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Le rêve américain de Mathéo Techer

Publié le 7 décembre 2017

Ce jeune Tamponnais a décroché une bourse au prestigieux « Berklee College of Music » à Boston après un cursus au Conservatoire Régional de la Réunion. Différences, adaptation, changement d’échelle… Mathéo décrit son expérience de musicien réunionnais expatrié aux Etats-unis.


Pouvez-vous vous présenter ?

Mathéo Techer, 20 ans. Né à Saint-Denis, j’ai vécu au Tampon jusqu’à mes 17 ans, année d’obtention de mon Baccalauréat. Mes parents sont tous les deux musiciens, ce qui a permis à mon enfance d’être bercée par la musique (aussi bien locale qu’internationale). J’ai suivi depuis mes 7 ans un cursus d’études musicales au Conservatoire Régional, me permettant d’obtenir un DEM :Diplôme d’Etudes Musicales. Je vis aujourd’hui à Boston (Massachusetts) aux Etats-Unis et j’étudie dans la prestigieuse université Berklee College Of Music.

Dans quelles conditions avez vous quitté l’île ?

En 2014, j’ai participé à un stage d’été à Berklee à l’issue duquel j’ai auditionné pour le ‘Full-Time Program’ et obtenu une bourse. Partir pour continuer mon apprentissage de la musique aux Etats-Unis a toujours été un rêve. Grâce à cette ambition et au soutien sans failles de mes proches, j’ai pu réaliser ce rêve dès mon baccalauréat en 2015. La préparation de ce départ à été un processus long et fastidieux : procédures d’inscription à Berklee, obtention d’un visa étudiant, nécessité d’un entretien à l’ambassade américaine (l’ambassade la plus proche de la Réunion se situant à Maurice).

A mon départ de l’île en août 2015, comme chaque jeune Réunionnais qui part à la découverte du monde, j’étais partagé entre l’excitation d’aller vivre mon rêve et le chagrin de quitter mon pays et mes proches. Le voyage entre La Réunion et Boston est long : il faut d’abord aller jusqu’à Paris (10h45 de vol) puis prendre un autre vol vers Boston (7h30 de vol). J’ai eu la chance d’être accompagné par mon père, ce qui a rendu cette étape bien plus facile à vivre !

Que vous apporte cette expérience américaine ?

Boston est une ville où de nombreux jeunes venus du monde entier étudient dans de prestigieuses universités (MIT, Harvard…). Il est extrêmement enrichissant pour moi de tisser des liens avec des gens en provenance d’autres parties du globe ! Le fait de m’être installé aux Etats-Unis m’a permis de devenir bilingue, ce qui est essentiel pour ma profession. J’ai aussi constaté l’unicité de notre musique... Le maloya m’a permis d’être remarqué par plusieurs professeurs et musiciens de renom, curieux d’en apprendre davantage sur ses sonorités et son origine.

Vidéo diffusée par l’université de Berklee :

Quel est votre regard sur la région où vous vivez ?

Boston est une ville dynamique et extrêmement agréable, mis à part les hivers souvent bien rudes pour un Réunionnais. Il est très facile de voyager à bas coûts et rapidement vers les Etats-Unis, le Canada …, chose à laquelle je n’avais pas vraiment été habitué en grandissant à la Réunion. Boston est une grande ville, mais il y fait bon vivre : on n’a pas la pression que l’on peut ressentir à Manhattan par exemple. L’architecture de la Nouvelle-Angleterre est très typique. La beauté des rues et des décors me rappelle souvent des films ou séries que j’ai vus étant plus jeune, ce qui me fait souvent penser que je vis un rêve.

Et les Américains ?

Il m’a fallu un certain temps d’adaptation pour, par exemple, comprendre que le sarcasme et le second degré ne sont pas toujours naturels pour les Américains. Leur mode d’expression en général me semble bien plus littéral. J’ai également constaté un esprit compétitif (la plupart du temps relativement sain), encourageant cependant l’individualisme. La société de consommation rend la quête de richesses obligatoire alors la culture américaine valorise le travail et incite à être dans un état d’esprit entrepreneurial. Beaucoup des Américains que j’ai rencontrés sont fiers de parler des bénéfices financiers apportés par leur business, certains cumulent plusieurs emplois)... Toutes ces différences ne m’ont néanmoins pas empêché de me sentir intégré !

Quels sont vos projets ?

Mes études à Berklee prendront fin en décembre 2018. Par la suite, mon projet est de profiter de l’année d’OPT (Optional Practical Training) qui suivra mes études : j’envisage de m’installer à Los Angeles afin de poursuivre ma carrière de musicien professionnel. Avec New-York que je visite régulièrement, Los Angeles est une des capitales du monde concernant l’industrie de la musique.

