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Florence Rataud : « Et si la Réunion devenait laboratoire du changement de modèle sociétal ? »

Publié le 20 septembre 2016

Une proposition argumentée de Florence Rataud. Diplômée d’un MBA à HEC Paris et d’une Maîtrise de Chinois, elle arrive à l’âge de 25 ans à la Réunion, crée et développe un cabinet de conseil (Ressources Humaines, Stratégie) qui emploie jusqu’à dix salariés et qu’elle cède au Groupe Manpower en 2007. Elle est élue au Medef local de 2003 à 2011.


Florence Rataud et ses deux enfants

L’auteur de cet article : Impliquée dans de nombreuses représentations tant patronales, paritaires (Assedic), qu’associatives (environnementales, culturelles), Florence Rataud participe aux Etats Généraux de l’Outre Mer en tant que rapporteur et participe aux débats et synthèses au titre de son rôle de Porte Parole pour la Grande Distribution (FCD). Elle initie un projet innovant d’habitat participatif, primé par la Fondation de France, et s’implique dans des associations engagées pour l’environnement, l’économie sociale et solidaire et les nouvelles gouvernances.

Florence Rataud décide après 25 ans passés à la Réunion d’aller s’immerger dans ces milieux alternatifs pour vivre ces expérimentations du changement sociétal. Elle habite dans un éco village crée par la fille de Pierre Rabhi , où elle assume de responsabilités dans nombreuses structures (Monnaie locale, habitat participatif, éducation populaire, ESS, ressourcerie, économie circulaire, mouvement de la transition ...). C’est forte de ces expériences et observations, qu’elle ofre ses réflexions au service de la Réunion, terre d’incarnation, vitrine expérimentale d’un nouveau modèle sociétal possible.
Son CV détaillé / www.t-extra-ordinaire.com

Et si la Réunion devenait laboratoire du changement de modèle sociétal ?

Le monde vit les prémisses d’un chaos qu’il n’est plus possible d’ignorer, celui-ci est sur tous les champs de l’organisation sociétale :
 Financière (le système est en dérapage incontrôlé, dont les pansements posés par les grands établissements de régulation sont de plus en plus inefficaces)
 Ecologique (le sujet ne mérite même plus d’être évoqué tellement il est devenu évident aux yeux de tous)
 Energétique (l’épuisement des ressources et leur mode de plus en plus destructeur d’exploitation pose l’urgence d’un autre mode de fonctionnement)
 Economique (l’économie de marché n’offre pas de perspective à long terme, tant pour des raisons écologiques que de sens donné à la vie dans un mode de ce type)
 Humaine
o Le modèle sociétal produit de plus en plus de déshérités sociaux ; chômeurs, emplois précaires, SDF …du fait de la robotisation, les externalisations hors des frontières de la production, l’optimisation de la productivité non seulement industrielle mais des « cols blancs »…
o la démocratie que l’on croyait acquise est un éléphant aux pieds d’argiles, dont les fondements sont bousculés par de nombreux phénomènes graves - exclusion des migrants pour ne pas mettre en péril le fragile équilibre de notre société, terrorisme, montée des extrémismes et du racisme…

Les perspectives d’avenir proposées aux jeunes générations ne sont plus un avenir expansif, radieux, mobilisateur, mais un avenir en rétraction, où l’on tente de maintenir des acquis, un confort que l’on craint de ne pouvoir garantir à terme, voire pire, où l’on pressent l’implosion du système, par l’un ou l’autre facteur, si ce n’est l’ensemble conjugué1 .


L’île de la Réunion a les atouts de se positionner en tant que laboratoire du changement sociétal porteur d’espoir pour plusieurs raisons :
 Culture naturelle de « laboratoire », la Réunion a de très nombreuses initiatives qui la situent sur ce positionnement
 Vision de l’intérêt général qui supplante les intérêts particuliers, les acteurs de la Réunion le prouvent régulièrement et particulièrement dans toutes les crises traversées depuis des années
 Tissu de PME TPE en réseau, les acteurs économiques développent une vision de développement commune qu’ils mettent en pratique en étant vigilants à un consensus positif
 L’évidence encore plus criante que sur un territoire "fini" géographiquement, l’absurdité du concept de croissance économique infinie du modèle de développement actuel est d’autant plus évidente...

