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Réactions contre la France en Turquie : une Réunionnaise témoigne

Publié le 29 janvier 2012

Alors que la loi sur le génocide arménien vient d’être définitivement adoptée en France, Eugénie témoigne de la colère des autorités turques et de l’incompréhension suscitée par cette loi dans la population. Cette originaire de Saint-Paul est installée depuis deux ans et demi en Turquie, où elle enseigne le Français langue étrangère dans un lycée.

photo de la Turquie
"Le point commun entre la Réunion et la Turquie, c’est que l’on entend le muezzin !"

Pouvez-vous vous présenter SVP ?

Je m’appelle Eugénie et j’ai 27 ans. Je suis actuellement en thèse de philosophie à la Sorbonne, et possède un master de français langue étrangère (fle) qui me permet de travailler dans une école allemande en tant que professeur de langue (LV2) pour les élèves de première et de terminale. Je vis en Turquie depuis deux ans et demi.

Quelle est la réaction en Turquie suite à l’adoption de cette loi française ?

La loi est très contestée en Turquie, notamment dans la presse. Le sujet a fait la une des journaux cette semaine. Les plus importants d’entre eux comme Vatan proposent des titres tels que "France, Honte à toi ! " ou "Il a massacré la démocratie" dans Hürriyet, à côté de la photo de Sarkozy, tandis que d’autres parlent d’une "honte historique" (Zaman). Il semble y avoir au niveau de la population une certaine incrédulité et une incompréhension face à cet acharnement des Français à voter une loi alors que le premier ministre et le président turcs ont prévenu qu’il y aurait des représailles en cas d’adoption du texte. Certains journaux (Yeni Safak) parlent des "petits calculs électoraux de Sarkozy" pour expliquer cette position.

Comment cela est-il ressenti dans les milieux français en Turquie ?

On constate une certaine inquiétude chez les Français qui travaillent dans le commerce et dans la diplomatie. Les nombreuses entreprises tricolores implantées dans le pays ont besoin de bonnes relations avec les Turcs pour mener à bien des accords commerciaux. Tout le monde est dans l’expectative : Le premier vote du sénat avait déjà gelé la coopération militaire et politique. Ankara a annoncé des représailles définitives en cas de promulgation de la loi. Que va-t-il en être ? Dans tous les cas les Français risquent de se retrouver à l’écart des grands marchés publics pour un moment.

Quel est l’état de l’opinion publique turque sur le sujet du génocide arménien ?

Les Turcs ne reconnaissent pas le génocide arménien. Il est de plus en plus possible de parler sans trop de tabous des massacres, mais il existe au niveau officiel un discours qui nie leur existence. Personnellement l’arrivée de ce sujet ne change pas beaucoup mes rapports au quotidien avec les Turcs. Pour le moment, aucun sentiment anti français ne s’est brusquement levé dans la population.

photo de la Turquie

Comment est ressentie dans le pays la « mise à l’écart » du processus d’intégration européenne ?

Malgré de grandes disparités de niveau de vie, la Turquie est un pays en plein essor (9% de croissance par an), conscient de son potentiel et de son poids commercial. Le pays ne voit pas de raisons objectives de la part de la France pour refuser sa candidature à l’entrée dans l’union européenne. La Turquie est un pays riche qui se lassera certainement un jour de courtiser l’Europe et qui se tournera vers d’autres pays pour lesquels il se posera en leader.

Dans son fonctionnement et ses inclinations, la société turque appartient-elle plutôt au bloc « Europe » ou au bloc « Orient » ?

Il existe de forts contrastes selon l’endroit et les institutions que l’on fréquente. Tout est très moderne, l’administration et la police fonctionnent sans corruption et le niveau de vie d’une certaine classe de la population est très élevé. Mais il y a de grandes disparités : dans certains quartiers on quitte la modernité pour retrouver les voitures à cheval et les petits métiers. Cette disparité est aussi très visible entre les trois grandes villes de Turquie (Ankara, Istanbul et Izmir), et les autres villes qui sont plus petites, et bien entendu les campagnes.

Pour conclure, comment voyez-vous l’évolution du pays dans les prochaines années ?

La Turquie est un beau pays, avec des paysages magnifiques et des gens très accueillants. Je ne sais pas comment il va évoluer, il va certainement se moderniser, reste à savoir si les classes les plus pauvres profiteront ou non de ces modernisations, ou si l’écart se creusera encore.

Article publié dans Le Quotidien du 29 janvier 2012

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