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Six mois après l’élection de Donald Trump

Publié le 13 juin 2017

Le rêve américain est-il en train de tourner au cauchemar ? Au lendemain du retrait des Etats-Unis de l’Accord Climat de Paris, Nadia Payet, Laurence Darmalingom, Jacques Desormiere et Christine Ah-Kang racontent de l’intérieur ce qui a changé au pays de l’oncle Sam. Voyage de Portland à Seattle en passant par San Diego.


Identité – Parcours

Nadia Payet, 34 ans, Seattle (Washington), ingénieure chez Google. Originaire de Saint-André, je suis titulaire d’un doctorat en informatique à Oregon State University.

Laurence Darmalingom-Hoover, 46 ans, San Diego (Californie), professeur de français. Originaire de la Plaine des Cafres. J’ai fait des études d’anglais à l’université de la Réunion, de Rennes et à Northern Arizona University.

Jacques Desormiere, 32 ans. Originaire de Saint-Denis, je suis installé à Portland (Oregon) depuis 2009. Je suis « Quality Assurance Lead » chez Graybox, une agence digitale qui fait partie des 100 sociétés avec la meilleure croissance de l’état. Portland est une des villes les plus démocratiques et vertes des USA.

Christine Ah-Kang, 24 ans. Récemment distinguée « Femme de l’Industrie » par l’Usine Nouvelle et « Talent de l’Outremer 2015 », cette Possessionnaise vient d’être embauchée par une entreprise new-yorkaise, après avoir créé une base de donnée reliée à Google Earth, remarquée au niveau international. Elle est la plus jeune ingénieur embauchée à ce poste par Dalet Digital Media Systems.

Ce qui a changé en six mois

Nadia : Ma vie professionnelle n’a pas vraiment été affectée par l’élection présidentielle. J’ai une carte verte pour entrer aux Etats-Unis, donc je n’ai pas eu de souci à la frontière. Mais j’ai beaucoup d’amis qui ont dû annuler leurs voyages pendant les quelques semaines d’incertitude après l’annonce du "travel ban". La ville où je vis, Seattle, est une ville sanctuaire et extrêmement libérale. Les gens ici vivent toujours mal l’élection de Trump. Il y a beaucoup de questionnements et d’incrédulité devant toutes les nouvelles venant de la maison blanche. La ville de Seattle et l’état de Washington se sont opposés à quasiment toutes les décisions venant du président : le travel ban, les réformes concernant la sécurité sociale et la santé, le retrait des accords de Paris...

Nadia Payet vit à Seattle (Washington)

Laurence : Selon moi, il y a beaucoup plus d’arrestations d’immigrants illégaux sans antécédents criminels, plus de crimes et d’agressions racistes ; en général : plus de divisions entre les groupes ethniques. 

Jacques : Pas de changement concret dans ma vie de tous les jours, mais des débats acharnés sur les réseaux sociaux et dans certains médias, des propos très à droite et pour ma part dérangeants. Il y a eu des émeutes à quelques miles de chez moi ; les slogans « Not my President » et « Black lives matter » étant les plus présents. Malgré les bonnes intentions des manifestants, des casseurs ont rendu ces évènements beaucoup plus violents qu’ils ne devaient l’être. Il y a aussi eu un double meurtre dans le train et des agressions délibérément racistes. J’ai l’impression que les personnes qui se cachaient ont décidé de refaire surface...

Christine : Avant son élection, je pensais que sa campagne était essentiellement un moyen de créer le buzz. Mais on s’est tous rapidement rendus compte que Donald Trump essayait dès son investiture de signer un maximum de décrets pour mettre en application son programme. Il y a eu notamment un mouvement de panique au niveau des visas. Quelques amis qui étaient dans le process de postuler pour le H1B avaient des retours très incertains des avocats. Au final, nombre de ses décrets ont été rejetés par le congrès ce qui a limité les conséquences directes.

