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Santhi Véloupoulé, Déléguée générale de la Confédération des PME Réunion

Publié le 30 mars 2017

Diplômée en philosophie politique, marketing et finances, cette grande voyageuse est rentrée sur son île natale où elle dirige, à 31 ans, la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises de La Réunion (CPME Réunion) qui regroupe plus de 500 entreprises locales et une vingtaine de syndicats partenaires.

Article publié dans Objectif Emploi, supplément du Quotidien de la Réunion – 30 mars 2017 (cliquer pour lire) / Plus d’interviews "Spécial Retour"


Quel a été votre parcours de mobilité ?

Santhi Véloupoulé : Née à Saint-Denis, je suis allée faire mon Hypokhâgne à Aix en Provence, puis ma Khâgne à Paris. J’ai ensuite poursuivi mon double cursus entre Paris et Lyon pendant quatre ans. J’ai effectué des césures de deux à neuf mois en Inde à New Delhi, en Ecosse à Edinburgh, en Tunisie à Sousse. J’ai commencé à travailler en 2008 en communication de crise pour un groupe du CAC 40 à Paris, puis j’ai passé deux ans à New York pour implanter un département communication. Là, j’ai beaucoup voyagé aux USA, dans une quinzaine de villes, mais aussi au Canada, au Costa Rica, au Panama, dans les Caraïbes.

Et ensuite ?

A mon retour à Paris, j’ai quitté ce groupe pour aller travailler dans une ONG spécialisée dans la détection des séismes. J’ai voyagé dans les zones européennes exposées aux risques de sismicité élevée comme la Turquie ou l’Italie ou le bassin du Maghreb. Des opportunités se sont présentées et je me suis tournée vers le monde du lobby. J’ai travaillé à Paris pour représenter les intérêts de presque 250 industriels dans les domaines des travaux publics, de la sidérurgie, métallurgie, manutention. Ce métier passionnant m’a amenée en Europe, à Bruxelles, Francfort, Hambourg mais aussi en Corée du Sud à Séoul par exemple. Depuis mars 2016, je suis rentrée à La Réunion. Je voyage presqu’autant rien qu’en regardant les gens ! J’ai l’impression qu’il y a sur les visages réunionnais les traits du monde entier. Je me déplace régulièrement à Paris ou à Bruxelles pour y défendre nos dossiers locaux.

Dubai

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

Je n’ai jamais perdu La Réunion de vue. Entre 2003 et 2015, je suis rentrée en moyenne deux à trois fois par an. D’abord car je suis attachée à ma famille et à mes amis d’enfance qui sont restés, aussi parce qu’il y a un bout de mon âme sur l’île. Je pense que je suis profondément nomade, mais avec des repères précis et des ancrages éternels comme un album de Oussanoussava ou de Ziskakan sur mon disque dur, mon goût pour la nourriture relevée, le confort que je ressens en savates ! Je suis rentrée parce que j’aime profondément mon île.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Je crois que nous sommes aussi à l’aune d’un véritable renversement de la table des croyances. La Réunion est en train de devenir le nom qu’elle porte. Il y a sur ce territoire tous les ingrédients de la réussite. Il suffit de bien les doser. Nous sommes une opportunité, une occasion pour la nation. Nous sommes un territoire océanique qui permet à La France de rayonner vers des marchés prometteurs.
Nous ne sommes plus la fracture sociale, la particularité insulaire qu’il faut materner, le handicap, le caprice colonial qui coûte trop cher. Nous incarnons un territoire dynamique, jeune, ouvert, tolérant, agile du fait de nos multiplicités, résilient du fait de notre Histoire. Je ne voulais pas rater ce tournant. Je voulais assister et surtout contribuer à rendre cela palpable par tous les Réunionnais…

New-York

Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Je suis souvent passée en vacances. Et puis en 2015, il y a eu un séjour différent. Je me sentais bien, au bon endroit. Je suis rentrée à Paris et pour la première fois, j’ai pensé que je pouvais être utile à La Réunion. Je crois beaucoup à la force de la pensée. Je crois beaucoup aux rencontres déterminantes. Je me suis demandée ce que j’aimerais bien faire, j’ai réactivé quelques contacts locaux. J’ai exposé mon expérience en laissant tous les champs ouverts. De fil en aiguille, des perspectives se sont dessinées car les CV, les profils circulent beaucoup à La Réunion. Et puis j’ai rencontré le président de la CPME Réunion à Paris. L’énergie, la passion qu’il a mis à m’expliquer ce pour quoi il militait ont été contagieux. Il y a eu un véritable croisement de chemins à ce moment. Je suis rentrée sept mois après animée d’une conviction profonde d’aller mener les combats qui avaient du sens pour moi.

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

Vous savez, mon arrivée à Gillot est très rituélique ! Cela se passe toujours de la même façon : je sors toujours du même côté avec la même personne à l’arrivée, qui m’accueille comme si j’étais partie hier. Cette fois j’ai juste pensé que je foulais le sol pour nourrir mon territoire, lui donner un peu de ce qu’il m’a tant apporté toutes ces années, que j’allais passer du temps avec les gens que je ne faisais que croiser... Quand on bouge beaucoup, on apprend progressivement à être bien avec soi-même, car on est toujours son premier ami dans un pays étranger. A contrario, on ne vit plus avec nos amis, notre famille. On rate plein de trucs sympas ou moins sympas. J’ai donc pensé que j’allais pouvoir non pas rattraper le temps, mais profiter de celui qu’on a devant nous.


