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La Réunion : acculturation, créolisation et réinventions culturelles - extrait

Publié le 25 août 2009

Cet extrait d’un article de Christian Ghasarian est issu de l’ouvrage collectif "Anthropologies de la Réunion" paru fin 2008. Sur la base de recherches de terrain, cet ouvrage veut rendre compte de la complexité sociale et culturelle de la société réunionnaise contemporaine en examinant ses différentes facettes. Anthropologues pour la plupart, les chercheurs sollicités pour présenter leurs analyses viennent d’horizons divers, de La Réunion, de la Métropole et d’ailleurs.

Anthropologies de La Réunion

Extrait de l’article "La Réunion : acculturation, créolisation et réinventions culturelles" de Christian Ghasarian

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À La Réunion, si la société insulaire a été dès son origine sujette à la volonté métropolitaine de faire assimiler les modèles culturels et sociaux français, en dépit de cette pression acculturatrice, les différentes composantes ethniques de l’île ont, à travers leurs interactions, opéré des adaptations, des ajustements, des reformulations et des résistances caractéristiques de la créolisation.

Rappelons que l’administration coloniale et l’Église ont ignoré les croyances originelles des esclaves et rejeté celle des indiens arrivés dans l’île pour travailler dans les plantations. Mais la dynamique acculturatrice de conversion au christianisme engendra des comportements hybrides (conjuguant des modèles) ou contextualisés (respectant les normes des situations). La religion hindoue, par exemple, maintenue en dépit des critiques extérieures sur ses pratiques, a attiré des franges dominées de la société (comme les descendants des esclaves) qui y voyaient notamment l’expression d’un contrepouvoir à l’oppression coloniale. Résultat de ces interférences : les pratiques religieuses catholiques dans la société globale ont intégré des croyances « périphériques » dans les rites funéraires, la gestion de la maladie, etc., croyances stigmatisées du point de vue normatif comme la « sorcellerie » hindoue, comoriennes ou malgaches, mais bien enracinées dans les couches populaires de la société.

Si on peut parler de créolisation des indiens et de l’hindouisme (Benoist, 1998), on peut aussi parler d’indianisation des créoles dans les îles à sucre. Les croyances populaires à La Réunion sont caractérisées par une série d’influences et d’appropriations qui traduisent des dynamiques religieuses complexes (Ève, 1985). Née d’un ensemble d’adaptations des indiens dans le contexte des la société de plantation, la culture dite malbar, est ainsi une culture qui a su concéder des choses, principalement dans la sphère publique, pour se maintenir dans ses fondements, notamment dans la sphère privée (Ghasarian, 1991). Si ses formes d’expression sont différentes de celles que l’on peut trouver en Inde du sud aujourd’hui, elle présente ce troisième espace riche en reformulations créatives.

Plusieurs métissages évidents marquent aujourd’hui la société réunionnaise. Le plus flagrant est ethnique. Des personnes ayant connu la féodalité en France, les tribus en Afrique et à Madagascar, les castes en Inde, etc. se sont côtoyées et ont dû vivre ensemble. Il en a résulté des unions mixtes diverses, notamment entre des hommes originaires de l’Inde et des femmes originaires d’Afrique. Outre le type créole, toute une terminologie existe pour qualifier les différents types de métissage physique à La Réunion (batard-cafre, demi-malbar, zoréole, etc.).

Si les couples mixtes, produisant des enfants métis qui constitueront pour certains les phénotypes emblématiques de la société réunionnaise, se sont formés dès l’origine de sa constitution, l’arrivée massive des fonctionnaires métropolitains dans les années 1970 a largement contribué à casser un certain nombre de stéréotypes ethniques raciaux qui maintenaient de gros clivages entre les réunionnais blancs et les autres. La recherche d’exotisme des hommes métropolitains, tout en alimentant des tensions (l’homme blanc, du fait de ses bonnes manières, de sa maîtrise de la langue française – valorisée à La Réunion – et de son statut économique, étant perçu par beaucoup d’hommes réunionnais comme venant voler les réunionnaises) et en augmentant le ressentiment intériorisé envers le zoreil (métropolitain) et ses multiples pouvoirs dans une société où le plus souvent il ne fait que passer, a aussi alimenté la créolisation ethnique.

Autre métissage évident, celui de la langue, avec l’émergence rapide du créole dans l’île, créant avec le français de nouveaux mots et empruntant des mots tamouls et malgaches pour communiquer dans la vie de tous les jours. En permettant à des individus de différentes origines culturelles de se comprendre, la langue créole fut un élément unificateur. Apprise et pratiquée par les nouveaux arrivés dans la société réunionnaise, elle est devenue la langue maternelle des générations suivantes (celles-ci étant en quelque sorte les enfants de la créolisation).

Les vêtements ont aussi exprimé une fusion de modèles, même si cela est moins évident aujourd’hui. Toute une série d’obligations, d’autorisations et de possibilités furent associées à des contextes historiques particuliers. Le port du chapeau, par exemple, ne fut autorisé pour les esclaves affranchis qu’après l’abolition de l’esclavage. L’appropriation de signes extérieurs de liberté engendra d’ailleurs un grand soin porté sur les vêtements, objets d’enjeux symboliques statutaires.

Un espace de métissage important se trouve également dans la cuisine et l’alimentation (kari, le terme créole consacré pour définir le « plat créole » signifie « plat » en tamoul). Le métissage architectural est aussi prégnant avec l’apparition des cases dites créoles. D’autres espaces sociaux, lieux de sociabilité, comme les boutiques, les salles vertes (aménagées pour les mariages), etc., mettent également en jeu des processus de créolisation.

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Christian Ghasarian est professeur d’ethnologie à l’université de Neuchâtel et chercheur associé au LAIOS (CNRS). Ses premières recherches à l’île de la Réunion, entamées en 1982, ont porté sur une communauté rurale de "petits-blancs" dans le village de Salazie puis sur les normes et valeurs des originaires de l’Inde. Depuis de nombreuses années il étudie les dynamiques identitaires dans la société réunionnaise contemporaine.

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Extrait de l’ouvrage collectif "Anthropologies de la Réunion" (cliquer pour en savoir plus et commander)

Sous la direction de Christian Ghasarian. Ont aussi participé à cet ouvrage : Hélène Paillat Jarousseau, Patrice Pongerard, Jean-Pierre Cambefort, David Picard, Laurence Pourchez, Philippe Vitale, Michel Watin, Barbara Waldis, Richard Lee Tin, Stéphane Nicaise, Laurence Tibère, Monique Desroches, Guillaume Samson, Françoise Vergès.

Sommaire :

- Introduction à la complexité réunionnaise
- Structures et dynamiques internes aux grands domaines fonciers de La Réunion
- Anthropologie du " boire social " à La Réunion
- L’héritage de la violence à La Réunion
- La relation à l’étranger à La Réunion
- Institutions scolaires et culture réunionnaise
- Le créole réunionnais
- Généralisation des communications et changement social à La Réunion
- Citoyenneté, créolité et laïcité dans l’espace médiatique réunionnais
- Intégration et insertion des Chinois de La Réunion
- Religion créole et dynamiques sociales à La Réunion
- Manger et vivre ensemble à La Réunion
- La quête d’authenticité dans les musiques réunionnaises
- Mémoires et culture (s) à La Réunion
- La Réunion : acculturation, créolisation et réinventions culturelles

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