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Réunionnaise et supportrice de Barack Obama

Publié le 11 novembre 2012

Supportrice de Barack Obama de la première heure, Nadia Payet est ingénieure informatique chez Google à Seattle. Cette Saint-Andréenne de 30 ans porte un regard reconnaissant mais lucide sur son pays d’adoption.

Réunionnaise et supportrice de Barack Obama

Comment avez vous vécu la campagne présidentielle américaine 2012 ?

La dernière campagne présidentielle a été très intense et riche en rebondissements. Tout le monde pensait Obama réélu assez facilement quelques mois avant l’élection. Mais après le premier débat présidentiel entre les deux candidats, les sondages se sont renversés et sur la fin, on n’était plus sur de rien. Mes amis, qui étaient plutôt sereins avant ce premier débat jugé catastrophique pour Obama, se sont remis en campagne, rappelant à chacun de voter impérativement. Certains ont même été plus loin, participant à la campagne en envoyant des fonds au centre de campagne d’Obama. Mitt Romney était soudain devenu un candidat avec toutes ses chances, et rien n’était plus inquiétant aux yeux des démocrates. Personnellement, je n’ai pas vraiment douté de la réélection du président Obama, mais j’étais quand même anxieuse le soir de l’élection.

Où étiez-vous le soir de l’élection ?

J’ai vécu la réélection en direct à la télévision dans un bar du centre ville de Seattle. A chaque fois qu’un état était attribué au président sortant, tout le bar applaudissait. Les Américains présents ont donné une ovation générale à Obama quand le résultat final a été connu, aux environs de 20h30. Chaque état votait aussi ce jour là pour des lois locales. Ici dans l’état de Washington, les deux motions les plus controversées étaient : 1- Autoriser le mariage homosexuel, 2- Légaliser la possession et la vente de marijuana en petite quantité. Les deux motions ont été approuvées. Donc aujourd’hui à Seattle, on peut posséder de la marijuana légalement, et les homosexuels peuvent se marier...

En tant que supportrice lors de sa première élection en 2008, avez-vous été satisfaite par les réalisations de son mandat ?

J’ai vu de nombreuses promesses très ambitieuses se réaliser pendant les quatre ans du premier mandat. Les plus importantes à mes yeux ont été la réforme du système de protection sociale (l’interdiction pour les assurances de mettre fin à votre couverture santé pour raisons économiques en particulier), la fin de la guerre en Irak, le retour partiel des troupes américaines, l’abolition de la politique "Don’t ask, Don’t tell" dans l’armée américaine qui interdisaient aux homosexuels de faire partie de l’armée, les réductions d’impôts pour la classe moyenne, le meilleur partage des richesses, et en médecine, le retrait de l’interdiction Bush contre la recherche sur les cellules souches. Toutes ces mesures ont été très controversées et ont mis beaucoup de temps à être acceptées, mais elles sont un énorme pas en avant pour la société américaine.

A l’inverse avez-vous été déçue sous certains aspects ?

Ce qui m’a le plus déçue, c’est le temps qu’il a fallu pour mettre en place les reformes du système de santé. En tant que Francaise, j’ai beaucoup de mal à comprendre qu’une nation soit aussi égoïste. Pour un grand nombre de ressortissants américains, payer des trillions pour mener une guerre en Irak c’est tout à fait normal. Quand il s’agit de participer financièrement pour que tous les citoyens puissent avoir accès au système de santé, ils ne sont pas du tout d’accord.

La discussion avec les républicains a été stérile pendant trop longtemps, et a retardé la mise en place de la protection sociale pour tous. Qui sait combien de personnes n’ont pas pu bénéficier de soins pendant tout ce temps, ont vu leur assurance leur refuser une protection santé, se sont endettées à vie pendant que les hommes politiques tergiversaient ? J’espère que le prochain mandat verra un parti démocrate plus incisif quand il s’agit de questions primordiales pour le bien-être de la société toute entière.

J’aurai aussi apprécié que les réductions d’impôts dites "Bush", qui profitent aux plus chanceux d’entre nous qui gagnent extrêmement bien leur vie, aient été complètement arrêtées quand Obama est entré à la maison blanche. Au lieu de cela, il a préféré les continuer pendant encore quatre ans ; elles arrivent enfin à expiration en janvier 2013. Ces réductions ont couté de nombreux milliards au budget américain, et auraient pu servir à équilibrer le budget pendant la crise économique sans précédent que l’Amérique connait depuis 2008.

Quels sont les principaux enjeux qui attendent Barack Obama maintenant qu’il a été réélu ?

