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Yolaine Bègue : Arrivée en 1957, elle n’a plus jamais quitté Madagascar

Publié le 20 décembre 2006

Arrivée à l’âge de sept ans de sa Réunion natale, Yolaine Bègue n’a plus jamais quitté le sol de Madagascar. Elle y vit toujours, depuis près d’un demi-siècle, avec son mari, à quelques kilomètres de l’ancienne Babetville, à trois heures de route à l’ouest de Tananarive. Elle est l’une des dernières Réunionnaises à avoir vécu de l’intérieur l’arrivée des colons réunionnais, le développement de la Sakay, l’exode de tous ses voisins et le déclin rapide de cette région après l’arrivée au pouvoir de Didier Ratsiraka.

Yolaine Bègue

“Depuis que les Réunionnais sont partis, vous savez, c’est différent”. Pas vraiment de regret dans la voix de Yolaine Bègue. Juste un constat que partage avec plus de véhémence encore son mari Jean-Baptiste Rambosakalava, qui peste contre “ces Libyens incapables de faire du beurre” qui ont pris leur suite sur les installations de la Sakay. C’est pour lui que cette fille de la Réunion est restée sur la Grande Ile, alors que ses compatriotes pliaient bagages, à la fin des années 70, sous la pression du nouveau régime malgache. Didier Ratsiraka avec sa révolution socialiste voulait tirer un trait sur l’expérience de mise en valeur des terres de la Sakay à l’ouest de Tananarive. Malgré sa réussite, l’aventure, qui s’était poursuivie pourtant, après l’indépendance du pays, avait encore pour lui un trop fort relent néo-colonialiste.

LE QUOTIDIEN DES HABITANTS DE MADAGASCAR

Les autorités malgaches n’ont pas expulsé Yolaine. “J’étais mariée à un Malgache alors j’étais un peu obligée de rester ici, vous comprenez. Quand tout le monde est parti, je vivais avec mon mari et mes enfants, une belle petite famille nombreuse”, explique-t-elle en souriant. Depuis, ses enfants sont partis “prendre leur particulier à Tana ou en France”. Elle est restée là. Ce choix, elle ne semble pas le regretter aujourd’hui, même si la prospérité de la grande époque de la Sakay a laissé ensuite la place à des heures plus sombres, où elle a réellement partagé le quotidien des habitants de Madagascar. Pour preuve, quand on lui demande comment elle se considère, elle n’hésite guère et lâche “Je suis Malgache-Française-Réunionnaise”.

Yolaine Bègue

De sa Réunion natale, Yolaine Bègue ne garde que peu de souvenirs. Elle n’y a jamais remis les pieds depuis bientôt cinquante ans, pas même pour l’enterrement de son père en 2000, faute d’argent pour se payer le billet. “Je pense toujours à mon pays. J’ai bien eu envie de visiter ma famille à la Réunion, mais il faut avoir les moyens pour partir là-bas. Vous savez, j’ai encore de la famille du côté du Tampon, mon matante, mon tonton, des cousins et aussi des neveux”, dit-elle en laissant percer encore une pointe de créole.“Je suis arrivée à Madagascar en 1957 avec ma famille. J’avais sept ans à l’époque. Mes parents étaient venus pour travailler la terre comme fermiers, ils plantaient du maïs, du manioc et faisaient un peu d’élevage aussi. On était en zone 1 à douze kilomètres de la Sakay”, raconte Yolaine installée sous le porche de sa maison. “C’est mon mari qui l’a construite de ses mains, il y a plus de quarante ans”, précise-t-elle avec fierté en désignant la bâtisse aux murs de terre. Une antenne trône sur le toit, inutile, la télé est en panne depuis bien longtemps.

“ON VIT DANS LA BROUSSE”

C’est dans cette maison, accrochée au flanc d’une colline, à moins de dix kilomètres de Babetville, que Yolaine a élevé ses dix enfants. La vie n’a pas toujours été rose dans ce coin un peu perdu, “surtout quand les enfants étaient petits, c’était difficile pour les soigner”. Il faut dire que la première véritable ville, Analavory, est déjà trop loin et du côté de Babetville il ne faut plus s’attendre à y trouver grand chose depuis le départ des derniers fermiers réunionnais en 1978. Le village modèle, qui respirait la prospérité dans les années 60, ressemble plus aujourd’hui à une ville abandonnée du Far West. Faute de moyens et d’entretien, les installations qui faisaient la fierté des colons réunionnais ont bien piètre allure. Un délabrement que les autorités locales peinent à enrayer, même si régulièrement des projets de relance sont mis en avant.
“Aujourd’hui, on vit dans la brousse”, constate Yolaine Bègue qui continue à travailler la terre avec son mari. Plus vraiment d’exploitation modèle, juste un peu de riz, du manioc, quelques volailles parquées dans un coin du jardin, sans oublier les citrouilles qui trônent sur la petite table de la varangue. “On vend nos produits, mais c’est très bon marché”, explique-t-elle. C’est loin d’être la fortune sans être tout à fait la misère. À Madagascar, c’est bien relatif. Si elle ne touche aucune retraite de la France, elle est tout de même enregistrée au consulat et bénéficie à ce titre de l’aide sociale. Rien de phénoménal, aussi les colis de la SMER (lire par ailleurs) sont les bienvenus. “On monte tous les deux mois pour aller les chercher à Tana. Ils nous donnent du riz et des produits nécessaires, ça nous aide bien”.

