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D’où vient la cuisine réunionnaise ?

Publié le 22 juin 2020

A-t-on planté du riz à La Réunion ? D’où viennent les brèdes ? … Réponses en quelques grands repères historiques et avec la métaphore des 4 oreilles du pilon (les 4 racines de la cuisine réunionnaise) : “Le pilon, c’est le symbole même de notre île de La Réunion, de sa cuisine : la première oreille du pilon est dirigée vers les pays d’Europe, vers la France ; la deuxième vers les pays d’Afrique, vers Madagascar ; la troisième vers la péninsule de l’Inde ; la dernière vers les pays de l’Asie du Sud-Est.Tous ces peuples, toutes ces habitudes, toutes ces denrées se sont rencontrés, réunis dans un même endroit qui est La Réunion. Tout cela va se mélanger et, grâce à ce métissage, on va obtenir un résultat unique au monde.”
Christian Antou, extrait de « Nout manjé, nout mémoire, nout listoire » de Lofis la lang kréol La Rényon


Pour Jules Bénard, la cuisine réunionnaise est le résultat d’un mélange d’influences de cuisines malgache, française, indienne, africaine et chinoise amenées sur l’île par les immigrants successifs. En 1663 sont arrivés sur l’île deux Blancs et dix Malgaches. Les premiers éléments de notre cuisine sont donc français et malgaches. Ces Français (et les autres qui ont suivi par vagues successives) ont apporté les ragoûts, les rôtis, les daubes. Une façon de cuire bien précise, toujours en vogue aujourd’hui, mais assez peu relevée. Mais ces premiers Français-là avaient vécu à Madagascar et avaient avec eux des hommes et des femmes originaires de Madagascar. Et à Madagascar, les épices, on connaissait déjà !

Avec eux, les Malgaches ont apporté, outre des techniques culinaires bien précises et des racines et des légumes savoureux, deux éléments essentiels des la cuisine de La Réunion : le gingembre et le piment… les piments faudrait-il dire car il en existe de multiples variétés !

Dès les débuts du peuplement a commencé le métissage ethnique mais aussi culturel et culinaire. Car après les pionniers sont venues des Indiennes, que l’on appela des Indo-Portugaises pour la raison qu’elles étaient issues des comptoirs portugais de l’Inde. Avec ces Indiennes sont arrivées mille épices et aromates dont regorge le sous-continent indien : curcuma, cotomili, caloupilé, cannelle, quatre-épices…

Le peuplement se poursuivant, sont ensuite arrivés des aventuriers qui, dans les cales de leurs navires (parfois forbans), ont apporté des épices du sud-est asiatique : girofle, cumin, muscade, cardamome…

Plus tard, lorsque l’esclavage fut supprimé, on importa une abondante main-d’oeuvre indienne et avec elle, des mélanges épicés uniques au monde comme le curry et le massalé.

Enfin, avec le début du vingtième siècle, la diaspora chinoise s’installa ici comme partout ailleurs dans le monde. Avec elle sont arrivés des produits aussi surprenants que savoureux, des procédés culinaires nouveaux. Depuis cette époque, les Créoles ont adopté la sauce de soja, l’huile de sésame, la sauce d’huître, le nuoc-mâm et l’anis étoilé.

Dans ce creuset unique au monde est né une cuisine... unique au monde !


Sak l’Inde indou la amené

Pour Axel Gauvin, au début il y eut l’arrivée des Indo-portugaises de Goa, puis des esclaves indiens parmi lesquels des esclaves à talent. Ensuite des indiens en grand nombre sont venus en tant qu’engagés en particulier du Sud de l’Inde et fin 19ème, début 20ème des Indo-musulmans du Gudjerat , (les Zarabes comme ils ont été appelés à tort), se sont installés dans notre île.

Sur la cuisine réunionnaise, l’influence de la cuisine indienne et surtout tamoule est précoce et importante. Précoce, car une grande partie des femmes arrivées pendant la première période du peuplement de La Réunion (alors Bourbon) étaient des indo-portugaises, c’est à dire des Indiennes des colonies portugaises, ou des métis de Portugais et d’Indiennes.

Importante, car, parmi les cuisiniers, esclaves de talent, nombreux ont été les Indiens. Pour reprendre les termes de Patrice Cohen : le “repas au riz où le piment, les épices, les viandes coupées menu et cuites en sauce, les condiments” acides..., nous le devons essentiellement à l’Inde tamoule. Les épices et la manière de préparer les mets, témoignent de l’importance des apports indiens : le fait qu’on utilise en général des aliments frais, qu’ils sont souvent coupés en petits morceaux, qu’ils sont bien cuits et qu’on emploie beaucoup d’épices montre la parenté des cuisines indiennes et réunionnaise.. .En fait, les femmes indo-portugaises et les esclaves indiens de talent ont donné naissance à la cuisine réunionnaise.

