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Reporter Réunionnais du Monde : Coralie Latchoumane à Pékin

Publié le 19 juillet 2008

Troisème volet de la rubrique "Reporter Réunionnais du Monde", Coralie commente pour nous et de l’intérieur, l’actualité mouvementée de la Chine. A 26 ans, la jeune femme originaire de Saint-Louis vit l’expérience chinoise à un moment crucial de son histoire. Elle travaille actuellement pour l’agence officielle des Comités olympiques d’une quinzaine de pays dont la France.

Coralie Latchoumane
Lors de l’inauguration du Nid d’Oiseau, le stade géant où se dérouleront les épreuves olympiques d’athlétisme.

Pouvez-vous vous présenter SVP ?

"Coralie Latchoumane alias Haili (nom en mandarin), année du chien. Je suis à l’heure actuelle embauchée chez Aristeia, l’agence officielle des Comités Olympiques français et belge, mais aussi du Luxembourg, de Monaco et d’une dizaine de pays africains. Je suis pour ma part en charge des solutions d’hébergement. Mais en tant que chef de projet, ma mission consiste également à préparer les opérations d’hospitalité et de communication en vue des Jeux Olympiques de Pékin".

Comment êtes vous arrivé en Chine ?

"Venant de la Réunion, j’ai toujours eu une fascination particulière pour l’Asie, et a fortiori la Chine. Mon premier séjour dans l’Empire du Milieu a duré un an. Grâce à un programme d’échange entre Sciences Po Aix et l’Institut de Diplomatie de Pékin, j’ai eu la chance de suivre des cours intensifs d’apprentissage du mandarin. La maîtrise de la langue m’a permis de me rapprocher de ce peuple, et j’ai eu envie de mieux le comprendre".

Coralie Latchoumane

Qu’avez-vous fait ?

"J’ai décidé de revenir en février 2007 pour effectuer mon stage de fin d’études afin de valider mon Master. J’étais assistante marketing, développement commercial et relations publiques chez TUI, Tour opérateur leader en Europe et maison mère de Nouvelles Frontières. Cette expérience m’a permis de me tisser mon propre réseau relationnel, ce qui est essentiel pour toute carrière ici, notamment dans le monde de l’événementiel. Travailler pour les Jeux Olympiques a été en fait l’aboutissement de tout ce parcours. Amoureuse de la Chine, je voulais vivre cette aventure unique".

Est-ce que vous arrivez à comprendre cette société chinoise ? Qu’est ce qui en tant que Réunionnais vous paraît proche, compréhensible et au contraire éloigné, surprenant ?

"La Chine est souvent considérée dans l’imaginaire occidental comme le pays le plus extrême de l’Extrême-Orient. Nombreux sont les étrangers qui se plaignent d’être constamment confrontés à une impasse culturelle, à un mur d’incompréhension. Pourtant, la société chinoise me parait familière. En tant que Réunionnais, nous baignons au quotidien dans cette culture vieille de plusieurs siècles. Les boutiques chinoises font partie du décor de mon enfance à la Réunion ; j’entends encore résonner le bruit des pétards pour chasser les démons lors du passage à la nouvelle année…"

Culte Mao
Le culte de Mao est visible dans les rues chinoises.

"Cependant, chaque jour en Chine est pour moi une expérience. Tout me surprend et interpelle mes cinq sens. Le matin en allant travailler, je suis toujours étonnée de me retrouver dans un embouteillage de vélos, de voir les personnes âgées pratiquer leur Tai-chi à 7h dans les parcs, de traverser les Hutongs (quartiers traditionnels pékinois) avec leurs habitants qui jouent au Mahjong. Je suis triste de voir ces travailleurs migrants qui vivent sur les chantiers jour et nuit. Je souris lorsqu’un jeune homme pédale sur sa bicyclette avec trois passagers à l’arrière. Je me régale lorsqu’au restaurant, armés de nos baguettes, mes amis et moi partageons une multitude de plats succulents pour des sommes modiques. Je passe par toutes les émotions car la Chine évolue à une vitesse incroyable. A la Réunion, nous n’avons qu’un petit aperçu de cette culture variée et fascinante".

Comment a été ressenti autour de vous et parmi les Chinois le récent séisme au Sichuan ?

