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Fonnkèr ek saga Germaine : Fami Mélody et Jim Fortuné au Téat sou piédboi

Publié le 2 mars 2009

Entre la place des Cheminots et les docks de la Pointe-des-Galets, le téat sou piédboi ressemble à une petite arène à ciel ouvert. Un rond de gradins comme pou in bataykok et des piédboi qui ferment le cercle en fanant de temps en temps quelques feuilles mortes. A travers le feuillage, la lune i vèy anou. Un samdisoir de septembre 2008, les gradins étaient bien garnis pour Fami Mélody et Jim Fortuné. Des artistes portois pour la plupart, qui sont « tombés dedans » quand ils étaient petits.

Jim Fortuné

L’histoire de la formation Fami Mélody se confond avec la saga de cette famille enracinée à la Rivière-des-Galets. Les générations se relaient autour du roulèr qui a bercé l’enfance. En héritage, ils portent en eux la tradition des bals grillés, bals la poussière. Le flambeau s’est transmis dans la cour intime des kabars, dans la résistance pour nout fonnkèr qu’ils ont rebaptisé avec humour et lucidité « profonnkèr ». Ils ont fréquenté les orchestres de bal et les podiums, ils ont milité et trouvé avec la musique un espace d’expression et d’ouverture sur d’autres cultures.

Aujourd’hui, ils nous offrent un répertoire coloré en tapis mendiant. Océan Indien, Afrique, Jamaïque sont assaisonnés dans la marmite réunionnaise avec une pincée de rythmes latino. Ils ont pris le temps de négocier en douceur le passage délicat entre la convivialité du bœuf artisanal des fêtes familiales ou militantes et l’exigence des scènes grand public. Sans jamais perdre de leur spontanéité. Préservant d’abord ce qui fait leur force : la complicité. Complicité artistique entre sœurs, frères, beau-frère, maris, enfants et même petits-enfants qui dès les premiers pas s’évertuent à entrer dans le cercle musical.

Fami Mélody, c’est donc une histoire de famille. Mais il ne suffit pas de mettre une famille sur un podium pour que l’alchimie artistique produise son effet. Trop facile !

La musique, ils l’ont apprise d’abord à l’oreille. D’abord à l’instinct. Puis, ils l’ont apprivoisée en travaillant, en s’entraînant. Bat roulèr, grat gitar, sokouy kayanm. La musique, ils l’ont cultivée en suivant le chemin tracé par les anciens mais aussi en restant toujours en prise directe avec les musiques de l’océan Indien, les musiques du monde, avec la chanson française, avec l’évolution des sonorités et l’émergence de nouveaux rythmes.

Fami Mélody, c’est un fil rouge, de génération en génération, qui relie le séga-maloya ancestral aux battles des nouvelles cultures urbaines.
Et puis Fami Mélody, c’est un chœur. Voix de femmes. Voix mêlées, qui se tiennent, se répondent, s’enlacent, se complètent de l’aigu au grave pour ne faire qu’une seule. In kerfanm. Fabienne et Miane sont parfois rejointes au micro par Paulette ou Gilberte et ses accents de blueswoman. Les sœurs marient leurs voix avec bonheur. Question d’habitude : elles se parlent avec des regards complices, se comprennent avec des sourires entendus. Le public, sous le charme, est interpellé, invité à entrer dans le rond de cette familiarité. En toute simplicité. Parce que ces artistes-là ont toujours été motivés par une manière de vivre qui les suit jusque sur scène : le partage et la joie qu’il procure.

Les textes de Fami Mélody nous restituent le vécu créole et ses sonorités singulières, ses expressions pleine d’humour et de tendresse, à travers une langue réunionnaise débridée et sensuelle. Leur répertoire s’ouvre aussi sur une poésie-militante déclamée par Fabienne à la mémoire des esclaves. Moment d’émotion avec toujours la musique comme une compagne fidèle.
Pour continuer sur ce chemin où ils réussissent à merveille, les membres de Fami Mélody doivent garder intacte leur fraîcheur en maintenant ce fragile équilibre entre l’entente du cercle fidèle des dalons et l’appel du grand public.

Pour sa part, Jim Fortuné a concocté son menu musical afin de raconter une histoire. Zistoir Jzim (« pas moi », affirme-t-il en riant) ek Germaine. Une saga à rebondissements écrite avec l’humour féroce d’un artiste qui triture la langue réunionnaise aussi bien que sa guitare : attaques sèches, silences, reprises énergiques, pauses, caresses, coups de blues, relents cap verdiens. Férocité sans un brin de cruauté mais malicieuse. Et toujours cette ironie à fleur de peau servie par un sourire transh’papay. La voix puissante tour à tour écorche, s’écorche et sait se faire cajoleuse.

Entre deux chansons, Jim Fortuné alimente le piment de son récit avec quelques paroles bien senties, à double sens, et pousse ses personnages dans le burlesque mais sans jamais les rendre ridicules. Le bon dosage. La bonne mesure. Musique dépouillée où la guitare acoustique est soutenue par de savantes percussions avec une rythmique qui aime les contretemps, qui avance en cadence saccadée, qui sait se faire oublier, qui joue les syncopes et la rupture pour ménager le suspens et donner du relief à la chanson.

Jim Fortuné a vite conquis le public avec ses astuces et sa poésie car même dans l’humour, il déploie avec tact une écriture poétique et nous entraîne là où l’on ne s’y attend pas. Exemple avec cette interprétation de « La vieille Célimène », hommage émouvant à Célimène Gaudieux, plus connue comme la « muse de la Saline » et qui au XIXe siècle tenait une cantine sur le bord du chemin où elle chantait tout en servant les voyageurs. « Cette infortunée créole » comme elle se décrivait elle-même a trouvé avec Jim Fortuné un porte-parole de cœur sur une partition originale. De cœur, il en a été question pour clore cette soirée avec le traditionnel bœuf : in « manger pou le cœur » interprété avec émotion et qui nous rappelle toujours qu’Alain Peters a laissé un grand vide.
Kilé ou mon frèr ?

Nathalie Valentine legros

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