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La différence entre rougail et carry

Publié le 2 mai 2020

« Le vré recette, sé com momon i fé »… Safran, pas safran ? Tomate ? Gingembre ? La vidéo du rougail sounouk de Fabrice a rallumé le débat… Sur ce terrain glissant, nous avons tenté de tirer les choses au clair, en faisant appel à la référence Christian Antou.

Lire aussi : Rougails, achards, sauces piment… avec quels plats ?

Rougail sounouk

D’abord quelques définitions communément admises :

Le rougail ou rougaille

Etymologie : Le terme arrive à La Réunion avec le peuple d’Inde qui parle « d’ouroukaille », en langue tamoule, mot qui désignerait tantôt un fruit vert confit, tantôt un ragoût, selon les interprétations.

A la Réunion, Maurice et Madagascar, le rougail est un plat épicé dont la base est une sauce composée d’oignons émincés et roussis, de tomates concassées, de piment dans laquelle cuisent charcuteries, saucisses, boucané, andouilles préalablement bouillis et coupés en morceaux, ou poissons séchés ou fumés (morue, hareng, snouk) dessalés, rissolés. Ces plats peuvent comporter des légumes croquants ajoutés en fin de cuisson (gros piments, tiges de fleurs d’oignons, margozes).

Carri poulet - Photo : monilemapassion

Le carry ou cari

Etymologie : Ce nom dérive vraisemblablement du plat ou du mélange d’épices curry, qui se prononce kari en tamoul.

Le cari est un plat traditionnel de la cuisine réunionnaise qui se compose d’une viande ou d’un poisson, accommodé essentiellement avec des tomates, des oignons, du curcuma, le safran péi, et parfois du gingembre et d’autres plantes aromatiques et épices (ail, thym, sel, poivre...). Cette préparation non pimentée respecte des règles de base : dans une marmite en fonte, on saisit la viande ou le poisson, on fait revenir et réduire oignons, ail , tomates , on ajoute curcuma (safran-pays), thym, sel, poivre, etc. puis on laisse mijoter. 

Commentaires suite à la vidéo : www.facebook.com/76594629558/videos/639786400085410

Alors si tout est bien défini, d’où viennent les débats qui renaissent à chaque recette sur les réseaux sociaux ?

D’abord, les variations sont nombreuses… On constate pour les palais avertis une différence entre le cari des « hauts » et celui des « bas » : celui des « hauts » est moins épicé, sans ou avec moins de tomate.

Par ailleurs, de mémoire créole, il n’y avait pas de tomates dans le cari de poulet péi traditionnel. Certains Réunionnais auraient commencé à en mettre quand les poulets surgelés, élevés en batterie, ont débarqué dans les supermarchés dans les années 1960-1970. Moins coûteux que les poulets pays (élevés au maïs à La Réunion), ils n’avaient ni goût, ni couleur ; alors pour lui donner un plus joli aspect et même du goût, certains ont commencé à mettre des tomates. Pour retrouver la saveur du cari poulet péi, il faut donc ne pas mettre de tomate et bien faire dorer la viande.

Autre explication : la tomate étant un fruit de saison (on l’a oublié aujourd’hui puisqu’on en trouve toute l’année !), autrefois, il y avait nécessairement des moments où il était impossible de cuisiner avec des tomates. 

Les différences entre rougail et cari

Pour certains, la différence vient du fait que l’on mette dans son plat de la tomate ou pas, du curcuma ou pas ("pour la couleur"), du gingembre ou pas... D’autres voient la différence dans le fait que le carry n’est pas pimenté au contraire du rougail. Pour d’autres encore, la différence se situe dans la cuisson des épices, oignons, etc. (à feu vif et sans curcuma pour le rougail), et même dans le timing de la préparation : dans le rougail, les viandes sont mijotées dans une base d’oignons roussis, ce qui ferait la différence avec le cari dans lequel les oignons et l’ail sont ajoutés en même temps que la tomate et cuisent donc dans le liquide...

L’exposition "Nout manjé - nout mémoire - nout l’histoire" de Lofis la lang kréom nous apprend que : « Dabitide i mète pa bon-pé (sansa pa di-tou) tomate dann kari ; o-kontrèr i mète dann rougay, défoi bon-pé. Mé-soman néna rougay san tomate... Souvandéfoi, i mète pa le tin dann rougay ; dann kari i mète toultan. Çak lé rafi né i koupe zognon an longue dann kari, an ron dann rougay. »

L’éclairage de Christian Antou

Disparu prématurément en 2013 à l’âge de 52 ans, Christan Antou, chef réputé, enseignant hôtelier, ardent défenseur de la cuisine réunionnaise, a réalisé de nombreuses recettes vidéo de référence encore disponibles sur le Net.