"La Chine entière est en deuil. Elle pleure ses dizaines de milliers de morts, bilan qui ne cesse de s’alourdir... Une semaine après la catastrophe, à 14h28, nous avons tous observé 3 minutes de silence, les klaxons ont résonné à travers tout le pays à la mémoire des victimes du séisme qui a frappé la province des pandas géants : le Sichuan. A des kilomètres de l’épicentre, nous avons senti le sol trembler, et nous sommes tous par conséquent concernés par cette tragédie. Pendant trois jours, les drapeaux étaient en berne. Sur les écrans géants des places publiques voire même dans les bus, les chaînes de télévision diffusaient en boucle des reportages sur ce drame national. Tragédie certes il y a, mais il est difficile, pour nous les étrangers, de ne pas porter un regard critique sur la manipulation de l’événement par le Parti".

Que voulez-vous dire ?

"La propagande médiatique continue de prendre des proportions incommensurables. Les images pathétiques servent un patriotisme exacerbé. Des plans au ralenti avec mélodies dramatiques pour toile de fond nous montrent les soldats acclamés tels des héros. Le Président Hu Jintao, dans un discours rassembleur, exhorte la foule au moyen de slogans communistes : « Le peuple chinois se relèvera ». L’avantage est que l’aide aux victimes ne cesse d’affluer de la Chine continentale mais aussi de la diaspora chinoise d’Outre-mer. Ce séisme a fait naître une véritable solidarité nationale".

Parlez-nous de la question du Tibet ?

"La question tibétaine a toujours été un sujet sensible aussi bien du côté chinois qu’occidental. Cependant, alors que le thème de l’indépendance du Tibet se pose à l’étranger, en Chine le débat reste lettre morte. Pour les Hans (ethnie majoritaire), il n’y a qu’une seule Chine, et le Tibet en fait partie. Or, un événement aussi médiatique que les Jeux Olympiques a fait entrer la polémique dans la sphère publique. Il était désormais difficile pour le Parti communiste d’étouffer l’affaire".

Comment les Chinois ont-ils réagi ?

"Les Chinois étaient tout d’abord surpris car les Olympiades représentent avant tout pour eux la réunion de communautés qui partagent les mêmes valeurs et le même esprit olympique. Innocents, ils n’avaient pas anticipé le revers de la médaille. A l’incrédulité s’est substituée la colère face aux mouvements de protestation de l’ethnie tibétaine. Les Hans se sont eux-mêmes dépeints comme les seules et uniques victimes des émeutes. Ensuite, lorsque la contestation a prit une nouvelle dimension autour du passage de la torche à Londres, puis à Paris, le ressentiment s’est transformé en véritable révolte nationaliste, avec notamment le boycott des magasins Carrefour. Toutefois, un tel extrémisme concerne une faible minorité".

Quelle est votre conclusion ?

"La question du Tibet continue d’être un sujet tabou et censuré en Chine. Il n’en reste pas moins qu’en France, même s’il y a une liberté d’expression, rares sont ceux qui maîtrisent le sujet et peuvent vraiment en débattre. Il y a une telle fascination pour cette minorité que la question m’est à chaque fois posée…"

Les JO de Pékin : quelle est l’ambiance dans la ville ?

"Il n’y a qu’un seul mot pour décrire l’ambiance de Pékin à l’approche des JO : effervescence. Tout le monde a les yeux rivés vers les panneaux qui affichent le décompte avant le Jour J. Les conversations quotidiennes ne tournent qu’autour des Jeux. Dans les journaux, sur le petit écran, sur la toile, dans les ascenseurs, dans les restaurants et même dans les toilettes, le slogan « One World One Dream » est omniprésent".

Coralie Latchoumane
La ville se transforme dans des proportions inimaginables.

"Depuis l’annonce en 2001, Pékin se prépare à cet événement. Une course contre la montre s’est enclenchée. Désormais c’est la dernière ligne droite, et tout le monde a hâte de savoir si la Chine va tenir son pari. Une certaine impatience flotte dans l’air. A quoi ressemblera la capitale pendant ces 18 jours d’été ? La ville est-elle prête à accueillir ces millions de visiteurs ? Les travaux qui ont rythmé la vie des Pékinois pendant 7 longues années seront-ils terminés à temps ? Beijing se doit d’être la vitrine de la Chine moderne. Ces XIXèmes Olympiades représentent un véritable défi pour la nation toute entière : il s’agit de prouver que l’Empire du Milieu fait désormais partie de ce cercle fermé des grandes puissances".