L’Ile de la Réunion a tenté un changement de modèle avec le projet Gerri Réunion Ile Verte dont on a senti tout l’effet dynamique à plusieurs niveaux :
 Mobilisation des acteurs socio-économiques et politiques,
 Enthousiasme, effervescence intellectuelle et créative pour repenser l’avenir de la Réunion
 Coopération inter-sectorielle (entreprises, institutionnels, …)

Pourquoi cette dynamique s’était-elle mise en place avec autant d’enthousiasme ? Tout simplement parce que l’être humain « vit de récits, et les récits parlent toujours d’interaction entre des personnages… si tous les éléments (technologies, produits, services) liés les uns aux autres commencent à créer un récit économique, chacun se sent visionnaire et porteur d’un nouveau modèle pour l’économie mondiale » 2

Il s’agissait bien d’un élan pour le changement de modèle sociétal, basé sur une révolution industrielle reposant sur un modèle énergétique autonome, ouvrant la voie à réduction de la dépendance de la Réunion vis-à-vis des énergies fossiles qu’elle n’a pas et ayant des effets collatéraux sur l’ensemble des secteurs d’activité.

Pourquoi cela n’a-t-il pas été plus loin, alors que l’ensemble des acteurs économiques étaient en mouvement ou dans les starting block ? La raison des aides fiscales très incitatives qui se sont évanouies en est une importante mais n’est pas suffisante. La raison de lobbies contraires et d’une vision non partagée par la société civile qui n’a pas été associée, est au cœur de la problématique. Pour avoir une vision partagée, il faut partager un niveau de conscience similaire, et avoir l’impression d’être associé au récit qui s’écrit.

Nous sommes dans une période de transition qui dépasse largement les enjeux économiques, mais d’un point de vue ethnologique, nous vivons une transformation profonde du fonctionnement de la société, qui passe d’un modèle centralisé et autoritaire à un mode distribué et coopératif. En portant ce regard sociologique, nous sommes à l’orée d’une mutation profonde du système de valeurs qui perdure depuis des millénaires : la vieille organisation des relations sociales cède la place à un mode de fonctionnement et de pensée en réseau. Il est de notre responsabilité de l’accompagner.

La « génération internet » qui est née avec ce système d’information, a de fait, une structuration de la pensée et des pratiques sur ce modèle. Cette génération arrive aujourd’hui aux postes de décision, et l’on sent l’accélération de la révolution du modèle économique, tout autant que des modes de gouvernance. Celle-ci diffuse également dans la société civile imprégnée de ce mode de pensée et d’agir (cf les nuits debout, la multitude d’actions citoyennes novatrices…). Si cette approche en réseaux est appliquée aux fondements du changement sociétal (système d’information et autonomie énergétique et financière), et investit les acteurs et décideurs d’une mission, les comportements humains en découleront.

Il s’agit donc de se concentrer sur le niveau de conscience prioritairement tout en mettant en route une dynamique positive qui œuvre dans ce sens, à travers les différentes composantes que sont :
 La Société Civile (mise en premier , pour bien montrer le changement de paradigme)
 Le « monde économique » à travers le tissus d’Artisans/ autoentrepreneurs/TPE/PME, mais aussi le monde associatifs, et le grand champ de l’ESS
 Les Institutionnels à travers des soutiens sous forme de cadre réglementaire adapté, subventions, ou même partenariat engagé (PPP ou autre).

L’actualité sous estime largement le pouvoir citoyen qui est en marche à travers la multitude de projets solidaires et alternatifs (qui se retrouvent dans les différents mouvements de la Transition 3). C’est en conjuguant l’impulsion du monde économique et citoyen que l’Etat pourra reprendre sa place d’acteur facilitant d’un nouveau modèle qu’il n’ose pas affirmer dans une période de crise sans précédent.

Puisque la Réunion a déjà des atouts majeurs :
 Insularité devenant un atout, car permettant une modélisation facile à analyser
 Société multiculturelle harmonieuse, et fonctionnant déjà en réseaux (interne Réunion, diasporas culturelles et professionnelles, …
 Dynamisme de ses acteurs, capables d’une mobilisation réactive et puissante prouvée et éprouvée nombreuses fois.
 Taux d’équipement en énergie solaire élevé + expérimentation d’alternatives énergétiques très en avance dans le monde, et de fait, par rapport au territoire national.

