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Andal (āṇṭāļ) : la déesse de Srivilliputtur

Publié le 2 octobre 2009

11e épisode de la série de Dominique Jeantet sur les origines tamoules de l’identité réunionnaise malbar. La déesse Terre Bhumi Devi, considérée comme l’épouse du dieu Viṣṇu sous la forme de son troisième avatar Varaha (sanglier), se manifesta un jour sous la forme d’un petit bébé dans le jardin de fleurs du temple de Srivilliputtur.

Le dieu Krishna entouré de ses "gopi".

Vishnuchitta, un brahmane, était un ardent dévot du dieu Viṣṇu , dans la petite ville de Srivilliputtur située à soixante-dix kilomètres au sud de Madurai. Il vénérait surtout Krishna avec autant d’amour qu’une mère envers son enfant. Son service quotidien consistait à procurer des guirlandes de fleurs au temple local qui possédait un jardin magnifique.

Un matin, alors qu’il allait cueillir les fleurs, il découvrit un petit bébé fille parmi les plants de basilic (tuļaci, plante sacrée symbolique, importante dans le culte du dieu Viṣṇu). Il n’avait aucune descendance, aussi pensa-t-il que seule la grâce divine lui accordait ce don. Il nomma l’enfant Kodhai (koṭai), ce qui signifie « cadeau » en tamoul, l’amena chez lui et l’éleva dans une atmosphère familiale d’amour et de dévotion.

Chaque jour son père fabriquait les guirlandes de fleurs destinées au culte du temple puis les laissait dans une corbeille, le temps de vaquer à quelque occupation. À son retour, il les apportait au temple et en parait cérémonieusement la statue du dieu en effectuant avec piété le rite approprié. Kodhai grandit dans un amour passionné pour le dieu Krishna, imaginait des jeux où elle était sa fiancée, et, en cachette de son père, elle essayait chaque jour les guirlandes destinées au dieu, regardant dans le miroir si elle ferait une épouse idéale.

Un jour que son père avait laissé les guirlandes prêtes comme à l’accoutumée, il surprit à son retour Kodhai avec les guirlandes autour du cou, s’admirant devant le miroir. C’est bien sûr un sacrilège car les dieux ne doivent recevoir que des offrandes pures ; il ne faut surtout pas porter les guirlandes avant de les offrir au dieu. Vishnuchitta ne put supporter cela et il réprimanda fortement sa fille pour son irrévérence. Kodhai témoigna beaucoup de repentance devant son père et fabriqua de nouvelles guirlandes pour offrir ce jour.

La légende dit que, cette nuit-là, le dieu apparut en rêve à Vishnuchitta et lui demanda pourquoi il s’était débarrassé des guirlandes portées par Kodhai au lieu de les lui offrir. Il lui dit que l’odeur laissée par le corps de Kodhai sur les fleurs lui manquait et qu’il souhaitait continuer à recevoir les guirlandes portées par elle. Submergé d’émotion, Vishnuchitta se réveilla en larmes, partagé entre la joie et le remords. Il réalisa alors à quel point l’amour que sa fille portait au dieu était pur et intense, et que sa grandeur spirituelle était telle que le dieu lui-même réclamait sa présence. À partir de ce jour Kodhai ne fut plus connue que sous le nom de « Andal » (āṇṭāļ), celle qui est reconnue comme maître.

Vishnuchitta avait donné une éducation complète à Andal, en lui chantant des hymnes au dieu Krishna, en lui apprenant toutes les histoires et la philosophie qu’il connaissait et en partageant avec elle sa passion de la poésie tamoule. Andal devint une belle jeune fille et sa dévotion au dieu Viṣṇu était si intense qu’elle décida de ne se marier qu’avec le dieu lui-même, à Srirangam. Cela contrariait son père mais la légende dit qu’il eut une nouvelle vision du dieu, lui enjoignant d’envoyer Andal à Srirangam. Simultanément, le dieu ordonna aux prêtres de Srirangam, dans leurs rêves, de préparer le mariage. Andal, si heureuse d’aller à Srirangam s’unir au dieu, ne put contrôler son impatience. Dès son arrivée au temple, elle courut vers le saint des saints et fut happée par le dieu en qui elle se fondit. Elle n’avait que quinze ans.

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Cette histoire se passe au VIIIème siècle après J. C. et Vishnuchitta est en fait davantage connu sous le nom de Periyalvar, l’un des saints les plus révérés du Tamil Nadu. On dit qu’il était lettré mais qu’il a choisi de vivre au service du dieu dans la ligne du mouvement de la Bhakti, en fabriquant les guirlandes de fleurs pour le temple de Srivilliputtur. Il a néanmoins triomphé lors d’une compétition philosophique entre érudits, prouvant que la dévotion menait à la libération de l’âme, et son poème Tiruppallāṇṭu reste un hymne toujours déclamé.

Andal a composé deux œuvres poétiques exceptionnelles tant dans leur teneur littéraire que dans leur philosophie, leur valeur religieuse et leur style, d’autant plus remarquables qu’elle n’avait que quinze ans quand elle les a écrites. Ces deux chefs-d’œuvre sont le Tiruppavai (tiruppāvai), trente strophes dans lesquelles Andal s’imagine jeune bergère (irātai) parmi les autres, servant le dieu Krishna pour l’éternité et le Nacchiyar Tirumozhi (nācciyār tirumoLi), un poème de cent quarante trois strophes relatant les désirs amoureux d’Andal en attente de Viṣṇu. Le genre érotique de cette dernière œuvre a fait qu’elle n’a pas été encouragée à la diffusion par les vishnouites conservateurs. En revanche, le Tiruppavai est toujours chanté avec ferveur par les femmes, hommes et enfants de tout âge dans toutes les familles et temples vishnouites du Tamil Nadu, spécialement durant le mois de Margazhi (mārkaLi) (décembre-janvier).

Andal est la seule femme parmi les douze Alvar (āLvārkaļ) (poètes religieux vishnouites du Tamil Nadu qui furent actifs entre les VIème et IXème siècles après J.C.), qui forment la contrepartie vishnouite des soixante-trois Nāyanmār (nāyaNmārkaļ) sivaïtes, tous célèbres pour leurs chants dévotionnels perpétuant le courant de la Bhakti.

Andal est davantage souvent considérée davantage comme une déesse que comme une sainte. Un temple lui est dédié à Srivilliputtur, érigé à l’emplacement de la maison de Vishnuchitta- Periyalvar.

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