L’enjeu numéro 1, c’est bien sur l’économie. Le président compte sur les énergies renouvelables et les nouvelles technologies pour la relancer. Je pense que ce sera la clé de ce mandat, et la création d’emplois de qualité va être sa priorité.
Le deuxième enjeu, c’est aussi s’assurer de la pérennité du nouveau système de santé. Il y a encore beaucoup à faire pour que l’accès aux soins soit au niveau des pays européens. On ne se rend pas vraiment compte de la chance qu’on a en France d’avoir la sécurité sociale pour tous. Ici, les plus démunis n’ont pas les moyens de se payer une assurance santé, et les soins sont atrocement chers.

Nadia Payet, une réunionnaise chez Google

Selon vous les États Unis sont ils la « meilleure démocratie du monde » ?

Pas vraiment. Dans certains états, les citoyens ont attendu plusieurs heures pour pouvoir voter. Dans certains quartiers défavorisés, on n’a pas acheté assez de machines à voter... Les États-Unis sont aussi un pays où la désinformation est routine avant les élections. Certains de mes amis en Pennsylvanie ont reçu des dizaines de flyers mensongers pour influencer un parti ou l’autre. Par exemple, un flyer circulait mentionnant "Obama déteste mère Théresa". Qu’est ce que cela a à voir avec l’élection ? Enfin, un pays où votre conviction religieuse décide pour qui vous allez voter ne peut pas être la meilleure démocratie du monde.

Quelles principales différences voyez-vous avec les pratiques politiques en France ?

En France, il est impensable qu’un candidat puisse mentir dans un débat. Il ne fait pas bon inventer des faits ou ne pas avoir les bons chiffres. Les hommes politiques sont généralement corrigés par les journalistes sérieux. Ici, les partis passent leur temps à s’échanger des accusations et des contre accusations à tout va. Difficile de tirer les choses au clair... Le modèle des partis politiques sponsorisés par les entreprises et les particuliers est aussi très différent du système français. Des milliards de dollars ont été dépensés en communication pendant cette campagne. N’aurait-il pas été plus judicieux de dépenser cet argent ailleurs ?

Fait-il bon vivre aux Etats-Unis en ce moment ?

Beaucoup d’Américains vivent encore des moments difficiles, mais on sent que l’économie a un peu repris depuis quelques mois, et ça se ressent sur la consommation. On voit de nouveau beaucoup de monde dans les galeries marchandes, et à l’approche des fêtes de fin d’année, l’ambiance semble bien plus festive que l’année dernière. Le marché immobilier se porte mieux, et de nombreuses familles se remettent à chercher une maison. Cette année j’ai vu beaucoup de maisons dans mon quartier trouver propriétaire. Malgré tout, les gens n’oublient pas les mouvements comme "Occupy Seattle" et "We are the 99%", qui ont duré longtemps l’hiver dernier, et ont rassemblé énormément de monde. J’espère simplement que la situation des démunis va s’améliorer et que ces mouvements n’auront plus lieu d’être.

Dans votre parcours personnel, y-a-t-il eu un « rêve américain » ?

Je pense faire partie des chanceux qui vivent totalement le rêve américain. J’ai obtenu mon Ph.D (doctorat) l’année dernière. Il m’a ouvert les portes de prestigieuses entreprises : Amazon pendant un an et maintenant Google. L’ambiance de travail dans ces entreprises est très détendue, les projets intéressants ne manquent pas. Les salaires sont très généreux par rapport aux salaires européens, et la qualité de vie dans le Nord-Ouest des États-Unis n’a rien à envier à la qualité de vie en France. Je n’oublie pourtant jamais que je dois tout (ou presque) à ma famille, qui m’a toujours soutenue et encouragée, surtout dans les moments de doute. J’aimerais inventer la téléportation pour pouvoir voir ma famille plus souvent. C’est la seule chose que je regrette, et qui me ramènera un jour dans mon "ti paradis".

En tant que Réunionnaise, qu’est ce qui vous paraît le plus éloigné dans la société américaine ?

De notre nature insulaire, nous les Réunionnais sommes très curieux du monde extérieur. Que ce soit par les voyages ou la télévision, j’ai toujours trouvé les créoles avides de découvrir ce qui se fait ailleurs, comment sont les choses en dehors de la Reunion. Nous sommes fiers de notre ile, et jamais je n’ai été aussi fière que depuis que je suis partie, mais nous sommes curieux de l’extérieur. Nous sommes adaptables, et fiers de notre diversité, nous entrons dans tous les univers avec notre bonhommie locale. Ici c’est très différent. Les Américains sont fiers de leur pays, et assez chauvins d’ailleurs. Mais je ne ressens pas d’intérêt majeur pour ce qui se passe a l’étranger. Les informations à la télé sont toujours centrées sur les USA et de manière générale, les Américains sont persuadés que leur pays est le meilleur en tout. Peu de gens parlent une autre langue, et très peu ont visité un autre pays. Ce manque de curiosité continue de me frapper encore aujourd’hui.

Article paru dans Le Quotidien du 11 novembre 2012


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