Une seconde contribution

Un deuxième apport tamoul à la cuisine est dû aux engagés indiens. Les Réunionnais connaissent bien l’origine des mets amenés par ces derniers (les massalés de viande, de poisson, de légumes, les pois-citrouille), mais si pendant plus d’un siècle (jusqu’aux années 1950) ces mets ont été réservés à ces engagés, ils deviennent de plus en plus le lot de tous les Réunionnais. Et, par exemple, “le cabri massalé est devenu est un des titres de gloire, à part entière, de notre cuisine métisse.” (Jules Bénard).

Vocabulaire d’origine indienne généralisé à l’ensemble des créolophones réunionnais

Son abondance montre l’importance de l’influence de la cuisine indienne sur la cuisine réunionnaise.

Mets : kari (tamoul : kari) ; rougay (tamoul : ouroukaille) ; plo (hindi : pilav) ; zachar (tamoul : atcharu)
Epices : kaloupilé (tamoul : karivep-pilai) ; Kotomili (tamoul : kottomalli) ; massalé (tamoul : macalai) ; mourong (tamoul : murunkai)
Légumes : Baba (d’fi g) (hindi : baba) ; Pipangay (Tamoul : pikunkai)
Divers : karay (hindi : karhari) ; Basmati (hindi : basmati = "roi des parfums")


Sak la France la amené

Avan, Rényoné té trouve plate manjé fransé-européen. Zot té i di "Manjé zorèy lé san gou ni santiman". Zot té i manje sa ek bon-peu de-sel, bon-peu piman pou tire le fade. Sak zot té i koné pa sék in bon-peu la kuizine rényoné i sorte an Franse.

Charcuterie : Les créoles d’origine européenne sont sans doute responsables de l’adoption quasi générale de la viande de porc, et ont maintenu des habitudes qui concernent la préparation de charcuteries. Même si certaines comme le saucisson ou andouille, ont conservé le nom mais non la composition traditionnelle de France.

Au niveau culinaire, la France nous a apporté plein d’autres choses. Pour en rester à la cuisine traditionnelle : les salades, les civets qui ressemblent davantage à certaines daubes, le pot-au-feu (“soupe”), les rôtis... L’ensemble étant forcément revisité au goût des Réunionnais.

Battage des lentilles à Cilaos

Sak la Chine la amené

La cuisine chinoise n’a commencé à influencer la cuisine réunionnaise qu’après 1871, date de l’arrivée des premiers commerçants venus de la région de Canton passés par Maurice. Cette immigration (provenant notamment des provinces du Fujian et de Guangdong) se poursuit jusqu’à nos jours. C’est donc la cuisine de ces régions qui a marqué et continue de marquer celle de La Réunion.

Pendant longtemps, parmi les Réunionnais de souche plus ancienne, seuls certains d’entre eux (dans des grandes villes comme Saint-Denis, Saint-Pierre, Le Port...) ont été jusqu’à la fin du XXe siècle, en contact avec l’art culinaire chinois. C’est plus récemment que cet art est passé dans l’ensemble de la population.

De-feu dann kane

Il y a maintenant une véritable explosion de l’influence de la cuisine chinoise, celle-ci correspondant bien aux goûts des Réunionnais. Aujourd’hui nombreuses sont les familles à se servir d’un « wok » (mot d’origine chinoise, même si c’est presque toujours le mot « karay » d’origine hindi qui lui est préféré), à ajouter du « siav » (sauce de soja) dans leur cuisine, à planter du « ti-lay chinoi » (« ciboulette de Chine ») dans leur kour, à préparer régulièrement du riz cantonnais, des shop sui, des mines sautées.

Quelquefois la symbiose entre les cuisines est évidente : certains Réunionnais mettent du siave dans le rougail tomate. Dans d’autres cas, l’influence est plus diffuse. Même si cela ne paraît pas évident, difficile d’expliquer la « salade mangue » autrement que par l’influence de la salade chinoise.

Tri des brèdes chouchou

Sak Madagascar la amené

Dès leur arrivée à La Réunion, les Malgaches y introduisent le riz et sa plantation, Même si, postérieurement, d’autres introductions ont pu se faire, ce sont eux, les premiers, qui ont fait des Réunionnais d’aujourd’hui des mangeurs de riz, avec ce que cela comporte de fondamental pour notre notre culture culinaire.