La Réunion a une opportunité de se positionner comme laboratoire sociétal expérimental, vecteur de solutions :
 La Réunion a besoin d’être reconnue pour son rôle dynamique et novateur au sein de la société française, cela lui permettrait de gagner une forme de légitimité par un apport qui lui serait reconnu, après avoir été si longtemps critiquée comme poids financier de la métropole. Une manière de sortir officiellement de la dépendance, en étant force de proposition.
 La Réunion a une jeunesse importante, à la fois une menace sociale par son taux de chômage et sa frustration légitime pouvant se transformer en colère, tout autant, qu’elle représente un atout, par son dynamisme potentiel, sa capacité à se réinventer, n’étant pas insérée dans le « système » actuel, et forte utilisatrice des outils multimédias, rendant naturelle malgré son niveau moyen de formation peu valorisable, le mode de fonctionnement en réseaux , et l’habitude du partage d’informations. Pour cela il y a une stratégie volontariste à mettre en place, en visant à l’autonomie de la Réunion et reposant sur des valeurs de coopération et de réseaux . En effet, une « révolution » économique et énergétique, support de nouvelles valeurs sociétales, orientées sur ce nouveau modèle latéral coopératif et solidaire, préfigure d’une société durable où le lien social devient synonyme de développement.

Concrètement, comment transformer la Réunion en Laboratoire d’un nouveau modèle sociétal ?

I . EN TRANSFORMANT LES PILIERS DU MODELE ACTUEL BASE SUR LES FONDEMENTS VIEILLISSANTS ET DEPASSES DE NOTRE MODELE ECONOMIQUE

(Concentration des moyens énergétiques et financiers, permettant la démultiplication de la production au service du développement économique, c’est la société de consommation. Tout le modèle repose dessus, y compris le système scolaire qui produit une élite, et des exécutants, tous formatés au fonctionnement du système )

L’idée qui sous tend cette approche de transformation sociétale est donc de permettre un basculement dans un nouveau modèle pérenne, puisque la remise en cause du modèle actuel vient du fait de sa finitude et le chaos vers lequel il nous emmène. Il s’agit de passer de valeurs de confort immédiat dans un modèle condamné, où nous sommes tous en danger, à des valeurs de pérennité par un modèle circulaire, qui s’auto alimente durablement, plus particulièrement :

1. En s’appuyant sur le pilier énergétique développé à la Réunion :

La Réunion ne bénéficiant d’aucune ressource naturelle en énergies fossiles, ayant une taille bien trop petite pour justifier d’infrastructures en énergie nucléaire, a grâce à cela développé une stratégie de compensation qui est aujourd’hui un atout stratégique majeur dans la révolution industrielle qui se profile. La Réunion se situe parmi les régions du monde au plus fort taux d’équipement en énergie solaire et photovoltaïque. Il s’agit de reprendre l’axe engagé avec le projet Gerri Réunion Ile Verte, qui même si d’importants investissements ont été réalisés dans le Photovoltaïque, la vision globale du projet stratégique est restée en suspend et n’attend que d’être « re-énergisée »…

L’enjeu sur ce sujet n’est donc pas seulement de choix énergétiques, mais de niveau de décision. Il s’agit pour la Réunion, de passer d’une décision centralisée descendante, à une démultiplication latérale, rendue possible par une multiplication des « micro-centrales » au niveau des particuliers et par les particuliers de manière engagée et pas seulement par les acteurs économiques. Ce n’est qu’en transformant ce projet en projet sociétal à tous les niveaux, qu’une véritable révolution du système s’engagera.

En effet, la posture d’attentisme due à cette approche descendante met la Réunion, comme toutes les sociétés dans une situation de fragilité.
o Transformer le principe engagé au niveau des énergies renouvelables, en un système de production en réseau constitué autant de particuliers qu’acteurs économiques.
o L’implication de la société civile dans l’écriture du projet de son département est une des conditions majeures de la réussite.
o Dans ce nouveau modèle de société latérale, proposer un projet sociétal venant de la tête serait une erreur.

La perspective de l’autonomie pour la Réunion n’est pas si difficile à entrevoir. La possibilité de passer de l’un à l’autre tient à la taille (actuellement qui pourrait être très réduite) et au montant de l’investissement (qui devient accessible) qui ont considérablement changé en quelques années, tout autant que l’accélération de la recherche et développement dans ce domaine, d’une part, mais aussi à l’avantage financier que pourront en tirer les bénéficiaires au-delà de l’autonomie énergétique personnelle. Profiter d’une énergie qui devient non seulement gratuite, mais aussi, source de revenu une fois l’investissement amorti, a déjà convaincu nombre de personnes ayant installé leur mini centrale photovoltaïque.