Pékin a-t-elle changé pour ces JO ?

"Pour cela, des quartiers entiers traditionnels ont été rasés puis remplacés par des buildings toujours plus hauts ; on est censés passer de deux lignes de métro à treize ; des dizaines de millions de travailleurs migrants ont été engagés sur les chantiers. Dès lors, un nuage de poussière a envahi la ville. Le Parti a même lancé une véritable campagne de socialisation : l’homme de la rue a dû prendre des cours de « civilisation », à savoir comment faire la queue sans bousculer son voisin, éviter de cracher, jeter les ordures dans la poubelle… en vain. L’âme du Vieux Pékin existe toujours. La vraie question qui se pose désormais est celle de l’après-JO. Le pays souffre aujourd’hui d’une image négative ; les Jeux seront-ils un tremplin vers de meilleures relations entre la Chine et le reste du monde ?"

Coralie Latchoumane

On remet souvent en cause la liberté de la presse en Chine. Quelles sont vos sources d’information ? Avez-vous l’impression d’être bien informé ?

"La question de la liberté de la presse est un des premiers problèmes auquel tout étranger est confronté dès son entrée sur le territoire chinois. L’ordinateur fait désormais partie du décor, les cybercafés poussent comme des champignons, les habitants lisent les journaux matin et soir, une centaine de chaînes de télévision sont accessibles, la blogosphère chinoise s’étend à une vitesse exponentielle. Mais quel en est le contenu ?"

Quel rôle joue le parti au pouvoir ?

"Le Parti a la main mise sur tous les moyens de communication. Il existe par exemple une véritable police de l’internet. De nombreux sites étaient pendant longtemps impossible d’accès tels que Wikipédia, des blogs internationaux ou encore ceux qui traitent de sujets sensibles tels que le Tibet, Taiwan. D’autres sont censurés temporairement suivant l’actualité (Le Monde, Youtube…). Le petit écran est davantage là pour désinformer plus que pour informer. Les chaînes internationales telles que BBC ou CNN voient régulièrement leurs programmes entrecoupés de messages publicitaires, ou tout simplement d’écrans monochromes noirs ! La propagande sévit partout. Il n’en reste pas moins que la dictature de l’information est de moins en moins stricte. Le gouvernement de Pékin veut jouer la transparence à l’approche d’un événement aussi médiatique que les Jeux Olympiques".

Coralie Latchoumane

Comment voyez-vous l’évolution de la Chine dans les dix prochaines années ?

"Nombreux sont ceux qui portent un regard alarmiste sur l’avenir de la Chine. Le pays aurait une croissance beaucoup trop rapide avec des effets pervers : écarts de richesse, chômage, problème des retraites, pas de renouvellement de population, fossé intergénérationnel, manque de ressources naturelles, pollution… Pour ma part, je ne suis pas catastrophiste. Certes, le gouvernement devra faire face à de nombreux problèmes à l’échelle d’un continent. Mais il ne faut pas oublier que la Chine a une histoire multiséculaire. Durant presque tout le XXème siècle, des familles entières ont enduré des guerres, des famines, des révolutions culturelles, des changements de régimes et de diplomatie entre isolement et ouverture… Malgré toutes ces épreuves, les valeurs traditionnelles ont survécu. La Chine avance dans l’avenir sans jamais oublier le passé. La mémoire collective, et la richesse de la culture chinoise sont ce qui permettra au pays de se faire une place à part entière sur la scène mondiale dans les dix prochaines années. La question est de savoir si la Chine parviendra à être une grande puissance respectée et non pas critiquée comme c’est le cas aujourd’hui pour les Etats-Unis".

Voir le profil de Coralie Latchoumane

Lire les reportages de Coralie (JO de Londres, JO de Pékin, Expo universelle de Shangai et Grippe au Mexique)

Lire sa 2e interview pour le site reunionnaisdumonde (avril 2010)

Lire sa 1ère interview pour le site reunionnaisdumonde (juin 2007)

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