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Francis Huet, un Chef de cuisine sur « l’île aux langoustes »

Publié le 17 septembre 2016

Chef expérimenté ayant travaillé en France et à l’étranger, c’est dans les TAAF que Francis Huet (53 ans) a décidé d’exercer ses talents : « Qualité, choix, diversité des produits... Ici il y a moyen de faire plaisir, et de se faire plaisir » !

Portrait 8 de la série « En mission dans les TAAF : Réunionnais (du bout) du monde »


Mon parcours

Originaire de Saint-Pierre Terre Sainte, ma famille a déménagé en Savoie quand j’avais 9 ans. Je suis dans le milieu de la restauration depuis l’âge de 15 ans ; j’ai commencé par faire la plonge dans des restaurants le week-end et en saison d’été. Après un CAP / BEP Cuisine, j’ai passé le concours de l’école hotelière Saint-Jean de Maurienne dont je suis sorti diplômé. Pendant une vingtaine d’année, j’ai alterné les saisons : en France (Savoie, Isère, Normandie, Paris), à Londres, au Canada, en Croatie, en Australie… J’ai été Second de cuisine puis Chef, y compris dans un restaurant étoilé Michelin*.

Ma rencontre avec les TAAF

C’est en 2007 que j’ai vu passer une offre d’emploi dans les TAAF. J’ai décidé de foncer car cela me rapprochait de ma famille à la Réunion. L’idée de partir à l’aventure sur le Marion Dufresne ne me laissait pas non plus indifférent. Ma première affectation fut l’île australe d’Amsterdam, et ensuite tout s’est enchaîné.

Mes premières impressions

Je cherchais une expérience différente, j’ai été servi. D’abord, les équipes en cuisine sont réduites et le tutoiement généralisé. Habituellement, une distance respectueuse s’instaure avec le Chef : on ne tutoie pas le « maestro ». Ici c’est un membre de l’équipe à part entière qui partage la vie de la mission. Un petit district comme Crozet ou Amsterdam fait se cotoyer au quotidien une vingtaine de personnes qui ne se sont pas choisies. L’équipe est en quelque sorte imposée, mais tout le monde fait en sorte que ça se passe bien en prenant sur soi, en restant à l’écoute et tolérant… La difficulté du climat et les conditions de vie font le reste en soudant l’équipe. Humainement, chaque mission est une nouvelle expérience et une découverte de l’autre inoubliable.

Contractuels réunionnais sur l’île d’Amsterdam (2016)

Le travail

Malgré la distance, il y a ici beaucoup de choix, de qualité et de diversité en cuisine. De quoi faire plaisir et se faire plaisir ! A Amsterdam, à côté de l’approvisionnement délivré par le Marion Dufresne, on cuisine des légumes et fruits cultivés sur place en serre (salade, tomate, concombre, brèdes lastron, pommes, prunes) mais surtout beaucoup de poisson frais et de langouste… pêchés par nous-même ! A la ligne ou au casier, la pêche est souvent sportive, il ne faut pas avoir peur de se mouiller. C’est une véritable passion que je me suis découverte ici mais qui exige de se motiver et de motiver les autres. La récompense, c’est de pouvoir dresser des tables superbes régulièrement.

Apprendre...

Malgré mon expérience, j’ai beaucoup appris dans les Australes, notamment auprès des « anciens » que j’ai pu côtoyer : Régis Dijoux, Nicol et Nicolas Vidot. A Amsterdam, ils m’ont appris à abattre, dépecer, vider, découper le bétail. Je sais aujourd’hui travailler la viande de A à Z. Ils m’ont également transmis les techniques de pêche à la ligne et au casier. Et surtout, même si je mangeais créole petit et si ma femme cuisine très bien, ce sont ces anciens qui m’ont transmis toutes les subtilités de la cuisine réunionnaise… très souvent au menu dans les TAAF ! Parallèlement l’administration nous offre régulièrement des formations. La dernière en date pour moi : en boulangerie. Il y a aujourd’hui du pain frais à tous les repas...

… Et transmettre

Depuis plusieurs années, on m’envoie des jeunes à former. Le potentiel en diplômés des lycées hôteliers réunionnais est énorme, j’encourage les jeunes à venir travailler ici. Pour quelqu’un de motivé, c’est une expérience très riche et une belle ligne sur le CV, idéale pour lancer sa carrière. Mais il ne faut pas se mentir : la vie dans les TAAF n’est pas faite pour tout le monde. Sans Internet, sans portable, sans télé, sans galerie commerciale, sans Papa Maman ni le confort de la modernité, il faut être équilibré et bien dans sa tête pour y arriver.


