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Election de Cameron en Angleterre : Didier Chan témoigne

Publié le 22 juin 2010

La rubrique 974 World News réalisée en partenariat avec Le Quotidien donne la parole à des Réunionnais qui témoignent de l’actualité dans leur pays d’adoption. Didier Chan a quitté La Réunion à 21 ans pour poursuivre ses études en métropole. Il vit à Londres depuis 3 ans après avoir vécu dans d’autres pays européens et travaille dans le milieu de la finance.

- Les élections ont-elles passionné les gens que vous côtoyez ?

- Le sentiment était assez partagé. Travaillant dans le milieu de la finance, j’y côtoie une population forcément intéressée aux orientations politiques et à leur implication en matière de politique budgétaire, d’imposition des revenus mais surtout des plus-values financières, de régulation du système bancaire, de réforme du système des retraites, etc.
De l’autre coté il y a une grande partie de la population qui, comme dans beaucoup d’autres pays, est déçue de la classe politique, d’autant plus que celle-ci a été entachée de plusieurs scandales (notamment ceux des notes de frais des parlementaires, et un autre plus récent mélangeant lobbying et corruption de législateurs) et qui reste sceptique sur des potentiels changements à venir.
Néanmoins, cette élection est la principale ici, au même titre que les présidentielles en France. Les gens sont donc de toute façon intéressés sans y attacher la même passion qu’en France par exemple.

- Vous attendiez-vous à ce que ces élections débouchent sur un gouvernement de coalition entre libéraux et conservateurs ?

- On a bien senti ces derniers mois et surtout ces dernières semaines que le clivage traditionnel entre travaillistes et conservateurs étaient remis en question. Les performances du leader libéral-démocrate Nick Clegg dans les débats télévisés face à David Cameron et Gordon Brown ont été particulièrement soulignées dans la presse britannique et elles lui ont certainement permis d’asseoir une vraie crédibilité auprès de la population et une place sur l’échiquier politique. Il était alors assez clair que ni les conservateurs, ni les travaillistes n’obtiendraient la majorité à la chambre des Communes et qu’il y aurait une probable coalition. En revanche il était assez difficile de dire si elle se ferait entre les libéraux et conservateurs ou entre libéraux et travaillistes les divergences n’étant pas si importantes sur certaines questions clés comme la réduction du déficit public et parfois plus radicales comme sur l’Europe. Le jeu du débat a quelques fois donné une tonalité à la limite du légendaire flegme britannique mais sur le fonds on avait senti David Cameron déjà pragmatique et prêt à donner un coup de volant au centre libéral malgré son pedigree très conservateur.

- Comment expliquez-vous la défaite de Gordon Brown ?

- Brown a été toujours reconnu comme un homme brillant et surdoué. Après avoir été son Chancelier de l’Echiquier (une sorte de ministre de l’économie et des finances avec des pouvoirs élargis) pendant 10 ans, il a pris de façon un peu contestée la succession de Tony Blair à la tête du parti travailliste (et comme Premier ministre), sans avoir cependant son charisme et son éloquence. Il a surfé pendant longtemps sur son bilan à la tête de l’économie britannique se targuant de succès en termes d’emploi et de croissance. Il reste néanmoins handicapé par la décision du parti au pouvoir d’avoir envoyé les soldats en Irak, par les scandales mentionnés ci-dessus et par la crise financière. Il est ainsi vu comme celui qui a augmenté le déficit abyssal du pays en nationalisant certaines banques. Les travaillistes auraient pu trouver un accord avec les libéraux et conserver le pouvoir mais la personnalité de Brown d’abord et la réticence des autres leaders travaillistes ont été un frein à un tel accord. On peut parler également d’usure du pouvoir après 13 ans de Travaillisme.

- Pensez-vous que David Cameron et Nick Clegg parviendront à s’entendre pendant tout un mandat ?

- Il faut savoir que la législature de 5 ans va rarement à son terme. La chambre des Communes est le plus souvent dissoute par la reine sur demande du Premier ministre au bout de 4 ans. Il n’est pas à exclure que ce mandat traverse une crise politique vu le contexte économique et par la nature même de la coalition. L’aile la plus libérale du parti conservateur sous l’influence du nouveau Chancelier de l’Echiquier Georges Osborne (par ailleurs ami de David Cameron et clé dans la rénovation du parti), semble présenter un certain nombre de vues communes avec les libéraux-démocrates et serait à même de gouverner dans la durée si ces derniers savent rester à leurs places.
De l’autre coté l’aile droite du parti conservateur n’est pas loin de voir cette coalition comme une traîtrise et est également anxieuse de voir un certain terrain abandonner au Parti Nationaliste.

- Quelle sera selon vous la conséquence la plus immédiate de leur prise de pouvoir ?

- La campagne électorale a beaucoup tourné autour de la réduction du déficit public. Si les promesses électorales sont tenues, il est probable que des décisions importantes soient prises à ce sujet, notamment en matière de pression fiscale.

- Les perspectives économiques de la Grande-Bretagne vous semblent-elles meilleures qu’en France ?

- Elles seraient à mon avis même plus mauvaises. Il suffit de regarder le niveau du déficit public qui serait presque comparable aux plus mauvais élèves de la zone Euro comme la Grèce, l’Espagne ou l’Irlande.

- Les Anglais prennent-ils comme une bonne nouvelle la promesse de ne pas abandonner la Livre au profit de l’euro ?

- Les Anglais resteront toujours un peu protectionnistes. La récente crise de l’Euro n’est pas sans conséquence sur la Livre. L’économie britannique est liée de toute manière à celle de l’Union Européenne. La question se situait plutôt sur la position des conservateurs quant à se désengager de certaines restrictions en terme de législation sur le travail et la libre circulation des travailleurs dans l’Union Européenne. Il semblerait que ces velléités soient désormais abandonnées pour s’aligner sur une ligne plus libérale-démocrate.

- Après les élections quelle sera la principale préoccupation des Anglais ?

- L’Anglais sera toujours heureux s’il a les moyens de s’offrir quelques pintes de bière et un Fish and Chips. Plus sérieusement, il est comme n’importe quel citoyen européen qui cherche à améliorer sa qualité de vie en ayant un meilleur pouvoir d’achat.

Interview réalisée par Franck Cellier parue sur lequotidien.re

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