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Gilmé Albuffy, dentiste de Mafate

Publié le 24 octobre 2017

Son matériel sur le dos, il se rend à pied deux fois par mois depuis les bas pour soigner ses patients dans une pièce mise à disposition au Bistrot des Songes... en attendant de lever tous les obstacles pour créer un cabinet dentaire dans le plus inaccessible des cirques. Récit du projet un peu fou (mais nécessaire) de ce jeune dentiste rentré à la Réunion après des études à Marseille.


Pouvez-vous vous présenter ?

Gilmé Albuffy, 38 ans. Je suis originaire de Sainte-Anne, d’une famille modeste de cinq enfants avec un père agriculteur (dans la canne à sucre) et une mère au foyer. J’ai étudié et exercé à Marseille en tant que Docteur en Chirurgie Dentaire, avant de rentrer à la Réunion en 2009, où j’ai monté un cabinet à Saint-Benoît.

Pourquoi Mafate ?

A l’heure où nous parlons d’accessibilité des soins à tous sur le territoire français, il reste à la Réunion des zones désertées par les chirurgiens dentistes. Les Mafatais doivent aller très loin de chez eux pour se faire soigner et le plus souvent à pied. Pour ceux qui ont du mal à se déplacer, comme les personnes âgées, ils doivent prendre l’hélicoptère. Dans ce contexte, les personnes âgées et les enfants sont les moins bien lotis en matière de soins bucco-dentaires. Il y avait auparavant un dentiste qui faisait partie des missions sanitaires héliportées une fois par mois dans les Ilets mais depuis 2006 ce n’est plus le cas. Il est vrai que l’Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire de l’Océan Indien (UFSBD OI) fait des missions de prévention, mais ce n’est que de la prévention bucco-dentaire, il n’y a pas de soins car pas de matériel sur place.


Quel est votre projet ?

Mon projet consiste à créer un cabinet dentaire à Mafate avec un plateau technique comme ceux qu’on peut trouver sur le littoral, facilitant ainsi l’accès aux soins dentaires pour les Mafatais. Je viendrai y prodiguer des soins un jour par semaine, le vendredi. Le Conseil de l’Ordre des Chirurgiens Dentistes m’a autorisé à monter ce projet sous forme d’extension du plateau technique de mon cabinet actuel. En d’autres termes, il s’agit d’un cabinet secondaire dans une zone dépourvue de chirurgiens dentistes.

L’attentes des patients

Après avoir fait une réunion avec le CCAS de la Possession, je me suis rendu à l’Ilet à Bourse pour rencontrer les habitants. Je leur ai demandé ce qu’ils pensent de la venue d’un dentiste sur Mafate pour réaliser des soins dentaires. Les langues se sont déliées. Pour résumer, c’est compliqué pour eux de se rendre sur le littoral pour se faire soigner. Ils se sentent délaissés depuis l’arrêt de la venue du dentiste des missions sanitaires il y a dix ans. Ils attendent pouvoir se faire soigner « à proximité » de chez eux dans de bonnes conditions avec un plateau technique correct. Ils veulent un dentiste à Mafate. Ils ont signé une pétition dans ce sens. A la Nouvelle le discours est le même. Certains perdent une journée de travail voire deux pour se rendre sur le littoral et se faire soigner.


Où dans Mafate ?

Pour moi, ce cabinet devrait se situer dans l’Ilet le plus facilement accessible par tous. Après concertation avec le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de la Possession, l’Ilet le plus central est l’Ilet à Bourse. En plus il dispose d’un dispensaire médical, mais pour diverses raisons et complications* (voir ci-dessous), j’ai dû me rabattre sur La Nouvelle. Le gérant du Bistrot des Songes a accepté de me mettre à disposition une pièce pour y créer un cabinet dentaire éphémère, le temps d’une journée. C’est un projet pour les Mafatais alors c’est « normal » pour lui de faire en sorte qu’un dentiste puisse venir prodiguer des soins dans l’Ilet.

