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Quotas d’immigration en Suisse : Un Réunionnais réagit

Publié le 23 février 2014

Ingénieur en microélectronique, responsable d’une équipe de conception de circuits intégrés dans une société américaine, Frantz Prianon vit à Neuchâtel depuis 1999 avec sa femme, réunionnaise elle aussi. A 38 ans, ce Saint-Josephois est concerné par le Oui suisse de février 2014 aux quotas sur l’immigration, qui provoque l’inquiétude de nombreux travailleurs étrangers et des institutions européennes.


Frantz Prianon

Racontez-nous votre parcours.

Après mon Lycée à Roland Garros au Tampon, j’ai continué mes études à Bordeaux. En dernière année d’école d’ingénieur, j’ai eu la chance d’effectuer un stage à Neuchâtel en Suisse. J’ai saisi cette opportunité un peu par curiosité. Bien m’en a pris, car je me suis retrouvé en 1999 dans ce qui était à l’époque une jeune start-up... et qui est toujours mon entreprise aujourd’hui ! Avec ses montagnes et son lac, la ville de Neuchâtel m’a fait un peu penser à la Réunion. Je m’y suis tout de suite plu et j’ai décidé de m’y installer.

De quelle façon avez-vous vécu le récent vote suisse ?

En tant qu’étranger avec un permis de séjour, je ne peux pas voter pour les élections Fédérales ou les votations (référendums). Dans mon canton, le Non l’a emporté assez largement. Pourtant, il s’agit d’un canton avec une frontière avec la France, donc très concerné par le travail des frontaliers. Ce vote était au départ l’occasion de plaisanteries entre les nombreux étrangers que nous sommes et nos collègues suisses, à propos de notre « départ précipité au lendemain du vote en cas de oui ». Aujourd’hui son résultat suscite plus d’inquiétudes...

Comment réagit la population suisse aux résultats ?

Il y a d’abord de la surprise. Le vote a été serré. En votant Non, beaucoup pensaient lancer un avertissement à la classe politique, sans réellement vouloir que cette initiative passe. Car elle est potentiellement lourde de conséquences pour ce pays très dépendant de l’Europe. Les Français et les étrangers qualifiés sont très nombreux dans les entreprises suisses de Higtech. Les Suisses craignent la réaction de l’Union Européenne, avec qui il existe des accords de libre échange et de libre circulation profitables au pays. Il existe aussi une vraie division entre partisans de l’initiative, Suisses allemands et Tessinois d’un côté, et Suisses romands de l’autre, qui y sont opposés. Enfin comme souvent, c’est dans les endroits où il y a le moins d’étrangers (les campagnes) que le Oui a été massif. Les villes, où les habitants sont habitués à fréquenter toutes sortes de nationalités, ont généralement refusé l’initiative.

Comment expliquez-vous le Oui des Suisses aux quotas ?

Personnellement, je peux comprendre les inquiétudes. Je comprends que le chauffeur livreur genevois qui ne trouve pas de travail car on préfère prendre un frontalier moins cher se pose la question de l’ouverture des frontières. Toutes ces personnes, loin d’être racistes ou xénophobes expriment une inquiétude qu’on ne peut négliger. Ce sentiment est d’ailleurs partagé par pas mal d’Européens. Un tel vote en France ne donnerait-il pas des résultats similaires ?


Frantz Prianon

Que faudrait-il faire ?

Il y a sans doute des moyens plus intelligents de protéger les travailleurs suisses sans se mettre à dos le reste du monde et passer pour des xénophobes. On aurait pu renforcer par exemple les contrôles pour éviter le dumping salarial, mettre en place un salaire minimal (refusé par les Suisses par référendum il y a peu), développer les études supérieures plutôt que l’apprentissage...

Selon vous, que va-t-il se passer maintenant ?

En Suisse, les référendums d’initiative populaire redonnent au peuple (pour le meilleur et pour le pire) le dernier mot en matière de politique. Mais dans ce cas, la Suisse et l’Union Européenne ont tellement besoin l’une de autre, qu’un accord pragmatique devrait être trouvé. Le gouvernement (en majorité contre l’initiative) va sûrement essayer de faire en sorte que rien ne change dans les faits, tout en faisant croire au peuple que sa volonté a été respectée.

Qu’est ce qui en tant que Réunionnais vous paraît proche en Suisse ?

Je pense que le Réunionnais peut se sentir proche du Suisse en ce sens qu’ils partagent le même sentiment d’appartenir à un petit pays. Ce pays est peut être ouvert sur le monde mais il n’en demeure pas moins petit, unique et chéri par ses habitants. L’idée d’être petit donne aussi des complexes et une certaine humilité vis-à-vis de l’extérieur. A part cela je peux dire que les différences sont quand même énormes. Cela se ressent surtout dans les relations avec les gens. Ici les relations sociale sont encore très codifiées et assez convenues. On ne rend pas visites aux amis sans prévenir un certain temps à l’avance contrairement a ce qui se fait encore à la Réunion. On prend donc rendez pour une activité avec ses amis et on remplit son agenda de sorties comme son agenda professionnel. Ça manque à mon sens de spontanéité mais c’est comme ça il faut s’y habituer.

La Réunion est-elle encore présente dans votre vie ?

J’ai la chance de rentrer très souvent sur l’île et ce qui frappe venant de Suisse, c’est le sourire des gens. A la Réunion on entend souvent rire et les gens se moquer les un des autre pour plaisanter. Ici les gens ne sont pas plus méchants bien sûr, mais plus froids assurément au début des relations. La Réunion représente pour moi toute mon enfance, une terre et des gens que j’adore, des paysages et une ambiance hors normes. Toute ma famille et celle de ma femme y habitent et nous y revenons toujours avec grand plaisir. Mon rêve est de pouvoir rentrer et gagner ma vie là-bas. J’arrive à détecter en une seconde une image de la Réunion à la télé et à chaque fois ça me fait des frissons. C’est sûrement ridicule mais je n’y peux rien.

Que pensez-vous de la situation socio-économique sur l’île ?

Autant de richesse qui côtoie autant de misère sur un petit territoire est un facteur de frustration selon moi. Tant de gens intelligents, jeunes ou moins jeunes, sont sans travail et sans grand espoir d’en avoir... Heureusement qu’une certaine solidarité familiale existe (avec des contreparties plus ou moins malheureuses). La situation n’est sans doute pas désespérée car les temps changent. La révolution technologique que nous vivons est porteuse de nouveaux espoirs. A nous de saisir notre chance et à ce titre, je serais ravi d’en être... A la Réunion bien sûr !

Article publié dans Le Quotidien du 25 février 2014


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