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Le Brésil en ébullition : une Réunionnaise témoigne

Publié le 23 juin 2013

Après un tour d’Amérique Latine de huit mois, Coralie Latchoumane a posé ses valises à Rio, où elle cherche du travail dans l’événementiel des grands événements sportifs. Cette jeune Saint-Louisienne diplômée de Sciences Po se retrouve au cœur des événements qui traversent actuellement le Brésil : manifestations, préparation de la Coupe du Monde de football et des JO...

Le Brésil en ébullition : une Réunionnaise témoigne
Rio de Janeiro "Cidade Maravilhosa" avec son Christ Rédempteur.

Dans quelles circonstances avez-vous posé vos valises au Brésil ?

Je voyage au rythme des grands événements mondiaux pour lesquels je travaille comme chef de projet : JO de Pékin, Expo universelle de Shanghai, JO de Londres... L’an dernier, une fois terminés les JO, j’ai pris un aller simple pour le Mexique et j’ai parcouru pendant huit mois en sac à dos l’Amérique latine, de Cancun à Rio de Janeiro. Je suis en pleine recherche d’emploi, aussi bien pour la Coupe du monde FIFA de 2014 que pour les Jeux Olympiques de 2016. Obtenir un visa de travail au Brésil est un vrai parcours du combattant mais je profite d’être ici pour me perfectionner en portugais, faire des repérages et me tisser un réseau.

Comment l’approche de ces grands événements sportifs se manifeste-t-elle dans le pays ?

Au Brésil, le football est une religion qui a aujourd’hui un nouveau dieu : Neymar. L’actualité footballistique est omniprésente dans tous les médias, les locaux arborent le maillot jaune et vert aux couleurs du drapeau brésilien. Accueillir la Coupe du monde et les JO est une fierté nationale : "A Copa é nossa" (c’est notre Coupe). Le Brésil le sait : le monde entier a les yeux rivés sur un pays devenu la sixième économie mondiale. L’ancienne colonie portugaise prend sa revanche et entend bien s’affirmer comme superpuissance. De grands événements sont souvent synonymes de tremplin au développement. C’est l’avenir et la crédibilité du Brésil qui est en jeu.

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Lors de la réouverture du fameux stade de Maracanã après trois ans de travaux de rénovation.

Le Brésil est-il prêt à accueillir le monde ?

Le gouvernement a investi des sommes astronomiques dans la construction de nouveaux stades et dans la modernisation des villes-hôtes. Mais le Brésil n’est pas prêt. A moins d’un an du Mondial et trois ans des JO, les aéroports qui vont accueillir des millions de visiteurs sont vétustes, les infrastructures sportives sont loin d’être achevées. Les transports sont chaotiques et la sécurité demeure une préoccupation majeure. Quand je compare avec les moyens titanesques mis en œuvre en Chine avant 2008, le Brésil est très en retard sur le calendrier. Pékin avait quatorze lignes de métro, Rio en a deux. Et la facture est salée. Le peuple paie les frais alors qu’une grande majorité ne pourra pas assister aux matchs en raison de billets trop élevés. La belle vitrine est en train de se briser. Les Brésiliens étaient fiers et enthousiastes, beaucoup sont à présent révoltés.

Comment expliquer de telles disparités ?

Rio de Janeiro, Cidade Maravilhosa (la Ville Merveilleuse) vient d’être élue "destination la plus attirante de la planète" par le New York Times. Le Brésil séduit. Contrée des plages et du Carnaval, il est également souvent décrit comme un Eldorado d’opportunités d’emploi et d’investissement, au même titre que la Russie, l’Inde et la Chine (les fameux BRIC). Mais ce n’est qu’une façade. Les entreprises implantées au Brésil peinent à recruter des étrangers en raison des coûts et de la complexité du système administratif. Pour les expatriés, le marché du travail reste sclérosé, et c’est pour beaucoup la désillusion.

Le Brésil en ébullition : une Réunionnaise témoigne
« Un pays riche est un pays sans pauvreté », clame le nouveau slogan du gouvernement fédéral brésilien.

Au niveau national, la nouvelle société de consommation ainsi que l’abondance de ressources naturelles tirent l’économie vers le haut, mais les problèmes structurels persistent. "Pais rico é pais sem probreza" (Un pays riche est un pays sans pauvreté). Tel est le slogan pour le Mondial alors que l’écart entre riches et pauvres est outrant. Le gouvernement se vante d’éradiquer la violence dans les favelas, mais ne fait que la déplacer dans des zones plus reculées. La majorité de la population n’a pas accès à des services publics de base tels que l’éducation et la santé. La corruption gangrène.

Qu’est ce qui a déclenché les manifestations de ces derniers jours ?

Depuis la présidence de Dilma Rousseff, le pays souffre d’une inflation exorbitante. Au 1er juin, le prix des transports en commun a augmenté de 20 centimes. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder la Coupe. Le peuple profite de la surexposition médiatique liée à la Coupe des Confédérations pour montrer son vrai visage. Le pays s’enflamme et des millions de personnes descendent dans les rues au nom de la démocratie. "C’est la révolution brésilienne !" s’est exclamé mon ami brésilien avec lequel je suis allée manifester.

Le Brésil en ébullition : une Réunionnaise témoigne
"La révolution brésilienne" lors des manifestations à Rio le 20 juin 2013.

Comment comparez-vous le Brésil avec la France des années 2010 ?

On sent au Brésil une véritable énergie, une envie de changement. Les protestations actuelles en sont la preuve. Le pays est conscient de son potentiel et est frustré qu’il soit gâché par des politiques corrompues, injustes et déséquilibrées. La société française quant à elle me semble perdue, ne sachant plus à quelles valeurs se raccrocher. C’est pour cette raison que j’ai vécu en Chine puis maintenant au Brésil, et je ne suis pas la seule. La crise en Europe fait basculer la balance. Auparavant c’était les Brésiliens, les Argentins, les Colombiens qui fuyaient leur continent pour des rêves européens. Or, lors de mon voyage de huit mois, j’ai rencontré nombre d’Espagnols, d’Italiens, et même de Français qui ont quitté définitivement le Vieux Continent. Même les Latinos reviennent au pays. L’Amérique latine contre-attaque avec pour fer de lance le Brésil.

On compare parfois la Réunion et le Brésil. Quel est votre avis ?

Je me sens comme chez moi ici. Rio et la Réunion sont à la même latitude. La soleil, la plage, les habitants chaleureux, l’ambiance festive... tout est très ressemblant. La capoeira rappelle le moringue. Les Brésiliens mangent du riz et des "grains", voire même des chouchous. Les musiques locales ont des échos de maloya et de zouk. La population est métissée, nous partageons la même histoire. Mais la comparaison s’arrête là. Le Brésil demeure un pays en voie de développement avec beaucoup de pauvreté. A la Réunion, nous avons la chance d’être Français et d’appartenir à l’Union Européenne. Nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. Le Brésil se réveille ; La Réunion ne doit pas s’endormir...

Article paru dans Le Quotidien du 23 juin 2013


Voir le profil de Coralie Latchoumane

Lire les reportages de Coralie (JO de Londres, JO de Pékin, Expo universelle de Shangai et Grippe au Mexique)

- D’autres regards sur l’actualité

Neymar adulé lors du 1er match de la Coupe des Confédérations 2013.
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