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Violences en Afrique du Sud : Aurélie Peron témoigne

Publié le 12 avril 2010

La rubrique 974 World News réalisée en partenariat avec Le Quotidien donne la parole à des Réunionnais qui témoignent de l’actualité dans leur pays d’adoption. Aurélie Peron, originaire de Saint-Paul, est devenue animatrice culturelle à l’alliance française de Durban depuis plus d’un an. Elle est chargée de coopération entre la Région Réunion et la Région Kwazulu Natal. Si l’assassinat du leader extrémiste pro-apartheid Eugène Terre’Blanche et les tensions qui ont suivi n’ont pas concerné les habitants du Kwazulu Natal, Aurélie Peron perçoit que les discours les plus radicaux peuvent trouver une audience chez les plus pauvres et chez les petits groupes extrémistes comme les fermiers pro-apartheid d’AWB. Elle demeure néanmoins optimiste et prévoit une belle fête pour la Coupe du monde de football.

Aurélie Peron
Aurélie Peron (à droite) lors d’une cérémonie zouloue : "Nous avons de la chance de voir l’évolution de ce pays car cela nous permet de réfléchir sur la propre évolution de notre île. Et nous comprenons ainsi comment notre île en est arrivé a cette harmonie ou les communautés se côtoient et se mélangent".

Comment avez-vous appris l’assassinat du leader pro-apartheid Eugène Terre’Blanche ?

J’ai appris l’assassinat d’Eugène Terre’Blanche par les médias locaux. SABC chaine de télévision sud africaine

Comment réagissent les Sud-Africains à cette nouvelle ?

Etant à Durban le problème me semble délocalisé. En effet à Durban, les Sud-Africains que l’on rencontre, Noirs, Blancs ou Indiens ne mentionnent nullement cette actualité. Ce n’est pas le sujet de toutes les conversations.

Partagez-vous l’avis des médias occidentaux qui voient dans cet événement l’illustration d’un renforcement des tensions raciales entre Noirs et Blancs ?

Je ne partage que partiellement l’avis des médias occidentaux car les tensions liés à la mort de Terre’Blanche sont localisés et n’ont pas atteint les autres provinces. Je pense également que l’Afrique du Sud est de plus le centre d’intérêt du monde entier à cause de la Coupe du Monde. Le pays est tellement médiatique pour son insécurité que tout se qui s’y passe est amplifié.

Les tensions raciales ne s’intensifient pas a mon avis. L’Afrique du Sud a quitté le régime de l’apartheid il y a 16 ans de cela. Un passé marqué par des violences et des ségrégations comme nous le savons bien. Il me semble donc normal que la population qui se cherche s’affronte parfois. C’est ce qui lui permettra de pointer ses différences mais aussi ses similitudes. 16 ans, ce n’est rien dans l’histoire d’un pays, il faut du temps pour trouver une certaine harmonie. Les tensions entre Blancs et Noirs n’existent plus réellement, ce sont juste deux catégories de personnes qui ne se connaissent pas et qui ont peur de « l’étranger ».

Les tensions actuellement sont a mon avis accentuées par des minorités extrémistes tels que le AWB et le mouvement de jeunesse de l’ANC. Ce dernier n’est nullement soutenu par l’ANC lui-même.

Est ce que les provocations de Julius Malena, président du mouvement de jeunesse de l’ANC, qui dans ses chansons appelle au meurtre des fermiers blancs, trouvent une audience importante au sein de la population ?

Il y a toujours une audience chez une population qui a longtemps été soumise et qui a du mal à s’épanouir dans une société de consommation. Néanmoins la jeunesse « noire » n’adhère pas aux meurtres des fermiers blancs. La violence n’amènerait que plus de violence. La population noire étant très croyante, elle cherche plus un climat de paix que la guerre civile.