Textes : Pierre Leyral - Clicanoo.com Photos : William Childéric - Sakara press

La Sakay

Yolaine Bègue

La région de Babetville a pris le nom de Sakay bien avant l’arrivée des premiers colons réunionnais. Un nom qu’elle partage avec le fleuve qui la traverse. En malgache, Sakay veut dire piment et les témoignages des villageois éclairent un peu son étymologie : “sur les berges du fleuve il y avait beaucoup de pieds de piment qui poussaient là”. Conseiller municipal de Babetville, Jean-Noël Fenolava a lui une autre explication : “Le nom de la région vient de la rivière, mais ça n’a pas de rapport avec le piment, en fait il vient de la langue sakalava et de l’expression misaika qui veut dire nous allons baigner”. Cette région du moyen-ouest malgache est, il est vrai, un ancien territoire du royaume sakalava qui dominait toute la côte ouest. La présence autour de Babetville de nombreux tombeaux caractéristiques de la culture sakalava en atteste. “C’est à l’époque de Radama 1er que les habitants des hauts plateaux ont conquis cette région”, poursuit Jean-Noël Fenolava.

“Tout le monde regrette cette époque-là”

Le rêve d’eldorado que partageaient nombre de Réunionnais en posant leurs valises sur la Grande Ile ne s’est pas réalisé. Paradoxalement, c’est le mari malgache de Yolaine qui semble aujourd’hui le plus amer. À 64 ans, Jean-Baptiste Rambosakalava ne garde à l’esprit que les bons côtés de l’aventure réunionnaise, qui a duré une vingtaine d’années dans cette région du moyen-ouest malgache. “A l’époque, tout le monde était riche, avec 500 francs malgaches je pouvais inviter tous mes amis”, regrette le vieil homme. “Ca a beaucoup changé après le départ des Français. Vous le voyez bien, il n’y a plus rien à la Sakay. Les Réunionnais étaient vraiment très gentils avec les Malgaches. Les Libyens les ont remplacés, ils faisaient du beurre, pas très bon et du lait en poudre ; les porcheries qu’avaient mis en place les Réunionnais vous vous doutez bien qu’ils ne voulaient pas y mettre les pieds”, ironise Jean-Baptiste.

Yolaine Bègue
Des murs de terre rouge, la récolte du riz deux fois par an, quelques volailles, la famille de Yolaine Bègue vit au rythme de Madagascar.

Le verbe haut, dans un français qui ferait le bonheur d’un académicien, le mari de la Réunionnaise aligne les souvenirs. “Tout le monde regrette cette époque-là. Je travaillais ici à la Sakay comme conducteur d’engin. Avec mon tracteur, j’allais dans toutes les zones pour faire les labours avant qu’on plante du maïs et du manioc. Je préférais travailler avec les Français, vous savez, même si je suis Malgache. Les Libyens ne sont pas restés longtemps, deux ans tout au plus et depuis il n’y a plus personne”. Pourquoi les habitants des alentours n’ont-ils pas repris les cultures et la coopérative ? “Les Malgaches sont trop égoïstes, ils n’ont pas vraiment de projets, alors… ”, explique Jean-Baptiste Rambosakalava, “tout disparaît ici maintenant. Pour vous dire, hier soir, on nous a encore volé quatre volailles”.

SOCIÉTÉ MUTUELLE D’ENTRAIDE DES RÉUNIONNAIS (SMER)
Nécessiteux au pays de la misère

Yolaine Bègue

Né lui-même à Madagascar, Harry Langlois préside la SMER depuis vingt ans.