Le retrait de l’accord climat de Paris

Nadia : Mes amis sont tous abasourdis que les Etats-Unis se soient vraiment retirés des accords de Paris. C’est un moment terrible pour un grand nombre d’Américains qui soutiennent les énergies renouvelables et la protection de la planète. La nouvelle a fait la une des journaux et elle est passée en boucle dans tous les journaux télévisés. Les réactions à Seattle ont été très négatives ; on sait à quel point les habitants du nord-ouest des Etats-Unis sont proches de la nature et respectueux de l’environnement...

Laurence : Beaucoup d’Américains sont choqués par cette décision et pensent que c’est une grosse erreur pour l’image et l’économie des États-Unis. Cela va avoir un impact très négatif à long terme.

Laurence Darmalingom vit à San Diego (Californie)

Jacques : Le Gouverneur de l’Oregon a décidé de se rallier à la Californie, Washington et New York afin de respecter les Accords de Paris. Les états fédéraux ont une certaine indépendance et une liberté qui forment un mur contre les projets du gouvernement. L’Oregon prévoit même de devenir complètement Vert, avec cent pour cent d’énergie renouvelable d’ici 2035. Pour ma part, ce n’est qu’un jeu de symboles et de forces. Si les sociétés investissent dans le vert, ce qui est le cas, le gouvernement ne pourra que suivre.

La nouvelle présidence française

Nadia : Ca a été un soulagement général de voir le Front National vaincu ici. Mes collègues et amis m’ont même remercié pour le vote français, vu comme une lueur d’espoir face à la vague nationaliste qui touche de nombreux pays, en particulier après le Brexit et l’élection présidentielle américaine. Qu’un candidat "indépendant" ait pu gagner les élections en France est une nouveauté aux USA comme dans l’hexagone. "Wait and see" comme on dit ici. En attendant, son message en anglais adressé aux Américains a été diffusé très largement sur les réseaux sociaux et dans pas mal de journaux télévisés. La petite touche "Make our planet great again" a largement contribué à sa diffusion, faisant référence au slogan de Donald Trump "Make America great again".

Laurence : L’appel d’Emmanuel Macron a été diffusé par les médias et bien accueilli. Beaucoup sont épatés par ses compétences et son professionnalisme. Ils sont d’accord avec lui et certains états ont déclaré qu’ils continueraient à respecter les accords de Paris dans leur politique sur l’environnement. Macron apparaît de plus en plus dans les médias, notamment quand il s’affiche avec le président canadien Justin Trudeau ou d’autres figures politiques pour maintenir leurs valeurs face au gouvernement américain actuel. Les Américains informés étaient soulagés de notre choix aux élections, ils craignaient une répétition de l’erreur américaine d’élire la mauvaise personne.

Jacques : Macron est considéré comme « le Trudeau européen ». Son message adressé en anglais aux Américains m’a rendu fier, je l’ai envoyé à tout le monde au travail. Beaucoup de personnes sont fans ici, j’ai même reçu un article sur le fait que Macron parlerait mieux anglais que Donald Trump ! Le fait que notre Président a tenu tête à ses homologues russe et américain n’est évidemment pas passé inaperçu ici. D’ailleurs, à peine quelques minutes après les résultats des élections françaises, je recevais des messages du genre « I am really happy for you », « You guys are smarter than us »...

Jacques Desormiere vit à Portland (Oregon)

Christine : Les médias avaient beaucoup parlé de Marine Le Pen comme de l’équivalent français de Donald Trump et il y a eu un soulagement que la France ne l’ait pas élu. Emmanuel Macron est perçu comme un président jeune capable de valoriser l’entreprenariat et l’innovation ainsi que d’aider au renforcement de l’Europe. De façon générale, l’opinion est plutôt positive. Sa phrase ’Make our planet great again’ a davantage résonné que l’appel à venir en France lui-même.