Ma journée type

3H30 – 4H Réveil – Préparation du petit-déjeuner, du pain, des viennoiseries
Quand le temps le permet : relève des casiers à langoustes
7h30 : Petit-déjeuner en équipe
Matinée : Travail de la pêche du jour (cuisson ou congélation). Préparation du repas du midi.
12h30 : Repas partagé avec tout le monde. L’équipe de cuisine mange est aussi à tavle.
14h : Retour en bord de mer s’il fait beau pour poser les casiers
18h : Cuisine pour repas du soir
19h30 : Repas

Je ne prends pas vraiment de jour de repos, je partage mes loisirs entre la salle de sport, le jardinage et surtout la pêche : sériole, fausse morue, rouget, bleu, zourite, langouste… Les abords d’Amsterdam sont très poissonneux, le rêve pour un pêcheur ! Les records de prises font l’objet de nombreux commentaires ici et se transmettent de mission en mission : 23 kg pour une sériole à la canne, 37 kg pour la plus grosse levée de langouste au casier cette saison…

Mes plus beaux souvenirs

J’apprécie beaucoup les échanges avec l’Austral* quand il passe par chez nous. Des liens très forts se sont développés avec les marins réunionnais de ce navire. Nous les accueillons sur la base pour quelques jours et nous avons la chance de monter à leur bord pour découvrir la pêche à la langouste. Ces hommes ne comptent pas leurs heures de travail. Debout vers 4h, ils terminent vers 19h... et ce, pendant deux mois consécutifs. Ils m’inspirent beaucoup de respect. On en prend plein les yeux avec eux. Une demi-journée sur l’Austral et j’ai l’impression d’être parti en vacances !

Avec des marins de l’Austral

Les plus difficiles

C’est de voir les personnes avec qui on a vécu de façon si proche partir à la fin de leur mission… et le manque de la famille bien sûr. Je ressens souvent un coup de blues au moment des fêtes de fin d’année. Rester de longs mois absent n’est pas facile mais c’est une décision familiale faite en concertation avec ma femme et mon fils. Tout le monde est conscient que ces sacrifices permettent à la famille de mieux vivre. Et quand je rentre à la Réunion pour les vacances, je suis pleinement disponibles pour eux pendant plusieurs mois. Au final, ce rythme me convient et le côté « déconnecté » ne me gêne pas du tout. Au contraire, en venant dans les TAAF je laisse les problèmes du quotidien et toutes les contraintes du monde moderne derrière moi. La vie est plutôt paisible ici...

Les plus insolites

Ce sont les souvenirs de rencontres avec les animaux sauvages, comme par exemple cette navigation en zodiac au milieu des orques. Avec mon ami Georget, nous avons aussi vu une baleine nager tout près du bord. En ballade sur le plateau des tourbières, on peut approcher et même toucher les grands albatros de 3 m d’envergure. Ce sont les plus grands oiseaux du monde ! On le sait, des ornithologues du monde entier nous envient parce qu’ils ne pourront jamais approcher ces oiseaux rares comme on le fait... Les TAAF nous offrent ce type de moments où on se sent privilégié.

La Réunion et les TAAF, une longue histoire...

Pour moi le lien est symbolisé par les contractuels réunionnais qui viennent travailler ici. Ils ont construit en grande partie les bases des îles australes. Il y a une partie de la Réunion dans les TAAF, une empreinte qui ne laisse pas insensible les métropolitains et les militaires qui viennent ici. Ils découvrent la Réunion à travers sa cuisine, sa culture et décident par la suite de la visiter.

Pour aller plus loin...

www.taaf.fr / www.facebook.com/TAAFofficiel / www.amaepf.fr (Amicale des Missions Australes Et Polaires Françaises)


Plus d’actus / portraits / offres d’emploi dans les TAAF


* Un parcours plein de rembondissements…

Une fois diplômé de mon école hôtelière, j’ai travaillé dans un restaurant en Suisse puis j’ai fait des saisons en Savoie, dans la région grenobloise et dans très bon restaurant près de Rouen. J’ai passé mon service militaire en tant que cuisinier au mess des officiers à Lyon. De retour en Normandie pendant deux ans et demi dans un restaurant étoilé Michelin, j’ai eu de la chance : le second de cuisine partait et j’ai pris sa place. J’avais 22 ans.

Puis j’ai eu envie de changer d’air et je suis parti trois ans et demi travailler dans un gros restaurant français à Londres (nous étions 40 en cuisine !). J’ai appris à parler anglais sur le tas, je garde un très bon souvenir de ma vie londonnienne en colocation. Retour à Paris vers 26-27 ans, où j’avais une belle proposition dans un restaurant.

En vacances à la Réunion en 1990, j’y ai rencontré ma future femme. Elle m’a suivi en Savoie où j’avais un poste de Chef dans un château Fort, avec un bon salaire, une voiture, etc. Mais elle ne s’est pas adaptée à la vie en métropole.


J’ai alors prospecté sur l’île et trouvé un poste de Chef au « Jardin Colonial » rue Jules Auber à Saint-Denis. A la suite d’un drame et de la fermeture de ce restaurant, tout le monde s’est retrouvé au chômage. J’ai alors monté une affaire : le premier camion pizza sur la plage à Saint-Pierre (face au Casino). Ca a bien marché mais au final il y avait trop de charges. J’ai revendu l’affaire et je suis parti seul à Ottawa pour un job de neuf mois. Puis direction une petite île de la côte adriatique en Croatie où j’ai été embauché deux ans pour la création d’un restaurant. Après ma première saison dans les TAAF, j’ai travaillé neuf mois dans un restaurant français près de Perth dans un vignoble australien. C’est ma dernière expérience hors des îles australes, où j’exerce aujourd’hui « à plein temps ».


** Basé au Port et armé par la SAPMER, le chalutier-langoustier l’Austral est le seul navire autorisé à pêcher la langouste rouge, une des espèces les plus prisées au monde, dans la zone économique exclusive de Saint-Paul et Amsterdam. 

Article paru dans Le Quotidien du 18/09/16





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