Je souhaite continuer à faire des performances en tant que batteur ‘sideman’ pour différents artistes (concerts, tournées, enregistrements…) et j’espère aussi continuer à développer mes propres compositions et projets musicaux personnels. Un retour à la Réunion ? Bien que la scène musicale sur l’île soit en pleine expansion, les opportunités qui s’offrent à moi dans les capitales musicales du monde (New-York, L.A, Londres…), sont plus en adéquation avec mon projet personnel à l’heure actuelle.


Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?

Oui ! J’ai la chance d’avoir rencontré Théo Hoarau, Réunionnais qui a commencé ses études à Berklee un an avant moi. Il fait aujourd’hui partie de mes amis les plus proches. On se voit d’ailleurs régulièrement pour cuisiner et manger un bon carry. J’ai aussi la chance de participer à plusieurs projets musicaux avec lui.

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Si les restrictions en matière de contenance des valises n’étaient pas si strictes, j’aurais probablement emporté l’intégralité de la cuisine de chez mamie (saucisses, brèdes, safran, mangues… ). Cependant il fallait faire un choix, et j’ai opté pour un mini kayamb que j’utilise pour quelques projets musicaux, et des épices avec lesquelles je cuisine quotidiennement. J’ai aussi emporté un tableau avec des photos souvenirs confectionné par mes proches.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Nous avons la chance d’avoir une culture unique au monde, un mode de vie et un système social français, qui présente de nombreux avantages qui n’existent pas, ou peu aux Etats-Unis. Le prix des soins de santé et des assurances maladies à Boston est un exemple parmi d’autres. A la Réunion et en France nous avons la chance d’avoir accès aux soins, quelques soient nos revenus. C’est une situation confortable dont on n’a pas forcément conscience avant d’être dans un pays étranger, où une simple consultation médicale peut nécessiter des frais exorbitants.

Qu’est-ce qui vous choque le plus aux Etats-Unis en tant que Réunionnais ?

Partir de la Réunion m’a fait prendre conscience d’un certain nombre de choses que je n’avais jamais réalisées auparavant. J’ai d’abord été choqué par la différence de mixité culturelle. Boston est réputée pour être une ville composée de différentes ethnies. C’est bel et bien le cas, mais contrairement à la Réunion, à Boston les cultures ne se mélangent pas vraiment. J’ai constaté avec stupéfaction l’importance des parois entre les différentes cultures qui se côtoient mais qui se marient rarement. On remarque aussi les nombreux mouvements sociaux comme le ‘Black lives matter’ qui m’ont fait réaliser à quel point le racisme est un problème d’actualité dans ce pays. Ces mouvements prônent la liberté des « races ». J’ai été extrêmement stupéfait par l’usage du mot « race » et le besoin de différencier chaque groupe/communauté d’origines diverses...

Quoi d’autre ?

Alors que la culture et les arts sont reconnus et soutenus en France, le simple fait de parler de l’existence du statut d’intermittent du spectacle suscite beaucoup d’étonnement chez les Américains, qui n’ont rien de similaire dans leur système. Quitter la Réunion et constater les divergences culturelles n’a fait qu’accentuer la fierté que j’ai d’être réunionnais. Car notre métissage des cultures, notre tolérance et notre exemple de vivre ensemble est extraordinaire.

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

La liste est longue ! Bien entendu mes proches sont en haut de cette liste. Je pense souvent avec nostalgie aux moments du quotidien dont je ne mesurais pas la douceur : les repas de famille, les pique-niques dans les hauts… Lors des hivers longs et rudes à Boston (températures avoisinant régulièrement les -15°C), je rêve souvent de la chaleur et du soleil de mon pays. Par ailleurs, je pense chaque jour à la nourriture de la Réunion (Carry feu d’bois, fruits, sandwichs américains …) ! J’ai réussi à trouver quelques aliments me permettant de cuisiner des plats se rapprochant de ceux préparés par ma famille, sans jamais égaler le délice d’un vrai bon carry de chez mamie.

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

La Réunion n’est pas connue à Boston. La plupart du temps, il me faut donner des explications, à tel point que j’ai mémorisé un discours à force de le répéter. Une fois située et sommairement décrite, la Réunion est perçue comme une petite île paradisiaque, dont l’urbanisme est difficilement imaginable pour certain. On m’a souvent demandé s’il existait de ‘vraies villes’. Que leur conception de la Réunion soit exacte ou erronée, mes interlocuteurs ont toujours été curieux d’en apprendre davantage sur ce bout de France à des milliers de kilomètres de sa capitale.
Lorsque je parle du métissage, de la beauté des paysages et de la diversité de ces derniers, les gens réalisent à quel point cet endroit est unique au monde !

+ d’infos : https://matheotecher.com / www.facebook.com/matheotechermusic/


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