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Joseph Lovelace : la dureté de sa vie, la beauté de son coeur

Publié le 19 septembre 2012

Naissance : Le 14 juin 1938 à Cambuston - Domicile : l’Étang Saint-Paul. Quels étaient vos rêves d’enfant ? Les avez-vous réalisés ?

Je n’avais pas de rêve : il fallait gagner de l’argent, on n’avait pas le temps de rêver. Je travaillais pour cinq francs par jour. Puis, pour cent francs par semaine. Je n’ai jamais eu assez pour mettre de côté...

Une interview du projet "Réunion qui es-tu ?".

Joseph Lovelace

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Jennifer Vignaud : Comment vous décririez-vous en quelques mots ?

Je suis bon avec tout le monde si les gens sont ouverts, peu importe les cultures. Quand j’ai et que je peux donner, je donne.

Quels sont vos passions et vos loisirs ?

Je ramasse les bouteilles de Dodo, et je les revends cinq euros les cent vingt-trois bouteilles. C’est une de mes distractions, et puis c’est bon pour l’environnement : avec nous, il n’y a plus de bouteilles de Fischer ou de Dodo qui traînent sur la route, il ne reste que d’autres bouteilles de bière importées ! L’essentiel est d’avoir une petite occupation. Ensuite, je reviens prendre mon petit-déjeuner et je vais en vélo à Saint-Paul, voir des camarades pour discuter un peu.

Quelles sont les choses que vous n’aimez pas ?

Les gens qui n’ont plus de respect. La vie a trop évolué d’un coup, et on est embêté aujourd’hui. Avant, les choses étaient vraiment différentes ; l’évolution nous a fait du mal. Maintenant, on a Internet ; autrefois, on prenait le temps d’écrire. Avant, j’allais à l’école, mais mon professeur buvait et on me tapait ; alors j’ai arrêté d’aller à l’école, je ne supportais pas les coups. J’aime être libre, je ne veux pas qu’on me force à faire quoi que ce soit.

Quelle est votre plus grande peur ?

Je n’en ai pas.

Quel est votre plat préféré ?

J’aime le carry ti-jacques et le boucané avec des bringelles. Le secret, c’est de bien faire bouillir le boucané et le ti-jacques avant les légumes. Je n’aime pas beaucoup le piment, alors quand je fais un carry, je le dose moi-même !

Quelle est votre musique préférée ?

Je ne suis pas un passionné de musique.

Pouvez-vous nous parler des plantes médicinales ? Avez-vous une recette à conseiller ?

Toutes les herbes soignent ! Je les utilise contre la tension, le mal de dents et le diabète.

Quelles sont vos origines ?

J’ai perdu mes parents. Mon père est mort quand j’avais dix ans, il n’y avait pas beaucoup de médecins à l’époque. C’est maman qui m’a élevé. J’étais le troisième de la famille : j’avais une sœur qui est morte il y a deux ans, et mon deuxième frère est mort aussi.

Quel est votre tout premier souvenir ?

Mon plus vieux souvenir est un mauvais souvenir… Et la plupart de mes souvenirs ne sont pas très heureux. J’ai commencé à couper la canne avec mon frère, puis je suis parti à l’usine.

Quelle éducation avez-vous reçue ?

On m’a appris qu’il fallait travailler pour gagner sa vie et manger, même si c’est dur.

Quels étaient vos rêves d’enfant ? Les avez-vous réalisés ?

Je n’avais pas de rêve : il fallait gagner de l’argent, on n’avait pas le temps de rêver. Je travaillais pour cinq francs par jour. Puis, pour cent francs par semaine. Les terrains étaient dans les trois mille francs à peu près, je n’ai jamais eu assez pour mettre de côté.

Quel est votre meilleur souvenir ?

Mon meilleur souvenir, c’est aujourd’hui. Je gagne un peu d’argent de la retraite, et tout va bien.

Quel est votre pire souvenir ?

N’avoir jamais pu posséder ma propre case, parce que les terrains valent de l’or. Je n’ai jamais eu de terrain à moi.

Quand avez-vous pleuré pour la dernière fois ?

Je ne pleure pas.

Que changeriez-vous dans votre vie si vous pouviez remonter le temps ?

Je gagnerais de l’argent pour vivre. Pas pour aller en métropole, à Maurice ou à Madagascar : juste pour vivre.

Pouvez-vous me parler de votre métier ?