Les énergies pouvant être multiples, démultiplier les différentes énergies renouvelables de manière déterminée : l’énergie solaire, le vent (de nombreuses innovations sont en cours - notamment, l’optimisation de l’énergie du vent en zone urbaine, mais aussi tout simplement les éoliennes), les moteurs à eau, à hydrogène, qui sont prêts depuis longtemps, les énergies libres type « dumasiv »,…et autres innovations en cours et à venir, à portée du particulier…). Tout cela offre des perspectives enthousiasmantes par les solutions qu’elles apportent à notre dépendance aux énergies fossiles.

Les axes de mise en œuvre pour les énergies renouvellables pourraient être les suivants :
 A travers des micro-centrales démultipliées sur l’ensemble du territoire (cf J.Rifkin cité en référence dans les notes). Chacun pouvant devenir autonome de ses propres consommations et pouvant mutualiser les surplus pour les consommations d’autrui. Ce projet ne demande pas beaucoup de moyens, il doit par contre alimenter son corolaire d’intérêts induits pour le producteur et le bénéficiaire.
 A travers les diverses expérimentations en cours engagées au niveau régional, pouvant commencer à générer des résultats significatifs (climatisation par eau de mer, énergie de la houle, énergie thermique des mers, biomasse, fermes photovoltaïques …)

L’autonomie énergétique appliquée à l’ensemble du territoire, peut en faire une société totalement libérée du système centralisé des énergies fossiles et donc du modèle actuel.

2. En développant une Monnaie Complémentaire Locale :

Ce pilier est totalement nouveau par rapport au projet Gerri Réunion Ile Verte, et en change complètement l’esprit par sa simplicité de mise en œuvre, son très faible coût et son impact auprès de tous. Les conditions de mise en œuvre d’une monnaie complémentaire nécessite seulement qu’elle soit limitée géographiquement, et que ses utilisateurs soient adhérents de l’association qui l’a initiée. C’est donc très léger. Il faut bien sûr uniquement des porteurs de projets engagés, animés par les valeurs qu’elle véhicule, et surtout dont le sérieux et l’éthique soient avérés.

Alors que le monde se noie dans un océan de dettes, notre système monétaire est au bord du gouffre et n’est plus fiable. Les décision de la FED, du FMI qui tentent d’endiguer la crise boursière, la crise de la dette et le système bancaire n’illusionnent plus personne. Il devient urgent de créer des solutions palliatives locales, qui même si elles ne peuvent « sauver » le système, permettent d’assurer une parade. A travers une monnaie locale Florence RATAUD Activiste sur le changement de modèle sociétal - Juin 2016 - alternative, développée au niveau de tout le territoire, ainsi que des micro-crédits solidaires spécifiquement développés par des acteurs locaux, nous pouvons absorber partiellement la crise.

L’intérêt d’une monnaie locale v : L’impact d’une monnaie locale portée avec détermination et conscience, transforme fondamentalement le rapport à l’argent, mais est également un moyen de transformation profonde du fonctionnement sociétal. En effet, l’argent est une énergie, et suivant son utilisation et sa vocation, est vecteur de valeurs. Autant l’Euro, le Dollar, que les monnaies officielles majeures, sont au service d’un modèle de concentration des richesses, et dont la circulation n’a pas de lisibilité pour le citoyen ni même l’acteur économique. Autant une monnaie locale, circulant uniquement dans un espace défini géographiquement, ne peut que servir des intérêts locaux, et encourager leur développement.

