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« Tu veux de la z’aile ? » et autres malentendus créole-français

Publié le 14 novembre 2018

Découverte de l’autre et de l’ailleurs, anecdotes, malentendus… Dans son livre « Le Grand Saut », Expédite Laope-Cerneaux raconte les Réunionnais partis vivre en métropole dans les années 70-80. Extrait du chapitre X : « La langue de Molière ».


« Le plus courant était ceux qui francisaient les expressions créoles ou qui les traduisaient à la lettre, les rendant ainsi parfaitement incompréhensibles :

— J’ai senti l’ail (je me suis méfié) ;
— J’ai tienbo mon sérieux (je suis resté de marbre) ;
— Tu veux de la z’aile ? (tu veux que je te fasse voler d’ici ? ) ;
— J’ai eu des zéklis dans la figure (j’ai reçu des éclaboussures…) ;
— Vous n’arriverez pas à la gare (vous n’arriverez à rien ; vous ne serez pas au bout de vos peines) ;
— Tu vas baiser de l’air (tu n’auras plus rien à manger) ;
— Tu vas licher la hache (idem) ;
— Tu as fait les oreilles de cochon dans la marmite de pois (tu as fait la sourde oreille)
— Non merci, je suis ragoulé (je suis repu) ;
— Je ne nourris pas le vice des koutis (je n’encourage pas les pique-assiettes)
— « Ti-Malbar la tripe goni » ça veut dire « Petit Indien à l’estomac de toile ».

Cette difficulté à distinguer le créole du français, ou dit autrement, cette tendance à mêler le créole au français, du fait des bases qui n’ont pas été posées correctement par l’école, a eu pour conséquence de faire connaître des rudiments de créole à notre entourage francophone.

Si l’on demande à nos amis français, qui vivent maintenant dans différents coins de France, comment s’appelle le petit sac de jute qui sert aux jetons de scrabble, ils vous diront tous : un goni.
Ils savent utiliser le verbe moucater.
Ils connaissent la différence entre cari et rougail, même si comme les autres Français, ils disent toujours « la rougail ». Quand on va les voir, ils ne nous demandent de la Réunion que du curcuma, du Charrette1 et de la vanille Bourbon, qui comme chacun sait, est la meilleure du monde.
Ils savent reconnaître un Kaf, un Malbar, un Yab, quand ils en voient un…

Nous avons introduit un peu de créole dans la francophonie, et à leur contact nous avons amélioré notre français. Mais ce fut un processus long et laborieux.
Les mélanges de tournures, les erreurs de langage, les amalgames masculin-féminin, étaient quotidiens :

— Je n’ai point personne pour veiller mes enfants (garder) ;
— Ma machine à laver ne perce plus le linge (n’essore plus) ;
— Tu veux que je fais ça koméla ? (maintenant) ;
— Mon chien a mangé de la poison ;
— Regarde le gars en face qui boit sa bol soupe ;
— Voici mon camarade qui sort d’arriver ;
— C’est normal qu’on dit qu’il est récal-citron ; c’est parce qu’il a toujours un ton aigre…
— J’ai vu le siphon à la télé. »
Il s’agissait bien sûr, d’un typhon.

Les confusions de mots étaient légion :
« Tu ne peux pas te garer là, dit-on à un Créole ;
— Je m’en fous, répond-il, moi j’ai la nostalgie. »
Pour lui cela voulait dire quelque chose comme « j’en ai rien à cirer ».
— Je n’ai eu que des informations superflues (pour dire superficielles) ;
— Vous allez me trouver un peu cruciale… (pour dire cruelle).
— J’ai pris le buste (le bus).
— Je ne pourrai pas le lire, le livre est en anglais (il y a des onglets). »

D’autres se perdaient dans la multitude des faux-amis des deux langues :
— Je vais pas manger ça, dit un soldat zoreil, ça va me donner la chiasse.
— Arrête avec ta superstition », lui rétorque son camarade créole, croyant que son pote employait le mot qui veut dire « guigne, poisse » en créole.
Un jour de grand soleil :
« Viens te mettre ici, dit le Zoreil, là-bas t’es en plein cagnard.
— Hé, ce sont mes copains, répond le Créole, pourquoi tu les appelles « kaniar » ?
Le kaniar créole étant un terme péjoratif pour désigner un individu peu fréquentable.
Et aussi :
« Y a pas le feu, dit le Zoreil ;
— Pas besoin, répond le Créole, on va pas les faire cuire.
Ou encore :
« Ton frère, qu’est-ce qu’il a comme bagage ? demande le Zoreil.
— Oh, juste deux jeans, une chemise et quelques t.shirts », répond le Créole.

Bien avant de connaître le mot, je faisais quotidiennement l’expérience de « l’hypercorrection » :

— A la Réunion, les jeunes fument du Jamal (zamal, cannabis créole) ;
— Elle habite à Purfonds (Pierrefonds) ;
— Sa fille s’appelle Charah (Sarah)
— Elle travaille à l’ONICHEP (ONISEP) ;
— J’emmène les enfants à la puchune (piscine) ;
— Ma fille, elle est gaucheuse (féminin de gaucher)
— On a mangé du canard laqueue (il est évident que « laqué » c’est créole)
— Va m’acheter une boîte de tisane Herbejan (Herbesan, ça doit être créole aussi) ;
— Ne prends pas du machepain, c’est bourratif (le massepain, c’est quand on prononce mal)
— Ça fait longtemps que j’ai pas mangé de chounouk (seuls ceux qui savent pas parler français disent sounouk).

Si aujourd’hui, tout le monde rit de l’humour involontaire du parler des enfants du Maghreb, à cette époque-là, seuls les Créoles, les premiers concernés, riaient du résultat de 40 ans d’enseignement scolaire du français aux enfants créolophones… »

...

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