Le mandat de Donald Trump

Nadia : Aucune idée s’il finira son mandat pour être très honnête. Il semble que rien ne soit suffisant pour lancer une procédure d’impeachment. Mais l’enquête indépendante sur les liens entre l’administration Trump et la Russie pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le congrès est seul maître pour faire barrage à Donald Trump, et jusqu’à présent, personne ne s’est prononcé contre le président. C’est l’incertitude, même si on semble se diriger vers plus de dissidences au sein du parti républicain. Aucune mesure promise n’a encore été réellement mise en oeuvre, preuve de l’échec de l’administration à convaincre son propre parti.

Laurence : L’avenir nous dira s’il le finira. Pour l’instant ton taux de popularité est à 37% dans la plupart des sondages. Les Américains sont déçus par ses choix et son comportement de dirigeant. Son gouvernement est très désorganisé et a du mal à exécuter son agenda. Il y a beaucoup de désaccords et rien n’avance. C’est un peu absurde, comme une farce qui se déroule sous nos yeux !

Jacques : Les messages diffusés par le Président et son équipe sont très vagues et contradictoires, honnêtement c’est difficile à suivre. Le personnage est imprévisible et tente de charmer le plus grand nombre (d’où le fameux « The people of Pittsburgh, not Paris ») mais il ne faut pas oublier que la majorité des Américains n’ont pas voté pour Trump ! En cas d’impeachment, savez-vous qui serait son remplaçant ? Je ne suis pas sûr que le deuxième de la liste soit mieux... Alors j’essaie de ne pas trop m’inquiéter et reste plus proche des informations sur l’Oregon, la France et la Réunion.

Christine : Au niveau de NYC, chacune de ses mesures fait l’objet de manifestations (pacifiques). Les New Yorkais clament haut et fort ’Not my president’. L’unité de NYC contre l’actuel président est incontestable mais les élections ont révélé que la Big Apple pense différemment de l’Amérique profonde où cette élection a ravivé un certain racisme et un revers de la recherche d’égalité.

Christine Ah-Kang vit à New-York

Et maintenant ?

Nadia : Le nouveau plan de santé proposé par le Congrès entraînerait la perte de leur assurance santé pour plus de 20 millions d’Américains. Si le projet passe le Sénat, ce serait une catastrophe sanitaire et humaine pour le pays. Les citoyens américains devront aussi probablement bientôt se munir d’un visa pour aller en Europe, après que les Etats-Unis aient refusé d’honorer les accords de réciprocité pour le système de voyage sans visa. Le pays est toujours très divisé socialement et politiquement. La présidence de Trump a motivé beaucoup de jeunes démocrates à s’engager en politique, ce qui peut présager d’un possible changement de majorité au Congrès aux prochaines élections en 2018.

Laurence : Le pays est dans l’incertitude au sujet des services de santé (Obamacare), des budgets pour l’éducation, des politiques d’immigration et bien sûr des relations avec le reste du monde. Les Américains sont frustrés, surtout ceux qui n’ont pas voté pour Trump, et ont honte d’avoir un président incompétent.

Jacques : Les Etats-Unis sont un pays très divisé, mais pas comme en France. D’abord il y a la différence entre le Pays et les états, puis entre les villes et le monde rural, et encore entre les classes supérieurs, moyennes et la pauvreté qui est choquante s’agissant de la première puissance économique au monde. Dans mon cas, le pays et l’économie n’ont pas vraiment changé. Tant qu’il y aura des gens comme notre gouverneur, des chefs d’entreprises visionnaires et des talents qui viennent de quatre coins du monde (comme de la Réunion !), ce pays continuera à être grand.

Christine : Beaucoup parlent d’impeachment. À son prochain faux pas peut être... Le fait qu’il ait été élu a mis en avant un rejet de ce qui est considéré comme le ’système politique’ mais avant tout un clivage entre les grandes métropoles et l’Amérique profonde.


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