De ce fait, les conséquences à travers les actes d’achat au quotidien sont les suivants :
o Développement de l’économie circulaire, bénéficiant directement aux productions locales, qu’elles soient industrielles, artisanales ou de service.
o Véhicule des valeurs, solidarité et de conscience des enjeux locaux, ce qui fait évoluer par son utilisation le niveau de conscience général, et renforce le lien social positif, créateur, engagé dans la préservation et la construction des intérêts de son territoire.
o Contribue au développement de projets locaux, par le placement de la contrepartie euros déposée dans un établissement financier qui s’engage à en placer une partie en projets « éthiques » dont les valeurs sont fixées à la création de la monnaie par ses fondateurs ( « effet de dédoublement de la monnaie ») : c’est notamment, l’engagement de la NEF, qui garantit les placements monétaires des monnaies complémentaires.
o Garant de l’autonomie financière d’une région, en cas de crise financière grave (ce dont nous ne sommes pas à l’abris) , puisque cette monnaie peut continuer à circuler, exister, même si l’Euro ou le système financier mondial s’est écroulé (cf, le WIR en Suisse, le Wära en Allemagne l’ont démontré pendant la crise de 1929)vi .
o L’intérêt de micro créditsvii portés par des entreprises et des citoyens : il s’agit entre autres, du mouvement autour des crowdlending et crowdfunding aujourd hui facilités par la législation. A l’identique des monnaies locales, les financements solidaires et alternatifs véhiculent des valeurs, qui renforcent le lien social et la solidarité (Une entreprise réunionnaise s’est lancée récemment sur ce créneau, elle est à encourager et mettre en avant, avec intérêt de les multiplier éventuellement)
o Le citoyen peut choisir qui il soutient et encourage, il devient là encore acteur du développement de son territoire, en contribuant dans des projets auxquels il adhère. Ce n’est plus réservé à une élite.
o En développant des partenariats avec des structures existantes ou l’implantation d’établissements nouveaux, qu’ils soient Financiers, Mutuelles, sociétés d’Assurances, engagés dans les valeurs porteurs de la refonte du modèle sociétal (NEF, Crédit Coopératif, Maïf…)

Il s’agit donc « d’outils » éthiques, offrant un effet de levier dynamique à son territoire, portant des valeurs sociales au service de l’économie de celui-ci, et pouvant répondre à des aspirations humanistes d’un monde souffrant de déshumanisation.

3. En généralisant des valeurs coopératives , collaboratives et de gouvernance participative viii :

C’est en affirmant des valeurs coopératives et un mode de travail en réseau, que le modèle archaïque actuel basculera dans une nouvelle ère de fonctionnement. Nombre d’expériences le prouvent, il faut simplement OSER le généraliser, comme nouveau système de référence. OSER le changement profond de structuration de la société, qui passe d’un modèle vertical concentré et autoritaire à un modèle horizontal, partagé, et coopératif. Actuellement, le mode de travail collaboratif, initié un peu avant les années 2000 avec les logiciels libres notamment, connait un développement exponentiel.

C’est une révolution culturelle qui est en marche, et avec elle une révolution des consciences. ix A la Réunion, ce mode collaboratif est déjà très actif dans les réseaux alternatifs mais aussi professionnels à travers des outils tels que les pads, les wiki, les creative communs, les MOOC, les Open Source … qui sont l’illustration de ces nouveaux modes de fonctionnement qui essaiment de manière instantanée la richesse collaborative.

A la Réunion, du fait de sa culture et de ses pratiques, où les cristallisations sont moins anciennes, moins prégnantes, et surtout, où les modes de fonctionnement en réseau et coopératifs sont spontanés, cette « révolution culturelle » n’a plus qu’à être valorisée et priorisée.

Pour démultiplier la coopération et les modes de fonction nement en réseau, nous pouvons nous appuyer sur :

l’ensemble du secteur de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire) très dynamique, et relais essentiel d’un tel projet, tant pour sa mise en œuvre qu’en termes de force de propositions. La CRESS, les missions locales notamment, mais aussi les nombreux projets déjà existants relevant de l’ESS, seraient des partenaires clef du futur laboratoire. Nous pourrions très bien imaginer

 un certain nombre de services civiques dont la missions serait d’être au service de ce projet,

 tout autant que la création d’une filière de formation/insertion dans chacun des piliers identifiés comme porteurs du changement.

La multitude d’associations engagées dans le changement, et pratiquant pour la plupart le mode collaboratif, ainsi que toutes les initiatives spontanées de plus en plus nombreuses à la Réunion mais aussi dans le monde… est un appui important du changement, en compter parmi les acteurs présents officiellement dans le « laboratoire » serait important. Organiser des Forums ouverts, créer des évènements citoyens au service du changement sociétal..sont autant de moyens d’associer et de s’appuyer sur la dynamique citoyenne déjà en route.

