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Vativien : Dessins sur des billets de train par André Robèr

Publié le 21 juin 2010

Publié aux éditions K’A : Vativien, par André Robèr, "Fo prann lo trin, pou kas kontour". Extrait de la préface de Carpanin Marimoutou :

Vativien

Vativien désigne, dans mon pays, cet aller-retour permanent entre le monde des morts et celui des vivants, ce franchissement aisé des frontières entre l’univers des ancêtres et celui de leurs descendants trop souvent oublieux. André Robèr a souvent peint, dessiné, poétisé cette spectralité, ces frontières poreuses et invisibles, ces itinéraires en attente de stations, de halte, de repos. D’une certaine façon, le poème visuel — encore plus que l’écriture — est une affaire de fantômes. À la manière d’un musée postcolonial, André Robèr collectionne des itinéraires, les crée, leur donne du sens, les relie à un point d’arrivée, une halte, une station. Quelque part où quelqu’un attend le voyageur, qui qu’il soit, d’où qu’il vienne. Quelque part où il reçoit accueil, hospitalité, soin et tendresse. Manzé pou le zié, manzé pou le kor, manzé pou la lang, manzé pou le kèr.

Est-ce en réminiscence des trains disparus du pays d’enfance ? Est-ce en respect profond de ceux dont l’itinéraire ne s’arrête nulle part et dont le point de départ est à jamais perdu ? Les billets de trains éphémères que délivrent des machines automatiques gérées par ordinateur deviennent ainsi, pour et grâce à André Robèr, les surfaces d’inscription de fantômes qui prennent enfin corps et qui attendent que nos voix les parlent, que nos yeux les voient, que nos bras s’ouvrent et que nos mains réparent leurs blessures. Sur les voies des trains à grande vitesse qui circulent au nord du monde et où s’asseyent désormais les spectres d’un univers où les êtres humains ont été transformés à leur tour en marchandise, en colis, en fiches de rendement, comme les ancêtres de mon propre monde, les fantômes peuvent trouver une place où s’asseoir et poser. Pour se reposer enfin. Trouver une halte, une station, un accueil. Le billet des trains à grande vitesse, où s’étalent d’habitude des numéros et des noms, des assignations de place, de date, de lieu, devient ainsi poème, c’est-à-dire espace même de l’accueil, signe et demeure de l’hospitalité.

Par définition les itinéraires, même ceux des trains super-rapides, ne sont pas rectilignes. Ils kaskontour. Ceux des ancêtres et des fantômes des mondes créoles le sont encore moins, eux qui sont toujours dans l’entre-deux, l’entre-trois, l’entre-quatre, l’entre-cinq, l’entre-six, et bien plus encore. Eux dont les mondes se sont croisés de leur vivant, mais bien plus encore dans les parcours de leurs descendants si désirés et si oublieux. Aucune ligne droite ne mène des terres d’origine aux terres d’arrivée, surtout si le cheminement se fait par mer, au rythme des vagues, des courants et des moussons. Mais les lignes sont encore moins droites, qui se sont croisées et entrecroisées, qui se croisent et s’entrecroisent dans les cœurs et les corps d’Afrique, Madagascar, Comores, Europe, Inde, Chine, et tant d’autres pays. Encore encore moins le sont-elles dans ce partage des rites, des déesses et des dieux, des fêtes, des cuisines, des savoirs, des rires, des amours et des pleurs. Encore encore encore le sont-elles moins encore dans la langue inventée qui est la nôtre par don multiple de nos ancêtres inconnus et oubliés.

Étrange est l’écho que le train à grande vitesse du monde postmoderne occidental offre à ces figures du monde colonial et postcolonial venus du sud. Comme si, cette fois-ci c’était le temps qui était dans le vativien et dans le kaskontour. Comme si, cette fois-ci, c’était l’espace qui était dans le vativien et dans le kaskontour. Et dans ce vativien, dans ce kaskontour, qui est l’hôte de qui ? Qui se repose enfin ; qui permet enfin le repos ?

Pour mieux repartir à chaque fois. Chacun de son côté. Chacun relançant son propre itinéraire. Mais en ayant enfin inscrit une trace, trouvé et proposé un accueil, en s’étant installé dans un lieu. Provisoire, toujours provisoire. Mais où l’errance, momentanément, a pris fin. Où le dialogue, l’échange et la tendresse ont eu lieu.
Pour une relance désormais infinie. Et infiniment pacifiée.

Carpanin Marimoutou

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