L’influence malgache sur notre cuisine s’est faite en deux temps : une influence ancienne datant du début du peuplement, à laquelle nous devons le sosso de riz, le sosso de maïs et le brède manioc boukané, par exemple, et une influence récente à laquelle nous devons le roumazav et le ravintolo par exemple. Le roumazav a probablement été amené chez nous par des Réunionnais qui sont revenus de Madagascar à son indépendance et par un certain nombre de Malgaches qui se sont récemment installés à La Réunion.


Sak l’Afrik la amené

L’apport africain (au niveau culinaire) pouvait difficilement se manifester, les esclaves employés aux champs étant privés d’initiative en ce qui concerne le choix et la préparation des aliments : nourris de mais, de pois du Cap, et autres grains, de brèdes, assaisonnés de piment, ils mangeaient parfois quelques volailles de leur propre élevage, et percevaient généralement un peu de poisson salé.

Malgré cela, il nous semble évident que l’Afrique aussi nous a enrichi sur le plan culinaire. Tout d’abord, parce que malgré le racisme exacerbé contre les déportés africains à La Réunion, il y a eu des esclaves de talent africains, des cuisiniers. Certains éléments nous viennent probablement d’Afrique : le riz aux haricots pourrait être l’ancêtre de notre zambrokal, et la recette de la sauce rouge pourrait avoir influencé celle de certains karis et rougails.


Sak bann Muzilman la amené

Les Réunionnais musulmans d’origine indienne (plus précisément du Goudjerat) sont arrivés, pour les premiers, dans les années mille huit cent cinquante. La plus importante vague d’immigration des Indo-Musulmans aura lieu entre 1920 et 1935, année où un décret réglementant l’admission des étrangers dans les colonies marque l’arrêt de l’immigration. C’est donc un phénomène récent. D’autre part, il n’a pas connu l’importance numérique d’autres immigrations.

Son influence n’en est pas moins intéressante, et sans elle le « manger » réunionnais ne serait pas ce qu’il est. Si, pour les amuse-gueules, les samoussas – que nos compatriotes goudjarati ont amenés avec eux – sont des rois incontestés (avec les « bouchons » de Chine), si, pour les friandises, les jalebis, bonbons-kalous, tiennent une place de choix, pour les plats principaux, jusqu’à maintenant, seul le bryani a réussi une belle percée.


Sak Portigal la amené

Même si l’influence du Portugal dans la cuisine réunionnaise n’a pas été du tout étudiée, il nous semble qu’elle est réelle, et que l’on peut en apporter la preuve, au moins pour une préparation : celles des boulettes de morue, dont la recette est étonnament proche de celle des Bolinhos de bacalhau. La comparaison d’une recette réunionnaise et d’une recette portugaise est démonstrative.

Comment expliquer cette influence ? Il ne faut pas oublier que les Portugais ont été les premiers Européens à découvrir et fréquenter l’Océan Indien, que certains d’entre eux ont épousé des femmes indiennes, que des filles issues de ce croisement se sont établies, elles, à La Réunion.

Séchage de la vanille

Créolisation

Axel Gauvin : Il y a un rapport évident entre la cuisine réunionnaise et les pays dont sont originaires les ancêtres des Réunionnais. Il y a donc beaucoup d’éléments qui sont venus de l’extérieur, mais il faut noter aussi qu’à partir de là il y a eu un processus de créolisation extrêmement important.

Un des exemples du métissage réunionnais au niveau de l’art culinaire, est celui du pâté kréol La Rényon : “la synthèse originale des différentes cultures culinaires est manifeste dans la composition du pâté créole, où la pâte safranée, sucrée et salée est visiblement d’inspiration indienne, mais où la farce de porc et de poulet porte le vieux nom français de godiveau.” (Marie Valentin, La cuisine réunionnaise)


Plin d’ot ankor

Le rougay tomate classique est servi, dans les restaurants chinois, avec le riz cantonnais. Dans certaines familles réunionnaises qui n’ont aucune racine chinoise, on met du siave dans le rougay tomate. Et tous ces gratins que l’on fait de nos jours (de papaye, de chouchou, de boi-d’sonje) !... Et la quiche aux brèdes chouchoux ! L’inventivité culinaire réunionnaise est sans limites !

Le canard à la vanille de madame Hannibal, plat nouveau, est rapidement devenu un fleuron de la cuisine réunionnaise, de même que le rôti cochon-patate ("patate douce").


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Sources :
- Fascicule « Nout manjé, nout mémoire, nout listoire » de Lofis la lang kréol La Rényon – Axel Gauvin
Epices, aromates, condiments, assaisonnements de l’île de la Réunion – Jules Bénard, édition Noor Akhoun


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