Le parcours du combattant

J’ai acheté du matériel spécialisé, pouvant être transporté et rangé facilement, pour monter un cabinet dentaire éphémère. En avril 2017, avec mon ami Paul Ragouva, nous avons descendu le matériel à dos d’homme. Maintenant il reste sur place. A chaque descente, je ramène le matériel stérile nécessaire aux soins de la journée. Et tous les 15 jours, je vais prodiguer des soins dentaires aux habitants de la Nouvelle. C’est un peu un parcours du combattant mais les Mafatais méritent qu’on se décarcasse pour eux. Maintenant, il me reste à convaincre les autorités du bien fondé de ma démarche pour avoir un local afin d’y créer un vrai cabinet dentaire. J’y crois…


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L’état des lieux

Dr Luc Bernoud a fait sa thèse de doctorat sur l’état bucco-dentaire des Mafatais en 2015. Il a réalisé son étude sur 20% des habitants de Mafate (127 Mafatais) lors des missions sanitaires héliportées. Les habitants n’avaient pas forcément envie de montrer leurs dents s’ils ne pouvaient pas être soignés. Néanmoins, cette étude permet d’illustrer que la présence d’un dentiste est une nécessité. En voici les principaux enseignements :

- « 43% des enfants de 6-11 ans n’ont jamais vu un chirurgien dentiste » : c’est inadmissible car tous les enfants reçoivent une invitation pour un bilan bucco-dentaire (MT’Dents) à l’âge de 6, 9, 12, 15, 18 ans. Il y a une vraie perte de chance d’avoir des dents saines. Aussi, les traitements interceptifs à visée orthodontique ne peuvent pas être entrepris.
- « 56% des personnes âgées (plus de 61 ans) ont vu un chirurgien dentiste il y a plus de 5 ans » : ces personnes se déplacent moins, s’auto-médiquent, attendent de souffrir pour consulter. Ces personnes ont souvent plusieurs pathologies associées et un bilan bucco-dentaire annuel est nécessaire pour leur santé, puissent-ils le faire à côté de chez eux.

Les objectifs d’un cabinet dentaire à Mafate

L’objectif est de rendre les soins dentaires plus facilement accessibles aux 750 Mafatais. Les enfants de Mafate, les femmes enceintes ont le droit d’avoir un bilan bucco-dentaire sans devoir faire des heures de marche pour se rendre dans un cabinet dentaire. Les personnes âgées ont le droit de pouvoir se faire soigner à proximité de chez eux. Il est vrai qu’ils ont choisi d’habiter à Mafate connaissant la situation, mais habitant sur le territoire français, ils ont droit à l’égalité d’accès aux soins. L’objectif est aussi de rendre les soins dentaires, nécessitant souvent plusieurs rendez-vous, plus facilement gérables.

Installation du cabinet éphémère

* Démarches et complications

Pour mettre sur pied ce projet, il a fallu un certain nombre d’autorisations.

J’ai commencé par envoyer un courrier à l’Agence Régionale de Santé (ARS), au Conseil Général, au Conseil Régional, à la mairie de la Possession pour connaître les démarches à entreprendre. Seule la commune de la Possession a eu la l’amabilité de me répondre. J’ai rencontré le CCAS de la Possession pour avoir des éléments de terrain et avoir une base de travail.

N’ayant pas de réponse de l’ARS, j’appelle directement leur service et mon interlocuteur me fait comprendre qu’il ne peut pas m’aider, que je vais me « faire du fric » à Mafate, que je suis libéral et je dois me « démerder tout seul », comme quand je crée un cabinet dans un endroit quelconque. « Il doit y avoir des aides, je vais faire des recherches et je vous tiendrai au courant », toujours pas de nouvelles à ce jour…

Etant donné que Mafate fait parti du parc national de la Réunion, toute activité est soumise à l’autorisation de l’Office Nationale des Forets (ONF). J’appelle cet organisme pour connaître les démarches à entreprendre. Là aussi mon interlocuteur me fait comprendre que c’est très compliqué de créer une activité libérale au sein du parc naturel, les activités à but lucratif sont interdites. Si je veux vraiment ouvrir un cabinet dentaire, il faudrait que je trouve une concession constructible libre, et que je fasse la demande de création auprès de leur service. Je demande comment trouver ce type de concession, il me dit qu’actuellement l’ONF ne donne plus de concession…