Madagascar a de tout temps attiré les Réunionnais. Rares sont pourtant ceux à avoir fait réellement fortune dans ce pays, riche de promesses et parfois de désillusions. Nos compatriotes qui sont restés dans la Grande Ile, après les vagues d’immigration institutionnalisées par le département de la Réunion et l’Etat français, sont loin de rouler aujourd’hui sur l’or. Outre le consulat de France, la Société mutuelle d’entraide des Réunionnais (SMER) leur vient en aide. “Cette année, nous avons soutenu soixante-sept bénéficiaires”, explique son président Harry Langlois dans son bureau de la capitale malgache.
“Les trois quarts sont des anciens de la Sakay”, comme la famille de Yolaine Bègue qui, tous les deux mois, monte sur Antananarivo récupérer son colis de vivres. Pour obtenir le soutien de la SMER, il faut être réellement dans le besoin. “Notre seuil d’intervention est précis, il faut être en difficulté financière, soit pour une famille avoir moins de 1 million de francs malgaches de revenus mensuels”, précise son président. Une somme qui correspond à un peu moins de 100 euros… et plus du double du revenu mensuel moyen d’une famille malgache dans un pays où plus des deux tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

La Sakay Réunionnais Madagascar

“ILS SE DÉBROUILLENT SUR LE TERRAIN”

L’aide de la SMER prend la forme d’un colis mensuel, mais porte également sur le remboursement des frais médicaux “pour ceux qui ne sont pas pris en charge par les services sociaux du consulat. Et au moment de l’hiver, nous distribuons des couvertures et des vêtements chauds”, poursuit Harry Langlois. Il regrette les limites de son action “un peu trop cantonnée à Tana où nous nous occupons de 39 familles et seulement 12 personnes dans le reste du pays”. Qu’ils vivent dans la capitale malgache, loin du luxe du Colbert ou du Hilton ou en province, ces Réunionnais ou leurs descendants ont souvent en commun une situation financière impensable dans le département. “Les trois quarts n’ont pas de retraite et pour cause, ils n’ont jamais cotisé, ils ne peuvent pas bénéficier non plus du minimum vieillesse. La retraite malgache, c’est 300 000 FMG (moins de 25 euros) par mois. Alors vous imaginez”, détaille le président de la SMER. “Heureusement, ils ont tous un petit champ, quelques poulets, ils se débrouillent sur le terrain, mais ça ne va pas chercher bien loin.”
Qu’est ce qui peut contraindre ces hommes et ces femmes à continuer de vivre dans de telles conditions ? La nationalité française, ils l’ont tous. Mais avoir les moyens de se payer un billet d’avion, c’est une tout autre histoire. “Beaucoup d’entre eux sont nés dans ce pays, ils ont une partie de leur famille ici à Madagascar. Ils sont complètement déracinés et ne pourront certainement pas s’adapter en rentrant”, remarque Harry Langlois. Lui-même est né à Madagascar d’un père originaire de Saint-Paul. Le zanatany préside la SMER depuis vingt ans et sans la moindre subvention parvient à aider ses compatriotes du mieux qu’il peut. La SMER tire en fait aujourd’hui ses ressources de son seul bien, un vaste immeuble en plein cœur du quartier Isoaraka.

LA MAISON DE LA RÉUNION

Le bâtiment a connu une histoire presque aussi mouvementée que celle de la présence française dans la Grande Ile. “Il a été construit en 1958 avec un financement conjuguant le fonds de développement économique et social et une petite subvention de la Réunion. L’année suivante, la deuxième partie a été construite grâce à une petite subvention de la République Malgache, des emprunts et les fonds propres de la mutuelle. Il ne faut pas oublier qu’entre 1947 et 1955 la SMER comptait jusqu’à 1 000 adhérents”, raconte Harry Langlois avant de se replonger dans ses souvenirs. L’immeuble a connu des heures sombres. “À partir de 1963 il a surtout servi pour héberger ceux qui quittaient la Sakay et qui passaient ici avant de rentrer en avion vers la Réunion ou la métropole. En 1972, l’Etat malgache a commencé à reprendre des bâtiments. Alors, pour éviter d’être dépossédés, nous avons décidé que le bâtiment servirait d’internat au lycée français de Tana qui venait de se créer. Géré par des associations de parents d’élèves qui versaient un loyer dérisoire, le bâtiment a été très mal entretenu”. La situation a perduré jusqu’à la construction du nouveau lycée français à Ambatobe. “Les locaux ont été libérés du coup en 1997 et ensuite une banque nous les ont loués pour y installer son siège”, poursuit le président de la SMER. L’immeuble renoue vraiment avec la Réunion un peu plus tard quand la société Caninvest (groupe Caillé) loue l’ensemble du bâtiment en s’engageant à le rénover de fond en comble. C’est toujours là que la SMER a son siège dans un bâtiment qu’elle partage désormais aussi avec l’antenne permanente de la Région Réunion dans la capitale malgache. La boucle est presque bouclée.

Remerciements : William Childéric - Sakara Press

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