Selon sa fille Anne-Gaëlle, Christian Antou a défendu de son vivant la différence entre rougaille (sans safran, ni ail, ni thym, ni gingembre) et carry. Pour lui, les créoles réunionnais d’antan ne mettaient pas de gingembre, pas de gousses d’ail et encore moins de safran dans les rougails d’origine, tout simplement parce qu’ils n’avaient pas les moyens de mettre toutes ces épices.

Ajouté aux particularités familiales et géographiques (les hauts – les bas), c’est donc l’évolution du niveau de vie des Réunionnais qui aurait conduit aux évolutions dans leurs manières de préparer les plats et les aurait conduit à consommer des ingrédients qu’ils ne pouvaient s’offrir auparavant.

Il ajoute que la cuisine réunionnaise est une cuisine très consistante car autrefois les ouvriers sur les chantiers et les coupeurs de canne dans les champs avaient besoin d’un repas qui les fasse tenir toute une bonne journée de travail. « Goni vid i tyin pa d’bout’ ». Même les petits déjeuners étaient à base de riz mélangé avec de la graisse ou de l’huile et du piment : le fameux « ri shofé ».

La cuisine réunionnaise ne se résume pas au carri et au rougail

Ainsi, l’apport de la gastronomie chinoise est prépondérant : spécialités importées (riz cantonnais, bouchons, sarcives…), adaptées dans nos îles de l’océan indien (shop suey, bol renversé), ingrédients qui ont imprégné la cuisine créole : siave, sauce d’huître, ve-tsin, etc.

Il faut aussi évoquer les sauces (sauce de thon), les civets (civet coq, zourit), les rôtis ou encore les massalés (cabri, poulet), avec des modes de préparation encore soumis à des particularités géographiques et familiales. Les débats qui animent les réseaux sociaux sont la preuve que la cuisine créole est une cuisine bien vivante, liée à l’intimité la plus profonde des Réunionnais. La cuisine est à l’image de l’identité : elle puise ses racines dans une histoire riche d’apports divers et sans cesse en construction !

Les sauces de poissons

Sauce poisson rouge

Certains Réunionnais préfèrent cuire les poissons (thon, poisson rouge, macabits, …) et crustacés non pas en carri mais en « sauce ». La préparation est assez similaireà celle du carri, il y a simplement un peu moins de tomates et plus d’eau.

Les rôtis

Rôti de porc créole - source : www.cuisinereunionnaise.net

Les viandes et les volailles se consomment aussi rôties, badigeonnées d’une préparation à base d’ail, de gingembre, thym... et cuites en marmite. On ne peut que penser à l’incontournable rôti porc des rassemblements familiaux du dimanche, souvent servi avant le plat principal.

Les civets

Civet zourite

A la Réunion, le civet (pour les volailles, les gibiers comme le cerf ou encore le zourit) se prépare avec un mélange d’oignons, d’ail et de tomates et un vin très tannique. On peut y ajouter clous de girofle et feuilles de quatre-épices.

Le massalé

Cabri massalé

Le massalé, du tamoul "masâlèï", est un mélange d’épices torréfiées et réduites en poudre. Il peut être acheté tout fait dans les commerces mais de nombreux Réunionnais préfèrent encore le préparer eux-mêmes, notamment ceux qui sont originaires d’Inde. Proche du Garam Massala indien il a toutefois quelques différences dans sa composition . Mélange de graines de coriandre (cotonmili), de cumin (silon ou ti paï), de fenugrec (vendion) de moutarde, de clous de girofle, de poivre, de noix de muscade et de piments secs, le massalé peut être la marque de fabrique de certaines familles ! Cette poudre particulièrement parfumée et relevée permet d’accommoder les viandes, les volailles, et surtout le cabri, qui sont coupés en morceaux, rissolés et mijotés dans une sauce composée d’oignons roussis avec ail, piment, gingembre pilés, tomates, curcuma, feuilles de caloupilé, eau. La pâte de tamarin peut être diluée et ajoutée avant la fin de la cuisson.
Le massalé peut aussi accommoder des plats végétariens : des légumes en morceaux , pommes de terre, chou rave, aubergines… cuits à l’étouffée.


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