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Le jour où... j’ai rencontré le maître de méditation américain Alan Wallace

Publié le 16 décembre 2010

Aventuriers réunionnais de la mobilité, Nirina et Rodolphe font le tour du monde depuis quatre ans sans réel budget. Ils nous racontent leur voyage dans une série d’articles. Episode 15 : Le jour où… J’ai interviewé Alan Wallace et Matthieu Ricard, deux rencontres qui allaient changer ma vie (1ère partie). Ordonné moine par le Dalai Lama, Alan Wallace est cofondateur du Phuket International Academy Mind Centre en Thaïlande, un centre de recherche mondialement reconnu.

Copyright : Rodolphe Sinimalé
Le Docteur Wallace interviewé par Rodolphe Sinimalé.

Journal des aventuriers – Novembre 2010 :

"Bangkok, 4.30 heure du matin. La mégalopole toute entière semble endormie, sauf moi. Agité et excité, je me lève finalement et me penche à travers l’unique et minuscule fenêtre de notre chambre : tuk-tuks silencieux et immobiles, cuisines ambulantes inertes et woks abandonnés, chiens errants et chats assoupis… C’est le calme avant la tempête, l’un de ces rares moments où cette ville démesurée et excessive, semble s’être tue.

Grace au Quotidien, je m’envole incessamment sous peu pour Phuket, la jadis sulfureuse et aujourd’hui assagie station balnéaire, située au sud du sud de la Thaïlande. Deux rencontres exceptionnelles m’attendent : le docteur américain Alan Wallace et le moine français Matthieu Ricard. Le simple fait de penser à ces figures mondiales m’intimide, me paralyse et, l’espace d’un moment, je ne souhaite plus qu’une seule chose : retourner dans mon lit et me cacher sous les draps… Mais l’opportunité est superbe et unique alors je prends mon courage à deux mains et, moins d’une heure et demie plus tard, je suis dans l’avion, l’esprit tourbillonnant de questions…

Arrivé sur l’ile – la plus grande de Thaïlande - je suis immédiatement happé par l’air chaud et humide et les nuages chargés de gris. Phuket, tout comme la majeure partie sud de la Thaïlande, a subi les affres de précipitations interminables, provoquant inondations et chaos. Quand bien même, le paysage qui me fait face est à couper le souffle. Devant, la mer d’Andaman, hymne majestueux et démesuré à la Nature, a revêtu un bleu turquoise intense et profond. Sur les cotés, à flanc de montagne, comme délicatement posées par les mains d’un artiste virtuose, de grandes et parfaites bâtisses dans la plus pure tradition thaï : toits en pentes douces qui remontent vertigineusement vers le ciel, couleurs enivrantes - encore et toujours - telles ce vert chrome ou encore ce jaune resplendissant. La végétation, luxuriante et tropicale, hévéas imposants et cocotiers dansants, me rappelle que le nom « Phuket » vient du malais « Bukit » qui signifie « Colline ». Enfin, pour un contraste des plus spectaculaires, la lumière blanche et immaculée irradie en permanence du cœur des gens d’ici.

Je suis accueilli par la directrice des Programmes du Centre, Michelle Limantour, une charmante américaine à la voix et au regard incroyablement doux, venue participer avec son mari au développement de ce fantastique projet : le Phuket International Academy Mind Center*. Alan Wallace nous rejoint rapidement, simple et souriant, avec cette énergie qui vous met tout de suite à l’aise. L’homme est charismatique mais quelque chose d’enfantin et chaleureux dans son regard rassure et apaise. J’ai le cœur qui bat, mais je suis heureux d’être là.

Copyright : Rodolphe Sinimalé
Le PIA Mind Center est un espace international de retraite pour l’étude et la pratique de la méditation.

Rodolphe Sinimale : Comment allez-vous aujourd’hui, Dr. Wallace ?

Alan Wallace : Bien, très bien même ! J’ai un programme extrêmement chargé. Nous venons de finir une retraite intensive de huit semaines, méditant de nombreuses heures quotidiennement, et je m’envole juste après cette interview pour l’Australie afin d’y donner plusieurs conférences. Je rentrerai ensuite pour quelques jours à la maison, aux États-Unis.

R.S : Dr. Wallace, êtes-vous « heureux » ?

A.W : Yeah ! (Avec un grand sourire et un fort accent américain. Puis il reprend :)
En réalité, tout dépend de ce que l’on met derrière la notion de bonheur, de la définition qu’on lui accorde. Pour moi, être « heureux », c’est de pouvoir ressentir ce sentiment intense de bien-être qui vient tout droit de l’intérieur. C’est une grande aisance émotionnelle, un profond calme physique et une clarté d’esprit qui jaillissent tous les trois spontanément, tout particulièrement lorsque nous sommes en présence des autres.

R.S : Vous avez quitté l’Europe et délaissé vos études alors que vous n’étiez qu’un jeune homme de 21 ans. Pourquoi ? Que recherchiez-vous ?

