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Regard sur l’actualité : une Réunionnaise en Espagne

Publié le 30 septembre 2012

Originaire de Saint-André, Frédérique Nourry vit à Barcelone depuis 1995, où elle s’est mariée et a fondé une famille de trois enfants. Cadre dans la grande distribution, elle vit aux côté des Espagnols les dures restrictions liées à la crise économique.

Frédérique Nourry

Pouvez-vous vous présenter svp ?

Frédérique Nourry, je suis née à Saint André de la Réunion en 1972, mais j’ai grandi à la Plaine des Cafres. J’ai une maîtrise en LEA (Langues Etrangères Appliquées, option Commerce International) obtenue à Chambéry en 1994, un DESS Techniques d’Exportation (IAE Poitiers 1995) et un MBA (Master of Business Administration) obtenu en 2010 à l’école de Commerce ESADE à Barcelone. Je travaille en tant qu’Office Manager d’’un bureau administratif à Barcelone pour la grande distribution. J’habite en Espagne, à Barcelone (Catalogne) depuis 1995. J’y habite avec mon mari et nos trois filles de 10 ans, 8 ans et 2 mois.

La semaine a été émaillée de manifestations dans toute l’Espagne. Quel est votre point de vue ?

Il y a eu beaucoup de manifestations et de grèves dans tout le pays : étudiants, employés licenciés ou en passe de l´être, fonctionnaires, conducteurs de bus, parents, etc. protestent contre les coupes budgétaires. A Madrid, les Indignés ont organisé une grande manifestation dont le but était d’entourer le parlement espagnol. L´équivalent des CRS ("los antidisturbios") les ont dispersé sans ménagement, ce qui a créé une polémique. A Barcelone, la plus grande manifestation qui a réuni environ 1,5 million de personnes a eu lieu le jour de la "Diada", la fête nationale de Catalogne, le 11 septembre. Une manifestation qui revendiquait plus que jamais cette année l’indépendance de la Catalogne, sentiment plus important depuis l’aggravation de la crise. La ville est pleine d’affiches et de tags de revendications. Les gens ont le sentiment que l’austérité et les sacrifices ne servent à rien et que malgré ce qu’on leur demande, l’Espagne prend le chemin de la Grèce et du Portugal.

Selon vous, comment en est-on arrivé là ?

Depuis 2007, les Espagnols sont touchés de plein fouet par la crise et les choses ne font qu’empirer. Le chômage concerne près de 25% de la population active, soit 5,7 millions de personnes, plus de la moitié des jeunes de moins de 25 ans ! La colère gronde face aux coupes budgétaires drastiques dans les services publics. Dans l’éducation, il y a moins d’heures de cours, pas de remplacement de professeurs avant 10 ou 15 jours d’absence, des baisses de salaires pour les fonctionnaires. Dans la santé, de moins en moins de médicaments sont remboursés. Il y a un délai de plusieurs mois ou même d’années pour se faire opérer...

Frédérique Nourry

Avez-vous d’autres exemples tirés de la vie quotidienne ?

Les dernières hausses de TVA sont particulièrement dures : les couches de bébés ont fortement augmenté, tout comme le matériel scolaire. Beaucoup de familles ont du mal à payer la cantine des enfants le midi (6 euros le repas), le matériel scolaire, les livres... Le peuple s’appauvrit, c’est certain. Il y aura 180 000 expulsions de familles de leurs logements cette année, pour non paiement d’hypothèque ou de loyers. Plus d’un million de personnes ont été aidées par l’ONG Caritas, qui fournit de la nourriture principalement.

Comment la classe politique espagnole gère-t-elle la crise ?

Il existe ici une forte corruption souvent impunie et un nombre exagéré d’hommes politiques comparé à d’autre pays, qui mènent un train de vie scandaleux. L’administration est lourde à cause des Communautés Autonomes : 17 régions en Espagne qui ont chacune beaucoup d’autonomie. Le gouvernement actuel, dans lequel beaucoup d’Espagnols avaient fondé des espoirs, les a déçus par son manque de transparence. La population constate avec colère que les augmentations d’impôts et de TVA servent à payer les intérêts de la dette et à sauver les banques qui ont très mal géré leurs entités (la fameuse "bulle immobilière" espagnole). Beaucoup de leurs dirigeants sont partis avec des indemnités faramineuses...

Malgré tout, vous êtes impressionnée par la capacité d’adaptation des Espagnols...

Il se trouve que les Espagnols sont plus optimistes que les Français ou les Réunionnais ! Ils cherchent des solutions avec leurs familles, réduisent leurs dépenses, sont créatifs et créent des entreprises. C’est dans leur caractère et ils ont encore en tête la dictature, qui n’est pas si ancienne que cela en Espagne. Maintenant, ils sont de plus en plus en colère de voir que les politiques sont incapables d’améliorer les choses, et qu’ils ont même tendance à les infantiliser et à les rendre coupables d’une partie de la situation.

En tant que Réunionnaise, qu’est ce qui vous fait aimer ce pays ?

J’aime leur optimisme, leur joie de vivre, la diversité du pays. Ils ont un sens élevé des traditions et des cultures populaires. Les fêtes de "La Mercè", de la ville de Barcelone viennent de se terminer et ont été un exemple de ce qu’est ce peuple. Je pense les comprendre, surtout les Catalans, même si je ne ressens pas leur fort désir d’indépendance. Je retrouve ici la joie de vivre des Réunionnais, le sens de la famille, de la solidarité familiale et particulièrement en Catalogne, l’attachement à une spécificité, une langue et une culture.

Article publié dans Le Quotidien du 30 septembre 2012



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Frédérique Nourry
Dans les rues de Barcelone
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