Dispensaire de l’Ilet à Bourse

Mon idée de base était d’utiliser le dispensaire, je demande donc l’autorisation d’utiliser ce dernier. Ce local étant utilisé pour les missions sanitaires ne peut pas être mis à ma disposition. Je décide alors d’envoyer un courrier à la direction de l’ONF pour demander l’autorisation d’utiliser le dispensaire de l’Ilet à Bourse afin d’y aménager une unité de soins dentaires. La réponse fut positive car ils ont compris l’intérêt de mon projet mais cette autorisation est soumise à l’autorisation du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de la Réunion.

J’adresse un courrier au CHU pour avoir l’autorisation d’utiliser le dispensaire, et là, on me renvoit vers l’ARS… et c’est reparti. Après insistance, la directrice du CHU me donne l’autorisation d’utiliser ce fameux dispensaire de l’Ilet à Bourse, elle trouve que c’est un très beau projet.

Pendant tout ce temps, le président du Conseil de l’Ordre des Chirurgiens Dentistes, Dr Marguier m’a assuré tout son soutien, il a lui-même initié les missions dentaires héliportées dans les années 80. Je tiens à le remercier.

J’ai envoyé de nouveau un courrier au Conseil Général, au Conseil Régional pour demander une aide financière. N’ayant pas de réponse, je me suis déplacé dans leurs locaux. « Monsieur, vous ne correspondez pas aux critères pour avoir une aide de nos services ».

Rencontre avec les institutrices de La Nouvelle pour mettre en place des séances de prévention bucco-dentaire

J’ai écrit à la ministre de la santé pour demander une aide financière car l’accessibilité des soins est une priorité de son mandat. Jusqu’à ce jour, je n’ai eu aucune réponse.

Croyant que j’avais toutes les autorisations nécessaires pour finaliser ce projet, avec mes fonds propres, j’ai commencé à acheter du matériel. Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé, soutenu de près ou de loin dans ce projet.

En décembre 2016, renversement de situation. Suite à une réunion au CHU, j’apprends que mon activité de soins dentaires ne correspond pas à la mission de soins qui a été confiée au CHU par l’ARS. Je ne peux donc pas utiliser le dispensaire de l’Ilet à Bourse, ni les autres dispensaires d‘ailleurs. Et là, le projet s’écroule. Que faire, baisser les bras ? Je décide de prendre un peu de recul pour trouver des solutions.

Après un laps de temps de réflexion, je décide d’aller à la Nouvelle à la recherche d’un local. Cet Ilet étant plus facilement accessible à pieds, ce serait plus aisé de m’y rendre pour les soins. Arrivé au Bistro, je commence à exposer la situation au gérant en lui expliquant que je suis à la recherche d’une concession libre, d’un local, voire d’une pièce pour y exercer mon métier. Et là, avec une grande gentillesse, il me propose de me mettre à disposition une pièce dans laquelle je pourrais travailler. Mais dans ce cas, il faudra laisser libre la pièce quand je ne travaille pas.

Changement de fusil d’épaule, il me faut dans ce cas du matériel portable, pouvant être rangé facilement. J’entreprends les démarches dans ce sens et j’achète ce type de matériel pour créer un cabinet dentaire éphémère, le temps d’une vacation de soins.

C’est un peu un parcours du combattant mais, pour moi, les Mafatais méritent qu’on se décarcasse pour eux. Avec du courage, de la volonté, de la ténacité, on peut atteindre nos objectifs. Maintenant, il me reste à convaincre les autorités du bien fondé de ma démarche pour avoir un local afin d’y créer un vrai cabinet dentaire. J’y crois…

Rencontre avec les institutrices de La Nouvelle pour mettre en place des séances de prévention bucco-dentaires


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