J’ai fait un peu tous les métiers : j’ai coupé la canne, j’ai aussi travaillé à l’usine sucrière de Bois-Rouge dans les derniers moments. Le métier que j’ai préféré, c’est celui qu’on me donnait : on allait là où il y avait du travail. J’ai fait beaucoup de travaux manuels, j’ai même amené le fumier dans les champs de cannes. C’était dur, on n’avait pas la mécanique qu’on a aujourd’hui. Le travail le plus difficile, c’était celui qu’on faisait à l’usine la nuit, jusqu’au lendemain matin, six heures. On était dépendants des arrivages de cannes. On nous envoyait aussi nous occuper de la bagasse, du générateur et du moulin, et il fallait ensuite tout nettoyer à la main.

Que pensez-vous du travail ?

Je travaillais énormément. C’était bon pour moi, du moment que je gagnais un peu d’argent.

Que pensez-vous de l’argent ?

Je n’arrive plus à vivre avec l’euro, tout part trop vite. Heureusement que je suis seul, parce que si j’avais un enfant, ce serait impossible.

Que feriez-vous avec un million d’euros ?

Je donnerais à ma nièce et à mes neveux, un peu à chacun d’entre eux. Je placerais cet argent sur leur compte.

Quelle est votre définition de l’amour ?

J’ai eu sept femmes. Je suis toujours parti, plutôt que de les taper. Maintenant, je reste près de celle que j’aime pour prendre soin d’elle et la protéger.

Que représente la famille pour vous ?

Je les aime, mais je ne vais pas les voir, parce que j’ai toujours peur de déranger. Je n’ai pas envie de ça.

Quelle est votre définition de l’amitié ?

J’ai plein d’amis ! Un bon ami, c’est quelqu’un avec qui je peux discuter, passer du temps.

Quelle est votre définition du bonheur ?

Aujourd’hui, je suis heureux. Le vrai bonheur, ce serait de gagner un peu plus d’argent, pour avoir une maison et un coin de terre pour cultiver des fruits et des légumes.

Si c’était la fin du monde dans six mois, que feriez-vous ?

On fait les choses quand il faut les faire, quand elles arrivent, pour ne rien regretter.

Pratiquez-vous une religion ?

Je suis de confession catholique, comme ma famille. Mais je crois que Dieu est dans notre cœur, pas dans les églises.

Quel est le sens de la vie ?

Vivre jusqu’à la mort. Vivre au quotidien.

Si une fée apparaissait pour réaliser trois vœux, que lui demanderiez-vous ?

Je préfère ne pas demander, parce que je sais que la fée ne me donnera rien ! (rires)

Quel message voudriez-vous donner au monde ? Aux futures générations ?

Le message que je voudrais faire passer c’est : vivons en paix, en harmonie, et dans le respect des uns et des autres. Que les jeunes respectent les vieux, et que les vieux respectent les jeunes. Ce doit être réciproque.

Pouvez-vous me décrire la Réunion de votre enfance ?

La Réunion était différente, il n’y avait que les cases en tôle. Maintenant, ça disparaît sans qu’on s’en aperçoive. Rien ne vaudrait plus qu’avoir un peu d’argent pour acheter un petit bout de terrain.

Pouvez-vous me parler de la Réunion d’aujourd’hui ?

L’assainissement de l’eau coûte plus cher que l’eau potable, les impôts augmentent. Tout est trop cher maintenant. Ce n’est plus la Réunion d’avant, où on courait dans les champs de cannes et on allait manger des brèdes… Même la morue n’a plus le même goût. Avant, on vivait facilement avec la nature ; maintenant, on doit tout acheter. Plus rien ne pousse nulle part : ni piments, ni goyaves, rien. Les gens veulent tout désinfecter et tout désherber et du coup, il n’y a plus rien. J’avais de la délicieuse papaye colombo, mais maintenant, les arbres sont malades à cause d’un ver blanc.

Quel est votre endroit préféré à la Réunion ?

Chez moi, même si je ne suis pas propriétaire.

Que pensez-vous de l’écriture du créole ?

J’écris mon créole comme je le parle.

Avez-vous un message pour les Réunionnais ?

Les gens n’écoutent plus…

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Ce qui est important, c’est que les gens se respectent. Si on respecte les gens, les gens nous respecteront.

Comment avez-vous vécu cette interview ?

C’était bien ! Tout est bon pour moi.


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