A.W : A cette époque, mon père réalisait un doctorat en Europe. Nous résidions alors en Suisse lorsque j’ai eu l’opportunité d’aller étudier en Allemagne.
C’était une période particulière pour moi : j’étais – sincèrement - en quête de sens et d’intégration. Mais je trouvais au final que la société dans laquelle j’évoluais et le monde dans lequel je vivais n’offraient que son contraire : un extrême non-sens et une formidable désintégration.
Parallèlement, j’avais découvert et je me suis mis à étudier le Tibétain et la culture tibétaine, avec beaucoup d’intérêt et de passion. Et finalement, j’ai fini par m’envoler pour l’Inde. J’y suis resté quatre années…

R.S : Moi, quand je suis allé en Inde à Dharamsala, même si le lieu est magique et merveilleux, je n’ai pas rencontré de Maitre de méditation alors que vous, vous faites la connaissance du Dalai Lama en personne !

A.W : Dharamsala est en effet un lieu spécial et unique. Mais il y a trente ans, c’était encore plus vrai. Et tout y était très différent : beaucoup moins de monde, des Maitres et des enseignants largement plus accessibles… C’est là que j’ai sérieusement commencé à étudier la méditation, sous la guidance de professeurs extrêmement qualifiés.

R.S : Justement, comment définiriez-vous la méditation ?

A.W : La méditation est une notion très vaste, tout comme peut l’être celle, par exemple, de l’éducation. En sanskrit, « méditation » se traduit aussi par « bhâvanâ », ce qui signifie « cultiver », Ainsi, tout comme l’on cultive un champ, il est tout à fait possible de développer notre propre esprit et notre cœur afin de s’engager de façon plus positive et plus constructive dans nos vies.

Regardons par exemple le bonheur sous deux angles, l’un hédoniste et l’autre plus authentique (« genuine »). Dans la recherche du bonheur hédoniste, les sens sont constamment sollicités par des stimuli externes (ce que l’on appelle « le plaisir des sens ») – ce qui en soi, n’est pas mal. Le problème survient des que l’on coupe ces stimuli : le bonheur que l’on ressentait disparait, laissant alors place aux désirs insatisfaits et à la souffrance qui en résulte.

Dans cet exemple, notre bonheur vient de ce que « nous prenons du monde ».
A contrario, le bonheur authentique prend naissance à l’intérieur, au plus profond de nous-même. Ses causes ne dépendent donc pas d’éléments extérieurs. C’est un bonheur non dépendant.
Notre bonheur vient alors de ce que « nous apportons au monde ».

R.S : Comment quelqu’un qui souhaite s’exercer à une pratique contemplative doit-il commencer ? Je pense en particulier à toutes celles et ceux qui mènent une vie de famille et qui travaillent de 8 heures à 17 heures…

A.W : C’est simple ! Nous considérons de nombreuses tâches comme normales – se brosser les dents ou encore prendre une douche. Nous nous sentons alors propre. Que se passerait-il si nous arrêtions de nous laver pendant une semaine ?
Pour la méditation, c’est une approche similaire qu’il nous faut garder : un exercice quotidien, une hygiène mentale. Toutes nos études démontrent qu’une pratique de 20 minutes par jours suffit à apporter d’importants et profonds changements !

Concrètement, en premier lieu, nous nous asseyons, le dos bien droit mais sans tensions. Puis nous prenons conscience du processus de la respiration et nous nous relaxons. Dans un second temps, l’esprit qui vagabonde tant s’apaise, se calme, apportant ainsi une douce quiétude intérieure. Enfin, avec une intention juste et claire, nous nous concentrons alors pleinement et avec intérêt sur ce sentiment de paix, pour le nourrir et le développer.

R.S : Cela semble si simple…

A.W : Ca l’est ! Tout ce dont nous avons besoin, c’est un état d’esprit ouvert et perspicace, ainsi qu’une volonté sincère d’explorer - à travers la pratique - ce qu’est véritablement la méditation. Nous vivons une époque extrêmement intéressante, avec toutes ces recherches sur le cerveau, ses capacités et potentialités, sa plasticité. Les projets se multiplient partout dans le monde, et nous mettons en relations des scientifiques venus de tous horizons, avec pour but d’améliorer la vie des hommes et d’en diminuer les souffrances.

S’il y a bien des résultats que les études ont montrés, c’est l’inefficacité des médicaments sensés soulager la souffrance psychique des êtres. C’est simple, 95 % de toute la pharmacopée proposée n’a pas d’effets durable sur la dépression. C’est du vol !
Aujourd’hui, les plus grands noms de la science se réunissent de part le monde et étudient ensemble et de près les effets de la méditation, notamment sur des pathologies telles que la dépression. Et c’est tant mieux ! C’est notamment le cas avec le projet Shamatha. Grâce à des méthodes d’investigation empiriques et critiques modernes, nous pouvons étudier et comparer des données quantifiables et vérifiables et ainsi mieux comprendre les puissants effets de la méditation.
De part notre culture et notre inclination à écouter la science, de tels projet ne peuvent être que bénéfiques.

