Publicité

Témoignage : en direct de Madagascar 2

Publié le 12 février 2009

Après plusieurs années dans la communication à la Réunion, Pascal a quitté l’île pour ouvrir l’agence JWT à Madagascar. Profondément choqué par les violences sur place, il tient un blog depuis le début des événements pour informer de ce qu’il se passe.

Manifestations à Madagascar
Samedi 7 février. Début de la manifestation à Tananarive. Personne ne s’attend au massacre qui va suivre.

Entretien daté du 10 février 2009. Photos extraites du blog http://actumadagascar.blogspot.com

Pouvez-vous vous présenter svp.

J’ai 45 ans et je suis publicitaire, general manager de JWT Madagascar. JWT est la plus importante agence de communication des USA. Stratégiquement, l’entreprise américaine a considéré qu’il fallait d’abord s’implanter sur la Grande Ile (en juin 2008) pour rayonner ensuite dans la région. La filiale JWT Madagascar a pour vocation d’ouvrir l’enseigne JWT dans tout l’Océan Indien.

Dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement ?

Après le massacre de samedi 7 Février à Ambohitsorohitra, c’est plutôt un sentiment de dégoût pour des actes aussi inhumains. Et bien sûr de tristesse pour les familles qui ont a subir cela.

Est-ce que vous sentiez venir cette crise à Madagascar ?

Honnêtement, non. Ici, il y a beaucoup de prédicateurs alarmistes en tous genres dans la communauté d’étrangers. Tout le monde voit des crises venir… et souvent rien n’arrive. Quand une crise survient, personne ne la voit vraiment venir. Exemple : j’avais déjà vécu à Madagascar au début de la décennie. Je suis rentré à La Réunion le 3 janvier 2002 et les grèves à Madagascar commençaient le 7 janvier. Je vous jure jusqu’au 2 janvier, personne ne croyait une seconde que Ratsiraka pouvait perdre le pouvoir. Pour cette année, idem. Si l’on sentait la tension venir, personne ne pouvait croire que l’on en arriverait au massacre de samedi.

Massacre à Madagascar
Ambohitsirohitra : C’est la panique. La Garde présidentielle tire sur la foule sans sommation dès qu’elle franchit "la zone rouge". Une foule sans armes et de tous les âges.

Pouvez-vous revenir sur le déroulement du conflit ?

Les évènements actuels sont issus d’un bras de fer entre Andry Rajoelina, maire d’Antananarivo et le Président de la République Marc Ravalomanana. Andry Rajoelina a 34 ans. Il a crée la première imprimerie numérique grand format à Madagascar il y a environ 9 ans. Il a très vite pris de l’importance et a créé un réseau d’affichage 4x3, une radio et une TV (Viva) notamment. Aux dernières élections à Tana, il s’est présenté contre le maire sortant qui appartenait au parti du Président Avec son parti, TGV, Andry Rajoelina a gagné ces élections et a donc pris la Mairie de Tana. Depuis, il dit avoir énormément de difficulté à gérer la ville, le parti présidentiel (le TIM, Tiako y Madagascar) et la présidence elle-même, lui mettant des "bâtons dans les roues" systématiquement.

Par exemple ?

Un des derniers épisodes de ces "tracasseries" du pouvoir a été la fermeture de la Télévision Viva, parce qu’elle avait diffusé des propos de l’ancien président Ratsiraka. Lesquels propos avaient d’ailleurs déjà été diffusés par d’autres chaînes de TV à Madagascar. Le maire de Tana a donc exigé la réouverture de sa chaîne de TV.

Comment expliquez-vous l’ampleur prise par les événements ?

Andry TGV, fort de son élection, est très vite apparu comme le fer de lance d’une opposition moribonde et a rassemblé quasiment tous ceux qui voulaient s’opposer au président. C’est suite d’ailleurs au ralliement de Roland Ratsiraka, neveu de l’ancien président, que certaines rumeurs imaginent une manœuvre orchestrée par l’ancien régime pour renverser Ravalomanana et revenir en force au pays. Sincèrement, j’en doute, et je pense que Andry Rajoelina a une personnalité trop forte pour n’avoir qu’un rôle de marionnette dans cette affaire.

En tant qu’entrepreneur étranger, vous sentez vous en insécurité pour vous et vos intérêts économiques ?

On est, sauf cas exceptionnel, plus en sécurité à Tananarive qu’à Paris. Pour l’économie, c’est différent de la France bien sûr. Ici, pas de sécurité, d’indemnité chômage ou d’aide. On gagne ou on perd. Pour l’avenir, c’est le grand doute. On sent bien qu’il va y avoir des moments difficiles. En même temps, on n’arrête pas la vie d’un peuple...

Radio Madagascar
30 janvier. RNM et TVM, la radio et la télévision nationale malgache ont fait parti des premières cibles des opposants.

Vous oblige-t-on à « choisir un camp » ?

Pour ce qui est de "choisir un camp"… on ne peut pas dire les choses comme cela. Il n’y a pas encore ici une démocratie avec liberté d’expression comme en France. Mais je crois qu’il y a plus d’auto-cesure que de censure réelle. Bien entendu, il n’est pas bien vu et peut porter à conséquence de critiquer le pouvoir. Bien entendu, le président est beaucoup trop occupé pour s’acharner sur tout un chacun. Mais comme dans tout pouvoir, ce sont souvent les partisans qui se montrent zélés. Quoiqu’il en soit, il est plus simple de dire qu’il est encore mal vu qu’un "vazaha" s’occupe de politique.

Comment voyez-vous l’évolution de Madagascar dans les dix prochaines années ?

Madagascar est le vrai centre de notre région de l’Océan Indien. Une île très importante qui naturellement retrouvera sa véritable place. Il est prévu 20 millions d’habitants d’ici 2020. On parle même de 40 millions d’ici 2035 ! Ce pays est promu à un rôle capital dans notre région et à un développement considérable. Je pense que c’est la mondialisation qui est en cours, et non des politiques individuelles. Alors que La Réunion ou Maurice peinent à se trouver de nouvelles limites pour se développer, Madagascar a un potentiel de croissance démesuré. Reste qu’il faut venir à Madagascar pour travailler, non pour croire à un eldorado qui vous attend comme le messie. Et encore moins pour penser que l’on va donner des leçons à tout le monde, comme le font trop souvent les étrangers qui viennent s’installer ici.

Est-ce que vous arrivez à comprendre cette société malgache ? Qu’est ce qui venant de la Réunion vous paraît :

- Proche : La Réunion a plus de point commun avec Madagascar qu’avec aucun autre pays du monde.
- Compréhensible : tout, à condition de ne pas arriver en pays conquis, de garder de l’humilité et de se souvenir de notre histoire profonde.
- Eloigné : le coût du billet d’avion : démesuré compte tenu de la distance.
- Surprenant : tout ce que ce pays peut vous apprendre, dans la mesure où on a envie de l’écouter.

Photos extraites du blog http://actumadagascar.blogspot.com. Le but de ce blog est de proposer un témoignage photographique des évènements ce passant à Madagascar.

En direct de Madagascar : Entretien avec Pascal Kryl

Sur le même sujet, voir aussi En direct de Madagascar 1

Publicité