Publicité

Gastronomie : comment la Réunion pourrait (devrait) profiter de la notoriété de sa cuisine

Publié le 30 août 2023

Le magazine économique Leader Réunion consacre sa Une de septembre 2023 et un dossier aux “Réunionnais du monde : un réseau dormant qui ne demande qu’à s’activer”. « A l’heure où les produits locaux cherchent des débouchés à l’export, l’attrait pour La Réunion en métropole dessine les contours d’un véritable débouché. Le site Réunionnais du monde nous fait prendre conscience de cet enjeu pour La Réunion... »

Remerciements et autorisation : Leader Magazine
Lire aussi : « Voir plus loin avec les Réunionnais du monde »


ÉDITO de Carole Manote, directrice de publication et rédactrice en chef

D’un côté, en métropole, le marché d’une diaspora d’au moins 150 000 Réunionnais, d’un nombre de touristes venus à La Réunion qui se chiffre en millions, des quelque 650 restaurants réunionnais répartis sur tout le territoire de l’Hexagone. De l’autre, à La Réunion, des producteurs locaux en quête de débouchés en métropole. Entre les uns et les autres, 10 000 km et une équation logistique et économique toujours pas résolue. Ce qui interpelle, ce n’est pas tant cette problématique logistique, dont on comprend la difficulté, dont la résolution permettrait à une demande et à une offre de réussir enfin à se rencontrer. C’est de se rendre compte que bien peu de monde, à La Réunion, ne semble s’être sérieusement penché sur le sujet jusqu’à ce jour. En dehors bien sûr du Club export, porteur aujourd’hui d’un projet de groupement d’exportation. En dehors aussi d’une réflexion sur la distribution des produits réunionnais qui est menée par ailleurs. Nicolas Martin, fondateur du site Réunionnais du monde, nous fait prendre conscience de l’enjeu que représentent les Réunionnais et les centaines de milliers de clients qui fréquentent les restaurants réunionnais de métropole. Ces établissements sont autant de points d’entrée, ou de ralliement, de métropolitains amateurs de cuisine exotique, ou qui souhaitent partir ou qui reviennent de vacances à La Réunion et apprécient de pouvoir maintenir un lien avec l’île. Les témoignages de professionnels que nous avons recueillis sur place sont sans ambiguïté à ce propos.

...

Ainsi, à l’heure où les produits locaux cherchent des débouchés à l’export, l’attrait pour La Réunion en métropole dessine les contours d’un véritable débouché. Avec le site Réunionnais du monde, Nicolas Martin nous fait prendre conscience de cet enjeu pour La Réunion.

Un rougail saucisse mis à toutes les sauces par l’industrie, l’origine Réunion a disparu...

Questions à Nicolas Martin, fondateur du site Réunionnais du Monde :

Leader Réunion : La Réunion donne l’impression d’être à mille lieux d’avoir conscience de la notoriété qu’elle a acquise en métropole : vrai ou faux ?

Nicolas Martin : Oui certainement. La notoriété de la Réunion s’est développée parfois en mal (crise requin, chikungunya), souvent en bien (nature flamboyante, population accueillante, gastronomie surprenante). Pour ne prendre que l’exemple du rougail saucisse, il progresse chaque année dans le Top 10 de recherche de recettes sur Google, il est déjà premier dans certaines régions comme la Bretagne. Mais ce capital sympathie au-delà de nos frontières est ignoré sur l’île. C’est un crève-coeur et un manque-à-gagner pour l’économie locale.

Nadine et Yannick ont arpenté la Drôme avec leur food truck jusqu’au début de 2023 avant de déménager en Bretagne.

Le site Réunionnais du Monde comptabilise, région par région, le nombre de restaurants réunionnais en métropole : 642 à ce jour au total. Que recouvre exactement ce chiffre – des restaurants uniquement – et comment faites-vous pour établir un recensement aussi précis ?

Ce chiffre comptabilise par catégories les restaurants, les traiteurs, les épiceries et les camions bar (food-trucks). Il est difficile à maintenir à jour car les ouvertures de nouveaux établissements sont hebdomadaires et les fermetures fréquentes aussi dans le commerce. Mais grâce aux infos des membres du réseau et à la veille via les réseaux sociaux, Réunionnais du monde permet d’accéder facilement à la carte géolocalisée et à la liste par catégorie des endroits où trouver des produits réunionnais sur la planète. Une info qui vaut de l’or pour de nombreux expatriés et amateurs de cuisine créole !

Ouvert à Nice en 2019, le restaurant La Case à Samoussa fait la fierté de Jaqueline Ample.

Il y a aussi un autre bénéfice à ce recensement. On le sait, l’une des façons de manifester l’attachement à leur île est, pour les Réunionnais de l’extérieur, de consommer « péi ». En tant que lien direct permettant d’informer la diaspora, le site donne un précieux coup de pouce aux Réunionnais(es) en mobilité qui lancent leur business. Ce « coup de pouce communautaire » peut faire la différence pour atteindre l’équilibre économique et se faire connaître sur un marché concurrentiel. La gastronomie : un marché à conquérir au plan national.

Message publié par le snack Zarlor à Tarbes quelques jours après la parution de son portrait sur Réunionnais du monde 

Prenons le cas des rhums arrangés. Isautier est à l’origine de la mode des rhums arrangés qui s’est répandue en métropole. Les distilleries réunionnaises en profitent, mais finalement le produit n’est globalement pas associé à l’île. Comment expliquer ce décalage ?