Les incubateurs d’innovation (Tedx, WeRun, Clusters, … présents à la Réunion, les Fablab, Up Campus, … par exemple à « importer » )

Le Processus « SGP » : Système de Garantie Participatif , qui complètent les démarches qualité par un processus de participation active des citoyens. Cela devient une « certification participative ». Les valeurs et enjeux du processus sont les suivants :
 La transparence,
 la participation
 l’intégrité (aspects éthiques),
 le maintien des savoirs et savoir-faire locaux,
 des processus d’apprentissage (éventuellement collaboratifs) et d’organisation horizontale

Un revenu de vie : Comment mieux qu’avec un revenu de vie, peut on profiter de l’intelligence créative et collective ? A partir du moment, où les conditions de vie minimum sont assurées pour tous, l’énergie de chacun peut se mettre au service de l’intérêt général. Il a été prouvé que l’homme a besoin de sens pour ses actions, et qu’une quantité marginale « profitera » du système. Quoi qu’il en soit, si la Réunion devenait laboratoire expérimental, le revenu de vie pourrait remplacer les aides sociales. De nombreux dossiers techniques ont été rédigés sur le sujet, encourageant leur mise en place. Le challenge pour la Réunion, forte d’une jeunesse importante, et d’un taux de chômage élevé pourrait mesurer les conséquences d’un basculement avec la mise en place de cette mesure.

Par ailleurs, compléter ces grands enjeux par des initiatives lisibles qui impactent le quotidien de la population, contribuerait à une accélération de la transformation profonde de la société , par exemple :

L’économie numérique disruptive : Porteuse de solutions innovantes, créant des services en rupture technologique par rapport aux métiers traditionnels, évitant les barrières à l’entrée liées aux investissements dans nombreuses professions, mais aussi permettant l’instantanéité de la circulation et du partage d’information, le numérique à la Réunion, éloignée des centres mondiaux de décision, est un atout stratégique majeur, qu’elle a développé au fur et à mesure de ses développements technologiques. Aujourd’hui, ce pôle de recherche et développement existe, et doit être un pilier avec lequel compter dans la stratégie d’évolution du modèle.

L’habitat coopératif : A travers le développement de logements en habitat participatif, favorisant le lien social et l’optimisation économique (mutualisation tant sur l’infrastructure que sur les biens de consommation …mais aussi de menus services au quotidien… ) l’habitat participatif est un vaste chantier social sur le vivre ensemble. S’appuyer sur la loi ALUR est une opportunité au service du changement. A la Réunion, habitat léger, comme coopératives d’habitants sont des orientations pertinentes étant donné le climat,la culture de la convivialité et les traditions familiales.

L’alimentation : Se situer autant sur l’objectif d’autonomie alimentaire locale, que de mode de production/distribution (réseaux AMAP en soutien du tissus coopératif déjà existant). Un enjeu pourrait être de développer des productions actuellement absentes du territoire, alors que le climat les permet à priori à peu près toutes. Ceci, pour sortir de la dépendance des approvisionnements coûteux en énergie et en potentiel d’emploi négatifs puisque assurés en dehors du territoire.

Activités économiques : valoriser les multiples expériences alternatives déjà présentes et qui se multiplient sur le territoire, focaliser les créations d’activité sur les piliers économiques décidés pour le changement de modèle sociétal, mais aussi favoriser des structures juridiques qui dans leur essence favorise la coopération (SCIC, SCOP , CAE, …)

L’éducation : Apprendre n’est plus synonyme d’assimilation de données, mais de partage de concepts et d’expériences . Ouvrir les écoles à des propositions alternatives (les écoles Montessori, Steiner, Freinet, démocratique, …, permettant de libérer le potentiel créatif des enfants, lui-même force de proposition et d’adaptation à un monde en profonde mutation..

En plus des deux axes déjà développés de l’énergie et d’une monnaie complémentaire réunionnaise.

II. EN FAISANT EVOLUER LE NIVEAU DE CONSCIENCE GENERAL

Si l’on se réfère aux travaux de Clare Graves, repris par quelques chercheurs en ethnologie et sociologie de l’évolution humaine (J. Ferber notamment), je propose de faire un petit détour par la compréhension de la théorie de la spirale dynamiquex :

A chaque évolution sociétale, correspond un niveau général de niveau de conscience. Cependant, dans chacune des époques ( donc de grande correspondance d’évolution du champ de conscience), chaque niveau de conscience est représenté plus ou moins largement.

