunion et pointe certains retards sur l’île : inertie des banques, absence de crédit bail immobilier…

La conclusion de ces deux heures de débat revient à Monica Govindin, conseillère générale. Ayant expérimenté la mobilité, elle n’en garde que de bons souvenirs et reconnaît le rôle qu’a joué cette expérience dans sa carrière politique. Elle a identifié trois thèmes principaux et récurrents dans les interventions des membres de la diaspora : la préférence régionale, la création d’entreprise et la continuité territoriale.

Concernant la préférence régionale, Monica Govindin rappelle l’impossibilité de légiférer sur des questions d’origines, mais la possibilité de l’appliquer dans les faits. La préférence régionale est notamment pratiquée en interne par le Conseil Général. « Nous sommes pour le retour des Réunionnais chez eux », précise-t-elle. Elle rappelle la nécessité pour tous les acteurs locaux (économiques, politiques, chambres consulaires, état) de se rassembler et de travailler dans le même sens et retient l’intérêt de communiquer les offres d’emploi stratégiques au site Réunionnais du monde. Sur les thèmes de la continuité territoriale et la création d’entreprises, il existe bel et bien des dispositifs d’aide. Selon elle, la richesse de la Réunion va bien au-delà des campagnes de pub qu’on peut voir ici et là. Elle est faite d’hommes et de femmes.

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Au cours de la conférence inaugurale, en introduction du débat, sont intervenus Margaret Robert Mucy (présidente de l’association Valcoré), Ibrahim Dindar (Conseiller général et président du CNARM), Emmanuel Lemagnen (Conseiller régional), Christian Dijoux (DG du groupe Clinifutur), Fabrice Beeharry (participant vivant aux Antilles), deux gran’moun (mères d’expatriés), Nicolas Martin (responsable du site Réunionnais du monde), Michel Lapeyre (DG du groupe Bernard Hayot) et Ahmed Adame (PDG d’Adamelec).

Compte-rendu : Nicolas Martin - Réunionnais du Monde (partenaire 1er village de la diaspora)

Remerciements photos : Betty Cerveaux-Mayer


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