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Il a créé le visuel et le slogan du Rhum Charrette

Publié le 14 janvier 2022

Un plagiat ? Eugène Gonthier n’en démord pas : on lui a volé son travail. Sortie en 1976, la première étiquette originale du fameux rhum réunionnais porte sa signature. Depuis, plus rien. Ce graphiste autodidacte aujourd’hui à la retraite, auteur du visuel et inventeur du slogan « Rhum Charrette » raconte comment sa création lui a échappé.

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Le contexte

Eugène Gonthier : En 1976, il n’y avait pas d’ordinateur. Tout se faisait sur une table à dessin, les textes se faisaient à la main ou avec des "Letraset". Petit "Yab la Plaine" débarquant à Saint-Denis, je postule cette année là à un poste chez Havas Publicité, « à la capitale ». Yan Gaffori, alors chef de publicité de l’agence Réunion, décide de me faire passer un test : "Imaginons que nous ayons une campagne à réaliser pour redorer l’image du Rhum Blanc à la Réunion, qui est en perte de vitesse. Le GIE Rhum souhaite remonter ses ventes. Quel thème pouvez-vous nous proposer pour relancer les ventes ?".

En réponse, j’ai réalisé le "rough" suivant (dessin de la charrette*), ainsi qu’une stratégie de communication :

Calque de 1976

Eugène Gonthier : « Je vous propose une déclinaison locale. Le Réunionnais est sensible à son passé et le "parler créole" est très imagé. Je vous propose de mettre en avant cette image de la charrette que tout Réunionnais de ma génération a connue. La charrette est tout un symbole : l’outil de déplacement par excellence mais aussi un outil de travail, lié à la canne. Dans la boutique du chinois, le planteur, le travailleur, le buveur réclame un « coup d’sec », « un p’tit blanc », ou un « p’tit rhum »... Dans peu de temps il dira "un charrette". »

Concept accompagnant le visuel en 1976 : "Dans peu de temps on dira "un Charrette"

J’ai tout mis dans une enveloppe à l’attention de M. Yan Gaffori et je l’ai glissée dans une boîte aux lettres à l’aéroport car je partais le soir même en métropole.

A mon retour, 15 jours après, Havas Réunion m’embauchait comme Directeur Artistique. Sans que j’en sois informé, mon "rough" était déjà imprimé par Chatel et les bouteilles étaient déjà sur les étalages des supermarchés locaux avec ma signature. Je n’ai osé rien dire... trop content d’intégrer la prestigieuse agence Havas et fier de voir mes étiquettes sur les étalages.

1ère étiquette originale collée sur les bouteilles

Je le reconnais, ce projet m’a permis d’intégrer l’équipe Havas Publicité en tant que « Dessinateur Concepteur Complet » en mai 1976, mais je n’ai jamais été rémunéré pour ce travail. A mes demandes ultérieures, on m’a objecté que j’avais ma signature sur l’étiquette et que c’est déjà pas mal. En effet sur les premières éditions, ma signature apparaissait au niveau de la jambe gauche du personnage. Puis elle a disparu. Je considère ceci comme un plagiat.

L’accueil du public

C’est un carton ! Les consommateurs locaux s’identifient à la marque et l’adoptent. L’expression « Rhum Charrette » entre dans le langage courant réunionnais. C’est mon lot de consolation...

Et aujourd’hui ?

Charrette est la deuxième marque de rhum blanc vendue en France. Aujourd’hui cet épisode est encore bien présent dans ma mémoire. J’ai tous les documents d’époque en ma possession : calques du dessin original, lettre du concept, courrier envoyé à Havas Réunion, exemplaire de la première étiquette éditée par la NID pour Havas, etc. Je n’ai jamais réclamé ne serait-ce que 0,01 centime par bouteille vendue, je ne demande qu’une simple reconnaissance de mon travail d’auteur qui a contribué à l’essor de cette marque. Jacno avait réalisé le fameux casque des cigarettes "Gauloises" et son nom apparaissait sur les paquets… pourquoi pas le mien sur les bouteilles "Charrette" ?

Publicité récente pour le Rhum Charrette

Extrait de l’interview donnée à Spiritueux Magazine en 2014 :

La charrette avec les roues en bois était un souvenir d’enfance. Dans les années 50, c’était "le" moyen de transport avec le boeuf "Moka". On y transportait le charbon de bois, la canne à sucre. On allait voir grand-père et grand-mère pour les fêtes de fin d’année dans cette charette, allongés sur des "gonis" (ah ! l’odeur du goni !). On faisait les sorties vers le Piton Bleu, le Piton des Neiges, le Nez de Boeuf avec cet engin. Et dans les pentes il fallait "serrer l’arriage" et taper du "chabouk" pour remonter "Ouako Moka !".

En créant cette étiquette, j’ai voulu faire revivre une époque où la route des Plaines étaient encore en terre battue, où les "nids de poules" étaient encore comblés par des mottes de vétiver à l’envers... une époque où cette route voyait passer le car courant d’air Amalou, le camion de Mariane, la petit car Renault rouge et blanc immatriculé 1 AA 97-4...


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La première étiquette éditée était celle du brouillon que j’avais réalisé. Il s’agissait d’un test d’embauche chez Havas-Réunion, accompagné d’un texte déclinant le concept et l’évolution de la marque vers l’expression "Charrette".


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