Chacun d’entre nous , se situe à un niveau de conscience , et, est le résultat de l’ensemble de ces évolutions. Si l’on accepte cette approche, le monde occidental est actuellement majoritairement confronté à 2 types de niveaux de conscience :
 celui de la lutte des classes, et du besoin de reconnaissance individuelle amenant à des activités construites sur l’intérêt personnel et les réalisations matérielles. C’’est l’époque de l’optimisation industrielle, et du syndicalisme.
 celui de la coopération , de la conscience humanitaire et écologique, de l’ engagement au service de l’intérêt général et de la planète. Le mental est toujours aux commandes, mais avec une vision globale systémique. Ce sont les recherches en biomimétisme, en thermodynamie durable, la lutte contre le réchauffement climatique, et la conscience de la finitude de la planète et de ses ressources.

Il y a bien sûr dans toute évolution, et notamment dans le concept de spirale, une palette de « couleurs » dans la manifestation de ces champs de conscience. Evoquer ces champs de conscience permet de se projeter dans le « niveau » suivant, où l’individu est un élément d’un ensemble et fonctionne de manière holistique au service du vivant, sans plus de préoccupation de l’égo, mais bien, comme étant partie du tout. Ce niveau de conscience commence à émerger, se situe sur les avancées des dernières découvertes scientifiques, celles liées à la métaphysique quantique notamment.

Conclusion :

Je crois que la Réunion a l’occasion d’être à un croisement historique de son évolution, et peut passer de son statut de dépendance et département sous perfusion, à statut de département force de proposition, en passant par l’étape de Laboratoire du changement de modèle sociétal.

Sans doute que la seule mise en place audacieuse et déterminée d’un des axes évoqués pourrait à lui seul insuffler une nouvelle dynamique, fierté et confiance de la population réunionnaise (monnaie, énergie notamment). Mais engager une projet audacieux d’ Ile Laboratoire, serait bien plus enthousiasmant, et porteur de sens.

Pour cela, il est indispensable de repérer un groupe d’acteurs qui s’engagent, et qu’un « tour de table soit constitué » dans un projet officiellement porté. Ces acteurs seront garants par leur légitimité, leur sérieux, leur engagement pour la Réunion, d’un projet ambitieux et innovant. Révolutionnaire, dans le sens étymologique du terme.

Il s’agit donc d’orchestrer la convergence des composantes sociétales et qu’ils s’engagent à travers des actions concrètes :

Institutionnels : Offrir un cadre législatif et des moyens - Statut « Pastille » permettant l’exception pour la Réunion sur l’application de mesures tels que la mise en place du revenu de vie (cf, la Suisse vient de le voter)

Entreprises : mise en œuvre opérationnelle de projets à impact économique
o Implication dans les secteurs de l’innovation technologique, énergétique, écologique..
o Utilisateurs privilégiés de la monnaie complémentaire
o Mise en place de chantiers sur les nouvelles gouvernances

Société civile, vecteur d’innovation et de changement : Engagement dans une multitude de projets, ouvrant la voie au monde économique avec des nouveaux outils, méthodes, modes opératoires, .. et ce qui est nouveau, avec enthousiasme, dans une démarche en réseaux, ludique et inventive.

Mécènat : permettre de trouver les moyens d’impulser la mise en place de ce vaste projet à travers des soutiens financiers issus du mécénat privé, Fondations…, même si il est à parier que les moyens seront vite organiques.

Dans un tel projet, nous avons bien un changement profond de structuration de la société, qui passe d’un modèle vertical concentré et autoritaire à un modèle horizontal, partagé, et coopératif. Nous sortons des schémas Top to Bottom, mais aussi Bottom Up (qui apparait plus légimitime mais qui a ses effets pervers de perte de temps, d’indécision, de confusion…) pour Assoir un mode de fonctionnement LATERAL, en RESEAUX, où chacun est porteur et acteur du changement sociétal. Nous transformons les 4P enseignés dans les écoles de Commerce pour l’optimisation du fonctionnement de la 2d révolution industrielle (Publicité, Prix, Produit, …) en stratégie 4P qui signifie : Partenariat Population , Public, Privé.

