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Regard sur la révolution égyptienne - le témoignage d’un Réunionnais

Publié le 4 décembre 2011

Professeur de Français dans un lycée international de la Mer Rouge, Nicolas Folio a vécu la révolution égyptienne de 2011 dans le milieu des expats et des étrangers. Après cinq ans en Egypte, il espère, à 37 ans, un virage démocratique pour le pays, mais craint que les bouleversements créés par le « printemps arabe » ne conduisent à un durcissement des forces de sécurité.

Nicolas Folio

Pouvez-vous vous présenter svp ?

J’ai 37 ans et je suis professeur de Français comme langue étrangère dans une école internationale anglophone au bord de la mer Rouge, près de la ville d’Hurghada en Egypte. Je travaille dans ce pays depuis plus de cinq ans. Réunionnais de par mes deux parents (l’un d’Hell-Bourg, l’autre de Saint Joseph), je suis né en région parisienne mais j’ai grandi à Marseille. Toutefois, j’ai toujours revendiqué haut et fort mes racines réunionnaises et les valeurs que cette île véhicule. Je repars très régulièrement me ressourcer, surtout depuis que mes parents ont élu domicile au Tampon.

Comment décrivez-vous la situation du pays et de la population autour de vous ?

Vivant dans une station balnéaire confinée, presque comme dans une bulle, je dois dire qu’au quotidien je ne ressens pas vraiment les effets de la « crise » que connaît l’Egypte depuis janvier... En dehors du fait que la cité a ressemblé à une ville fantôme pendant plusieurs semaines après la révolution, s’étant vidée de ce qui la fait vivre, à savoir les touristes. Ce sont évidemment les commerçants et les hôteliers qui en ont le plus souffert. Au Caire, la situation est bien différente. La sécurité s’est dégradée et on ne s’y balade plus comme avant. La présence policière a fortement diminué et l’armée, censée assurer la sécurité, ne peut être déployée partout. Globalement, je dirais que les gens sont aigris, même s’ils ne le montrent pas publiquement. Ils restent très fiers de leur pays et sont convaincus de sa grandeur et de son très grand potentiel (à juste titre !). D’ailleurs, depuis un peu plus d’un an, dans toutes les écoles égyptiennes, y compris les établissements privés, tout le monde doit chanter l’hymne national devant le drapeau fièrement hissé dans la cour.

Quel est votre explication du « printemps arabe » en Egypte ?

Les Egyptiens rêvent de liberté d’expression et de mouvement. La répression et la corruption à tous les niveaux les étouffent. Ils souhaitent voir leur pouvoir d’achat augmenter de manière significative. Le salaire des fonctionnaires par exemple est extrêmement bas et la plupart d’entre eux sont obligés de cumuler plusieurs travaux pour survivre. En un mot, ils veulent un gouvernement qui se soucie de leur bien-être. Je m’attendais donc un peu au « printemps arabe », surtout après avoir vu que la révolution tunisienne avait abouti à la chute de Ben Ali. Connaissant le caractère impulsif et obstiné du peuple égyptien, je sentais que tôt ou tard, ils allaient tenter de renverser à leur tour l’impopulaire ex-président Moubarak. Mais beaucoup de gens ont été pris de cours, n’ayant pas anticipé la rapidité des événements.

Quelles ont été ses conséquences sur votre vie quotidienne ?

Ma vie quotidienne n’a pas changé tant que ça, d’autant que notre école est restée ouverte pendant toute la durée de la révolution, alors que partout ailleurs, et en particulier au Caire, les écoles internationales ont fermé, par souci de sécurité. La seule chose est que le nombre d’élèves a chuté. Beaucoup d’entre eux, expatriés, sont rentrés se « réfugier » dans leurs pays d’origine, jusqu’à ce que la situation se calme. Alors qu’honnêtement la vie suivait parfaitement son cours, en tout cas ici à El Gouna. Mes parents m’appelaient, inquiets en regardant les infos sur France 24, tandis que j’allais, insouciant à la plage faire de la plongée avec masque et tuba ! Les gens ici se sont approvisionnés en eau et en aliments longue conservation, de peur que les supermarchés ne soient plus livrés par la route. Il faut dire que certaines denrées ou autres marchandises ne se trouvaient nulle part puisque tout vient de la route du Caire, d’Alexandrie ou de la Haute Egypte (Louxor, Assouan, etc.). Le plus dur, c’est qu’on ne pouvait plus accéder à Internet pendant plusieurs jours, se sentant ainsi coupés du reste du monde !

Selon vous comment la situation va-t-elle évoluer dans les prochains mois ?

Les élections se sont passées plutôt calmement. J’ai espoir que le pays soit enfin représenté par des députés élus par le peuple et que les revendications de base des Egyptiens soient enfin entendues et prises en compte. Mais le pays étant rongé par le népotisme , j’ai bien peur que cela prenne beaucoup de temps avant de voir les mentalités évoluer. Certains parlent de plusieurs générations… Je me suis aussi laissé dire par une personne hautement gradée que les forces de sécurité, au lieu de s’assouplir, risquent fort de se durcir , ce que redoutent la plupart des gens ici, souvent victimes de répression brutale…

En tant que Réunionnais, quelles ressemblances / différences voyez-vous
entre l’Egypte et la Réunion ?

Je dirais que le climat est sensiblement le même, à ceci près qu’ici le soleil brille toute l’année et que quelques gouttes de pluie peuvent paralyser toute une ville tout en faisant des heureux ! Il fait beaucoup plus chaud en été ici et la climatisation n’est pas un luxe. Ce qui est fort appréciable, c’est la variété et la qualité des fruits et légumes qu’on trouve en Egypte. On peut y déguster d’excellentes mangues, goyaves, fraises, oranges et autres grenades une bonne partie de l’année, et ce, pour un prix modique, ce qui n’est pas toujours le cas à La Réunion (je parle du prix, pas du goût !). J’ai pu confectionner une assez grande variété de rhums arrangés, en ramenant du pays l’irremplaçable Charrette. Enfin, les gens sont généralement très aimables, souriants et avenants, un trait de caractère comparable au nôtre, n’est-ce pas ?

Article publié dans Le Quotidien du 4 décembre 2011

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Lire aussi : Inquiétudes sur le nouveau pouvoir en Egypte (juillet 2012)

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