Néanmoins la médiatisation des évènements donnent plus d’ampleur à ces petits groupes extrémistes. Selon le Mercury 1 000 personnes ont demandé à rejoindre l’AWB depuis la mort d’Eugène Terre’Blanche et l’intervention de Julius Malema. (Lire sur le web : "Enough is enough, says new AWB leader")

Ici, le film Invictus a fait un tabac, pouvons nous croire en l’image idyllique qu’il véhicule d’un peuple sud-africain totalement réconcilié ?

Je ne dirais pas que le peuple est totalement réconcilié, car comme je l’ai dit précédemment il faut du temps pour oublier un passé douloureux. Il faut du temps pour pardonner, mais les différentes communautés vivent aujourd’hui ensemble sans conflits. Avec la fin de l’apartheid, une grande partie de la communauté noire et indienne a pu connaitre une ascension sociale. Ascension qui lui était impossible avant 1994. Une classe moyenne voire aisée d’Indiens et de Noirs est de plus en plus forte à Durban par exemples.

L’équipe des Bafana Bafana est-elle soutenue par tous les Sud-Africains ou seulement par les Noirs ?

A Durban et plus généralement en Afrique du Sud chaque communauté excelle dans un sport, les Blancs au rugby, les Noirs au football et les Indiens au cricket.

Néanmoins, nous avons participé a un des matchs amicaux avant Coupe du Monde : Namibie/ Afrique du Sud, les Sud-Africains étaient unis. La Coupe du Monde unit la nation dans le pays entier. Les évènements sportifs en général sont toujours les meilleures occasions pour qu’un peuple s’unisse. Ce fut le cas lors de la coupe du monde de Rugby en 1995 en Afrique du Sud. A l’image du Black, blanc, beur de la France 1998, l’Afrique du Sud aura son Black, White, Indian, Coloured, la rainbow nation (la nation arc en ciel) pour cette année.

A quelques semaines de la coupe du monde de foot, que peuvent craindre les supporters étrangers qui viendront assister à l’événement ?

Ils peuvent craindre de devenir sourd au son des vuvuzelas. Ils seront dans un véritable essaim d’abeilles.
Je ne pense pas qu’il y aura plus de problèmes de sécurité que dans d’autres pays. D’une part les moyens de sécurité seront renforcés. Le Gouvernement a pris les mesures nécessaires pour cette grande manifestation. Après a chacun de rester discret car il ne faut pas oublier qu’une partie de la population en Afrique du Sud ne mange pas à sa faim tous les jours. Malgré tout ce qu’on peut dire sur le pays, la pauvreté est encore bien présente.

Que reste-t-il de l’apartheid dans votre environnement ?

Les différentes provinces d’Afrique du Sud sont très différentes. La situation est différente que vous soyez à Joburg, au Cap ou même à Durban.
Pour ce qui est de Durban, l’apartheid n’existe plus, la population est libre et avec les même droit.
Néanmoins, la peur de l’étranger pousse les différentes communautés à ne pas se mélanger. Certains bars seront fréquentés majoritairement par des Noirs, d’autres uniquement par des Blancs et d’autres par des Indiens. Mais cela ne s’applique pas à toute l’Afrique du Sud. Cape Town est totalement différente. Le métissage culturel et l’harmonie semblent être en avance par rapport aux autres villes de l’Afrique du Sud.
Néanmoins l’accès à la consommation d’une certaine élite noire et indienne tend à mixer les gens. Les quartiers anciennement habités par la population blanche se colorent de plus en plus. Ce que nous trouvons formidable, nous, Réunionnais en expatriation. Nous avons de la chance de voir l’évolution de ce pays car cela nous permet de réfléchir sur la propre évolution de notre île. Et nous comprenons ainsi comment notre île en est arrivé a cette harmonie ou les communautés se côtoient et se mélangent.

J’espère ne pas être péjorative en parlant de Noirs, Blancs et Indiens. La langue anglaise emploie facilement les termes white, black et indian sans que cela ne soit péjoratif...

Interview réalisée par Franck Cellier parue sur lequotidien.re

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