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Regard sur la mobilité – Philippe Lougnon : « Mobilité, formation et discrimination positive »

Publié le 18 janvier 2009

Dans le processus de modernisation sans interruption que connaît la Réunion dans tous les domaines depuis maintenant plus de trente ans, la Formation de chacun de nous prend une importance toute particulière. Sans formation – et sans formation adaptée – les chances de trouver un emploi valorisant sont en effet très faibles.

Philippe Lougnon

Cependant, toutes les formations ne sont pas disponibles sur place et même si celle qu’on a reçue a permis de trouver un emploi, l’expérience constitue un complément indispensable à la maîtrise de ses fonctions, qu’il s’agisse d’un emploi de ‘col blanc’ ou d’ouvrier. La Mobilité apporte à la fois formation et expérience.

En France métropolitaine aussi on conseille vivement aux jeunes de se rendre à l’étranger pour élargir leur horizon et dans certaines filières c’est même carrément obligatoire.

C’est dire à quel point la Mobilité à la Réunion ne doit en aucun cas être considérée principalement comme le traitement social d’un trop plein de population et d’un chômage excessif mais plutôt comme l’étape essentielle que chacun devrait franchir au moins une fois dans sa vie afin d’enrichir sa formation.

On doit d’ailleurs se réjouir que cette possibilité nous soit offerte en pouvant tous accéder librement à ce qu’offrent la Métropole et l’Europe en matière de formation et d’expérience alors que d’autres en sont réduits à braver les lois et risquer leur vie pour y arriver….

Si chacun à la Réunion s’accorde dorénavant à admettre cette impérieuse nécessité, chacun doit également reconnaître que cette mobilité est insuffisante en nombre, insuffisamment spontanée et que des mesures d’accompagnement convaincantes sont indispensables. On ne se déracine pas facilement à 10 000 Km de distance de chez soi sans être persuadé que cette décision améliorera franchement la situation et se savoir entouré une fois sur place.

De nombreuses mesures existent déjà mais il faut leur donner une nouvelle impulsion afin que les partants soient moins paniqués à l’idée de ce grand saut dans le quasi inconnu…et que ceux qui sont déjà partis se sentent moins seuls et oubliés. Il faut réduire le taux d’échec rencontré par nos concitoyens dans la Mobilité et réduire le nombre d’entre nous qui rentrent déçus et dépités à la Réunion et n’osent plus réessayer. Comme nous ne sommes pas plus bêtes que les métropolitains, si nous ne réussissons pas aussi bien qu’eux c’est sans doute que la formation que nous sommes venus chercher ou avec laquelle nous sommes arrivés en France Métropolitaine ne convient pas toujours ou que nous n’y sommes pas suffisamment épaulés dans la phase délicate que représentent les premières années de Mobilité.

Cette question essentielle de la Mobilité des réunionnais doit être avant tout du ressort des autorités de la Réunion qui d’ailleurs, Région ou Département, s’en préoccupent déjà mais chacun de son côté – ce qui ne semble pas optimum - et les mesures existantes me semblent devoir être complétées afin :