Le rhum arrangé perd peu à peu l’origine Réunion associée à son existence. C’est un exemple de perte de paternité progressive sur un produit sur lequel nous avons toute légitimité. Ces dernières années, ses ventes ont explosé en France ; il a conquis les rayons des cavistes et même des grandes surfaces. Mais la mode du rhum arrangé a attiré les acteurs de la grande distribution, qui, sous leurs marques distributeur, mélangent allègrement les provenances et en ont fait un produit « des îles ». On le sait, le consommateur métropolitain a souvent tendance à confondre la Réunion et les Antilles. Dans le cas du rhum arrangé, la confusion est totale en grande surface ; l’industrialisation a dilué l’origine Réunion derrière une bannière vaguement exotique.

Quelques exemples "d’arrangés" en grande distribution : la provenance est diluée

On ignore à La Réunion que le rougail saucisse, lui aussi, fait un tabac en métropole, au point d’être victime d’une sorte de détournement culturel. A ce propos, vous parlez même de perte de business. Que se passe-t-il exactement ?

Grâce à la richesse de sa gastronomie, la Réunion devrait être positionnée sur la carte du monde, à l’heure où sa cuisine se fait connaître massivement. Etre identifiée sur la carte des cuisines du monde (au même titre qu’il existe une gastronomie mexicaine, japonaise, etc), c’est tout bénef pour la Réunion en termes de création d’activité, d’emploi, de structuration de filières agricole, agroalimentaire, industrielle, d’innovation, d’export… Mais le constat, c’est que les plats et recettes péi sont appropriés et détournés : à l’échelle artisanale dans les foires, salons, marchés, et à l’échelle industrielle en boîtes de conserves et dans les grandes surfaces. Pour moi, ce n’est pas un phénomène à la marge ou sans conséquences. L’image, les prix et la qualité de nos produits sont tirés vers le bas par ceux qui font moins bien que nous. On perd de nombreux consommateurs, trompés lorsqu’ils goûtent les plats dont ils avaient entendu parler en bien. Sur le long terme, la concurrence industrielle grignote les parts de marchés des entreprises réunionnaises. Concurrence déloyale, parasitisme, perte d’image, de qualité, de business, d’emploi local… on paye sans le savoir les pots cassés du manque de protection de nos fleurons.

Quelques exemples de « rougails saucisse » aux haricots, aux pommes de terre (voir aussi ci-dessous)

Comment réagissent les Réunionnais de métropole devant cette situation ?

Recettes fraudées, appellations à la limite de l’arnaque, packaging antillais… Les témoignages d’amoureux de la Réunion choqués par ce qu’ils voient dans les restaurants, foires et grandes surfaces sont innombrables. Pour Fabrice Gonthier, Réunionnais du Loir-et-Cher et grand défenseur de l’art de vivre créole, « on trouve dans les grandes surfaces et sur le net trop de transformations de nos produits locaux. Nous avons fait de belles découvertes (cf. Edmond Albius) et nous avons un patrimoine exceptionnel mais à aucun moment nous pensons à protéger nos appellations. En métropole maintenant je trouve plus d’ananas Victoria de l’île Maurice que de la Réunion, mes collègues métropolitains croient que la vanille Bourbon vient de Madagascar... Tout est tiré vers le bas. Comment valoriser sa culture quand tout est transformé et dénaturé ? »

Dans les rayons des supermarchés de l’Hexagone...

Que pensez-vous du projet de la Région de créer une marque Réunion ?

C’est peut-être une solution. Mais à côté de la communication, les efforts devrait également se porter sur la protection juridique. A quand une réflexion sur les valeurs nominatives de qualité ou d’origine ? Faut-il protéger les appellations ? Les recettes ? L’origine des produits ? L’indication géographique ? Faire en sorte que certains ingrédients ou savoir-faire proviennent obligatoirement de la Réunion pour doper la production et l’emploi local ? Peut-être en arriver à des Indication Géographique Protégée (IGP) ou Spécialité Traditionnelle Garantie (STG) ? Les décideurs locaux pourraient s’inspirer du travail fait ces dernières années sur le cassoulet de Castelnaudary et la pizza napolitaine.


Y a-t-il un message à adresser aux politiques réunionnais sur ces enjeux d’identité, d’image et de business ?

Que ce soit en termes économique, culturel ou touristique, je pense qu’on est encore loin d’avoir exploité le formidable potentiel que représente la diaspora réunionnaise. Dans l’Hexagone, où le capital sympathie de la Réunion est fort, et dans certains pays porteurs, futurs centres économiques de la planète comme la Chine et l’Inde auxquels nous sommes liés par l’histoire et la géographie, de nombreux Réunionnais sont prêts à partager leurs savoirs et leurs réseaux. Il existe un réseau dormant qui ne demande qu’à s’activer et se mettre au service de la Réunion. De nombreux territoires s’appuient sur leur diaspora pour soutenir leur économie. Pourquoi pas nous ?


Lire le dossier complet, commandes et abonnement sur le site Leader Magazine
Abonnement Réunion : 30 euros par an
Métropole et international : 60 euros par an

Lire aussi :
L’actualité des ouvertures de restaurants, camions bar, épicerie réunionnaises
- « Voir plus loin avec les Réunionnais du monde »

Vu à New-York (septembre 2023) : un « rougaille sausage » servi pour 20$ sur un stand de rue par le chef français Thierry Ricard. Photo : Guy Pignolet pour Réunionnais du monde

En bonne place dans les galeries, foires et salons de l’agriculture

Une sauce rougail et un arrangé ananas Victoria sous packagings antillais
Servi à la Foire de Paris...


Publicité