Avez-vous eu des difficultés (professionnelles ou autres) à vous réinstaller ?

J’ai trouvé un regard très bienveillant et un écosystème content d’assister à la mobilité retour d’une réunionnaise je pense. J’ai bénéficié de conseils, d’écoute de chefs d’entreprises désireux de mettre en place des conditions propices à mon développement pro mais aussi perso. Je me suis sentie bien entourée et encouragée. C’est capital pendant la phase retour. Il ne faut pas sous estimer qu’il s’agit d’une véritable réadaptation, d’un ré enracinement. C’est loin d’être simple, à la fois pour celui qui est parti et qui a grandi ailleurs, et celui qui est resté et qui voit revenir un de ses semblables qui n’a plus les mêmes réflexes que lui.

Avoir une expérience de mobilité est-il un « avantage concurrentiel » ? Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?

Bien sûr qu’avoir été ailleurs et avoir vu autre chose que son environnement est une richesse qu’il faut valoriser ! On évolue je pense en se remettant en question et l’expatriation est un bon exercice pour cela. La structure des entreprises locales (99% sont des TPE PME) impose des collaborateurs agiles, élastiques, flexibles, qui participent et contribuent à un projet, le co-construisent. La Réunion, comme ses entreprises, demandent une adaptabilité permanente. Mon job aujourd’hui m’amène à tous les jours croiser des chefs d’entreprise. Certains bien assis, d’autre en création, d’autres en développement. J’en rencontre beaucoup qui me disent : « Santhi, on cherche des jeunes profils réunionnais qui ont envie de rentrer. » Des dirigeants qui cherchent des profils qualifiés, il y en a. De même qu’il y a des postes passionnants à prendre.

Hong-Kong

Plus généralement, qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Je trouve que le tissu économique foisonne ! Il y a des initiatives partout, les jeunes mettent place des réseaux et partagent tôt leurs expériences, s’enrichissent mutuellement. Je trouve qu’il existe un véritable dialogue territorial, en bonne intelligence. De ma fenêtre, je trouve que les barrières tombent progressivement entre les mondes politique et économique. Culturellement, il y a encore pas mal de choses à faire. Des concerts sympas, de nouveaux concepts qu’on a vus ailleurs prennent forme ici. Je trouve qu’on se modernise et qu’à la fois les jeunes cherchent à faire perdurer les traditions. Enfin, je trouve qu’on est plus visibles qu’avant.

Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

Qu’il puisse subsister une si grande disparité sociale alors que nous sommes un peuple si uni et que nous cohabitons dans un espace contraint géographiquement. Quand je vivais à l’étranger, je vivais dans de grandes villes où l’anonymat et le non souci du prochain faisaient partie du jeu, un peu comme dans la jungle. A La Réunion, on est plutôt dans une réserve, un esprit cocon. On est sur un territoire généreux, et paradoxalement certaines réactions sont très égoïstes. Ce paradoxe m’interroge.

Abu Dhabi

Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

J’exerce mon travail avec passion et conviction. Je me sens alignée entre ce qui m’anime, ce que je suis et ce que j’incarne dans ma fonction. Les entreprises dont je défends les intérêts font partie de mon quotidien. Je les croise tous les jours ! J’ai rencontré depuis mon retour des personnes de grande qualité, généreuses. Je ne me focalise que sur cela. Je retrouve ma famille et cela me nourrit beaucoup. Je voudrais avoir plus de temps pour profiter de la nature réunionnaise. Parfois les grands espaces me manquent, la possibilité de prendre un avion et de changer totalement de cadre, de langue, de culture, de couleurs. Ca me manque aussi de pouvoir diner à 22h quelque part, ou d’aller faire des courses ou réparer ma lampe le dimanche.

Avec le recul, quel bilan tirez-vous de votre expérience de mobilité ?

Bouger, c’est une expérience de vie très forte. Cela nous confronte à d’autres réalités, cela enrichit le spectre des perspectives. On peut mettre plein de lunettes ensuite, pour voir la vie. C’est un moyen d’apprendre hyper accéléré. Et puis cela permet les rencontres, moments magiques. Avec le voyage, je suis devenue plus tolérante avec moi-même et les autres. Dans les décisions que je prends au quotidien, j’essaie toujours d’avoir différents points de vue, de « faire le tour de la question ». Je me rends compte qu’il n’y a ni bien ni mal. Que chacun a sa vérité. Que là où moi je vois du soleil, d’autres voient de la pluie, et inversement. Tout est une question de point de vue.

Istanbul

Quels sont vos projets ?

Je voudrais continuer de défendre les intérêts réunionnais pour construire une économie locale forte dont nous serons fiers. Je voudrais que La Réunion, qui est un modèle à beaucoup d’égards, explose et que nous le fassions savoir aux quatre coins du monde.

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

Je leur dirais d’avoir foi en leur conviction et de la faire transpirer dans les contacts qu’ils auront au téléphone ou par mail. Je leur conseille d’oser tenter leur chance et explicitant ce qu’ils ont à apporter à l’île, de poser sur un papier ce qu’ils ont envie de faire et de vendre cela. Ce qu’on a fait est essentiel bien entendu, mais ce qu’on a envie de faire, c’est bien plus accrocheur, car on l’exprime avec force et envie.


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