Certes, ce projet peut paraitre trop ambitieux, irréaliste, utopique.. mais :
 Il n’est pas isolé, d’autres parties du monde s’y attèlent (USA, Chine, Rome, pour ne citer qu’eux)
 Nous sommes au pied du mur, et la Réunion rassemble de nombreux facteurs lui permettant de s’engager dans cette expérience de refonte sociétale. La mise en route des projets suivra, ils sont déjà nombreux mais diffus … il s’agit de les relier, et les multiplier, sur ce nouveau mode latéral, pour qu’un effet « boule de neige » inévitable diffuse largement sur l’ensemble du territoire.

L’intérêt fondamental d’un tel projet -au-delà des valeurs véhiculées-, est l’énorme potentiel créatif libéré, donnant une place importante à des multitudes de petits projets, mettant en mouvement dynamique la société civile, dans un élan de réappropriation de son avenir plutôt que d’une dépendance déprimante à un système moribond. Au-delà d’être un pas vers l’autonomie économique des individus, de mettre en mouvement la population jeune démobilisée qui s’affranchit alors de la dépendance aux aides sociales.

C’est un espoir sociétal qui est redonné à toute une population, fière non seulement de se sentir vivante, mais de devenir potentiellement un modèle à suivre aux yeux de la France, et pourquoi pas du monde ? De l’Utopie à l’action.. il n’y a qu’un pas.

Florence RATAUD – le 7 juin 2016

« Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde ». Gandhi

Références :

1 Professeur Emérite Jacques Blamont, Président d’honneur du CNES : Introduction au siècle des Menaces. Pablo Servigne : Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (2015) en collaboration avec Raphaël Stevens. Editions du Seuil.

2 Jeremy Rifkin : la 3è révolution industrielle, (J. Rifkin , économiste, spécialiste de prospective économique et scientifique et conseiller politique).

3 Mouvements de la transition : toutes les innovations sociétales visant à transformer la société. Selon Sémal « mouvement fondamentalement optimiste et constructif qui suggère que face aux chocs globaux annoncés (climatiques, énergétiques et économiques), les communautés locales reconstruisent en urgence leur résilience locale et … offre la capacité d’un écosystème à encaisser un choc sans s’effondrer et à se réorganiser en se réinventant pour le surmonter » , cf : feed the 5000, UPcampus, Alternatiba, Energie partagée, Plan Esse, Pouvoir citoyen en marche, villes et territoires en transition, réseau Cocagne, Terre de lien, habitat coopératif, AMAP, Colibri …

iv Voir Effet Dumas : www.effetdumas.org. Bien sûr, cette énergie libre est fortement controversée et étouffée derrière des critiques mettant en doute sa véracité (Areva aurait tenté d’acheter le brevet)

v Lire les ouvrages de B. Lietaer (notamment : au cœur de la monnaie, réinventons la monnaie, halte à la toute puissance des banques + lien FB https://www.youtube.com/watch?v=b9wZgmNJDZg&feature=share), P. Derruder (Les monnaies locales, Manifeste pour l’argente serve plutôt que d’asservir..) et P. Viveret (reconsidérer la richesse, comment espérer en temps de crise, …)

vi https://ci6.googleusercontent.com/proxy/bBTL5CY7Mcy2N3rXQ9_fENMtl98TsZoiEiXiHV8NhqLsYJp6bWkSV98oqqpa3M33mv7yuqvoHqUT Uvpyju_G9gR73SlXYKsQBe4XqXCpRAkuxcFykDDZxHoB8BqQpP72xJGl19fHgSxjO2SC_Y45ZiM=s0-d-e1-ft - http://www.deepakchopra.it/LP/energie-vitali-francia/IMG/Header-Mail-Energie-600x246-FR.jpg

vii Un autre monde est possible : Joseph Stiglitz y développe notamment la formidable énergie déployée grâce aux micro crédits

viii Reinventing organizations Frédéric Laloux, et les gouvernances de type holacratique, sociocratique entre autres…

ix Sébastien Broca, « Utopie du Logiciel Libre, du bricolage informatique à la réinvention sociale » qui analyse les implications sociétales et économiques du Libre : circulation de l’information, production de services non marchand, rupture avec le capitalisme industriel, défense des biens communs.

x " Le monde change, ... et nous ? " de Véronique Guérin et Jacques Ferber https://www.youtube.com/watch?v=nNLTunoYbRA notamment

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