Copyright : Rodolphe Sinimalé
Des recherches pleines de promesses sur le cerveau et ses potentialités.

R.S : Et il apparaît très clairement que les États-Unis sont les leaders dans ce domaine…

Les États-Unis sont un pays jeune et relativement ouvert à l’histoire récente. Les pays de l’Europe sont plus matures et ont largement plus subi les violences de l’Histoire. Cela pourrait partiellement expliquer la raison pour la quelle de nombreuses études novatrices sur ce sujet viennent du continent nord-américain.

De grandes université européennes telles que Cambridge ou Oxford se sont d’ores et déjà ralliées à ces projets, notamment dans le cadre de développement de programmes sur le leadership et le management, avec pour but d’accroitre et d’améliorer les qualités des managers – je parle d’intelligence émotionnelle ou encore des capacités d’attention et de concentration, notions fondamentales dans le domaine de la méditation et dans ces études.

R.S : Dr. Wallace, pour finir : avez-trouvé ce que vous étiez partis chercher en Inde, en 1971 ?

A.W : Si je devais répondre seulement par oui ou par non, je répondrais oui, j’ai trouvé !
Maintenant, le simple fait d’utiliser le passé-composé impliquerait que mes recherches sont à présent terminées et qu’il ne reste plus rien à comprendre ni à accomplir. Pourtant, pour moi comme pour tant d’autres, ce n’est là que le commencement…

Dehors, le ciel s’est éclairci et mon cœur est lui aussi plus léger. Je regarde le Docteur Wallace disparaître derrière une multitude de frangipaniers immenses et en fleur. Je me sens tout à coup transporté par une sensation indescriptible, quelque part entre bonheur et calme et félicité…

Copyright : Rodolphe Sinimalé
De magnifiques frangipaniers fleuris.

Qui est le Docteur Alan Wallace ?

Né en 1950, le Dr. Alan Wallace a commencé à étudier le bouddhisme tibétain, sa culture et sa langue des 1970 en Allemagne puis a décidé d’approfondir ses recherches 14 ans durant en Inde principalement, mais aussi en Suisse et aux États-Unis.

Ordonné moine par Sa Sainteté le Dalai Lama en 1975, il a enseigné la méditation et la philosophie bouddhiste partout dans le monde des 1976, et a servi de traducteur pour de nombreux Maitres et érudits tibétain, et notamment le Dalai Lama.

A cause du manque de soutien pour la communauté monastique en Occident, il retourna ses vœux et repris ses études de Religions à Stanford où il obtint un doctorat. Il enseigna par la suite durant quatre années au Département d’études Religieuses de l’Université de Californie à Santa Barbara, avant de devenir le fondateur et président du Santa Barbara Institute for Consciousness Studies, ainsi que Chairman du PIAMC*.

Le Dr. Alan Wallace a écrit plus de 30 ouvrages, traitant notamment des recherches et avancées scientifiques sur la méditation et ses effets, et œuvre pour un rapprochement des relations scientifiques, philosophiques et éthiques entre les sciences modernes de l’Occident et les traditions millénaires de l’Orient.

A propos du Phuket International Academy Mind Centre

Le Phuket International Academy est un projet unique, innovant et visionnaire : regrouper dans un même et unique lieu trois Centres pour toutes celles et ceux qui cherchent à développer leur potentiel de compassion, de bien-être physique et psychique, grâce notamment a des enseignants experts dans leur domaine.

En particulier, le PIA Mind Centre est un espace international de retraite pour l’étude et la pratique de la méditation, sous la guidance qualifiée du Docteur Wallace lui-même. C’est aussi et enfin un lieu de prédilection pour les conférences internationales ayant trait à la méditation.

Pour de plus amples informations : www.phuketinternationalacademy.com

La suite :
Le jour où… J’ai visité le PIA Mind Centre en Thaïlande
Le jour où... j’ai rencontré Matthieu Ricard, moine bouddhiste et écrivain

Lire aussi :
Aventuriers réunionnais de la mobilité : ils font le tour du monde…
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Les secrets du voyageur : sourires, réseaux et partage
Rodolphe et Nirina, l’interview

Joindre Rodolphe et Nirina : [email protected]


Rodolphe Sinimale is a traveler, meditation teacher and writer.
In 2006, he left his position and sold out every little thing to focus entirely on the spiritual path. His search has led him all over the world - from Madagascar to Vietnam, from New-Zealand to Japan, from USA to Thailand – in order to learn, to give and to share.

Rodolphe Sinimale holds a M.B.A in Human Resources Management, from the Paris Graduate School of Management, France.

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