- de préparer les mentalités de nos concitoyens à la mobilité dès le plus jeune âge ;
- d’influer sur les formations dispensées à la Réunion et mieux informer sur celles disponibles en métropole de façon à les orienter vers les véritables possibilités d’emploi ;
- de favoriser les reconversions et réorientations professionnelles ;
- d’offrir des écoles de la deuxième chance ;
- de développer des filières d’excellence disposant d’un label reconnu ;
- de développer une offre de services (soins médicaux, études techniques, agronomie tropicale, etc.) orientée vers les pays du Sud ;
- d’éviter les départs non préparés sans projet défini ;
- de résoudre la problématique du logement en métropole (bourse du logement, garantie bancaire locale des loyers afin de rassurer définitivement les bailleurs métropolitains, prêt du dépôt de garantie, colocation, familles d’accueil, etc…) ;
- de promouvoir la Réunion et les réunionnais sur le plan économique et humain, par une campagne de communication auprès du grand public et des entreprises en Métropole, où ils sont la plupart du temps pris pour des antillais ou des travailleurs immigrés ou encore d’aimables indigènes, ce qui n’est pas forcément la meilleure chose ;
- de renforcer les structures d’accueil ainsi que l’aide au fonctionnement des associations de réunionnais en Métropole afin que les « partis » se sentent davantage entourés ;
- de mieux structurer les dispositifs de recherche active d’emplois en Métropole (choix de guetteurs en entreprise, salons professionnels, etc…) ;
- de faciliter le retour des « partis » à la Réunion quand ils le souhaitent et au moins une fois par an ;
- d’encourager la création d’un journal, d’une radio (et non dans RFO), l’épanouissement du site internet existant, bref de moyens de communication entre réunionnais partis et entre ceux-ci et leur famille restée à la réunion (tarifs de téléphone allégés) ;
- de garantir le retour des partis en cas d’échec, etc.

"il faudrait sans doute que les commissions d’attribution des postes de la fonction publique acceptent un principe de discrimination positive en faveur des réunionnais candidats en cas de multiplicité de postulants à formation équivalente"

Les perspectives de trouver du travail à la Réunion à l’issue du processus de formation universitaire ou professionnelle considéré doivent également être évaluées et présentées aux candidats au départ et ceci le plus tôt possible. Si le plus gros gisement d’emplois est celui que représente le secteur public, encore faut il savoir de qui celui ci a effectivement besoin et comment on peut prétendre occuper ces postes.

A ce sujet, il faudrait sans doute que les commissions d’attribution des postes de la fonction publique acceptent un principe de discrimination positive en faveur des réunionnais candidats en cas de multiplicité de postulants à formation équivalente. La surqualification des candidats fonctionnaires métropolitains, pour qui ces postes présentent des avantages matériels considérables, doit elle être prise en compte ? Ces avantages se justifient – ils eux-mêmes dorénavant ?

Le secteur privé de la Réunion a lui aussi évidemment des besoins de personnels qualifiés et il n’y a pas que les métropolitains qui peuvent occuper ces postes si la formation de nos concitoyens créoles est adaptée à leurs besoins. D’autant que dans ce cas le coût de leur emploi à la Réunion sera sans doute plus faible du fait de l’absence ou de la réduction des primes « d’expatriation ». Ce qui en fait une motivation très immédiate…

Or les sociétés concernées n’ont pas le réflexe de chercher à pourvoir ces postes disponibles en diffusant d’abord l’information auprès des réunionnais partis.

C’est donc à un véritable chantier de société que nos responsables doivent s’atteler à nouveau, toutes sensibilités politiques confondues évidemment, car il n’y a pas d’emplois de droite et d’emplois de gauche dans un monde moderne et la Réunion doit faire partie du monde moderne. Chaque maillon de la chaîne Mobilité doit être réexaminé et reforgé après avoir pris l’avis de tous les intéressés.

Ils savent pouvoir compter sur la bonne volonté de tous si leur projet fait l’objet d’un débat convivial et ouvert. A moins que ces élus ne considèrent, ce qui serait tout de même invraisemblable, que les « partis » n’étant plus électeurs à la Réunion, leur sort leur est finalement indifférent…

Philippe Lougnon.

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Philippe Lougnon est né à la Réunion au sein d’une ancienne famille créole blanche de Saint Paul. Son père était le proviseur du lycée Leconte de Lisle et l’historien bien connu de l’île Bourbon. En 1968, il quitte la Réunion pour compléter sa formation universitaire (maîtrise de sciences économiques obtenue à Paris) et acquérir une solide expérience professionnelle.

Aujourd’hui âgé de 60 ans, il est retraité après avoir fait carrière dans la banque d’entreprises à l’international. Il a été successivement affecté à Londres, Paris, le Caire, Djeddah, le Maroc et Paris à nouveau, où il a terminé sa carrière.

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