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Le temple Brihadishwara de Thanjavur

Publié le 16 septembre 2009

9e épisode de la série de Dominique Jeantet sur les origines tamoules de l’identité réunionnaise malbar. Le nom de Thanjavur (tañcāvūr), localité du centre du Tamil Nadu dans le delta de la Kaveri, trouve son origine dans un mythe : un très puissant démon nommé Tanjan, descendant du célèbre démon Madhu, rendait l’existence des paisibles habitants invivable. Mais le dieu Viṣṇu et la déesse Lakṣmī, sous les apparences de Thiru Neelamega Perumal et de Anantha Valli Amman réussirent à le mystifier et à l’exterminer. En mourant, le dernier souhait de Tanjan fut que la ville prenne son nom, et ce vœu fut exaucé. Ainsi la ville s’appelle Thanjavur ( tañcāN : Tanjan + ūr : la ville).

Joyau architectural du Tamil Nadu, le temple Brihadishwara de Thanjavur (tañcaip peruvuṭaiyār kōvil) est dédié au dieu Civa. Il date de la période Chola (cōLar) (IXème-XIIIème siècles après J. C.) puis a été entouré d’un mur fortifié au XVIème siècle. Il a été édifié sous les ordres du souverain Rajaraja Chola I et sa hauteur, son élégance, la simplicité de son style le rendent quasi-incomparable. Ce chef-d’œuvre, qui séduira encore plus les historiens et les amateurs d’art que les pèlerins, est classé depuis 1987 au patrimoine de l’Humanité de l’UNESCO dans la catégorie « Les grands temples vivants Chola ».

L’Histoire est gravée sur les piliers et ces inscriptions détaillées donnent une vision fabuleuse de la vie sociale et culturelle à l’époque Chola tout autant qu’elles retracent les conquêtes de Rajaraja Chola I, renseignent sur la composition de son armée et de sa flotte, parlent de sa dévotion religieuse... Les cent huit représentations de figures de danse, sculptées dans le respect des préceptes du Natya Shastra (traité sanskrit des Arts, daté de façon incertaine de 200 avant J. C. à 200 après J. C.), sont pour leur part un trésor de l’art dévotionnel du sud de l’Inde. Quant au mur d’enceinte, il est longé de deux cent cinquante liṅgam (signe de Civa, sculpture de forme phallique dressée sur un yoni (skr.), symbole de la vulve) placés devant des fresques murales d’une richesse absolument exceptionnelle décrivant la vie des dieux et déesses.

Sous la dynastie des Chola, tous les royaumes conquis étaient soumis au versement d’un tribut à l’empereur. Ils ont dû en outre soutenir de leurs contributions l’édification de ce temple à la gloire du souverain.. En seulement six ans Rajaraja le Grand le fit construire avec du granit provenant très probablement des carrières de Mammalai, distantes de cinquante-quatre kilomètres. Les villes étaient tenues de fournir les vaches et les buffles dont on tirait la graisse pour entretenir les lampes du temple, de procurer du camphre, de l’huile de cardamome et d’autres épices pour parfumer l’eau de la toilette du dieu et de mettre à disposition leurs meilleurs spécialistes : des orfèvres, des écrivains, des blanchisseurs, des tailleurs, des potiers, des ébénistes, des musiciens, des professeurs de danse, des surveillants, des comptables, des astronomes... Tous les temples de l’empire ont dû céder au total deux cent douze serviteurs et leurs plus belles danseuses. À côté du périmètre sacré, un quartier fut spécialement construit pour les quatre cents danseuses qui y avaient leur maison.

Une anecdote est rattachée à la construction de ce temple : Alagui, était une femme âgée de Thanjavur, extrêmement pieuse et dévouée aux services religieux. Elle était très humble et n’attendait en retour aucun avantage. Consciente de sa pauvre condition sociale, elle se rendait utile par ses actions généreuses envers le dieu Civa sans penser en tirer un quelconque bénéfice divin. Elle aimait son prochain avec chaleur et affection et considérait que chaque être humain était une manifestation sacrée. Elle n’hésitait jamais à aider les gens, spécialement les dévots, lorsqu’elle le pouvait.

Elle savait bien sûr que le roi construisait un temple imposant pour Civa. Chaque jour elle se rendait sur le chantier et contemplait les sculpteurs, maçons, charpentiers et ingénieurs qui œuvraient aux travaux de construction. Elle enviait leur travail et aurait voulu elle aussi participer à l’élaboration du temple, mais son grand âge le lui interdisait. Alagui était allée observer les travailleurs à différentes heures de la journée et avait remarqué qu’ils étaient fatigués et avaient très soif sous l’ardeur du soleil de midi. Son âme dévouée lui suggéra une idée pour les soulager à ce moment. Elle prit quelques pots de petit-lait qu’elle épiça avec du gingembre, des grains de moutarde, des feuilles de cari (Murraya koenigii) etc., puis alla trouver les ouvriers sur leur lieu de travail et offrit à chacun un verre de cette préparation désaltérante. Ils accueillirent son geste attentionné avec une grande gratitude. La boisson fraîche leur fit beaucoup de bien et ils purent continuer leur travail jusqu’à la fin de la journée sans éprouver de fatigue.

Alagui fit de la sorte chaque jour jusqu’à la fin de l’édification du vimanam (vimāNam) (terme d’architecture de style dravidien désignant la tour qui couronne le sanctuaire le plus sacré du temple : le saint des saints). Elle eut une idée : « Mes amis, j’ai une petite requête à vous adresser. Pourriez-vous exaucer le vœu de la vielle dame que je suis ? ». Les sculpteurs et les maçons étaient tellement reconnaissants de sa gentillesse qu’ils étaient bien naturellement prêts à accéder à tout ce qu’elle pouvait leur demander, aussi leur contremaître dit : « Grand-mère, dites quel est votre souhait, nous y répondrons tous avec plaisir. » Elle demanda : « J’aimerais moi aussi apporter ma contribution au temple. J’ai un énorme morceau de granit dont je ne me sers pas dans ma cour. Je pense qu’il pourrait vous être utile pour orner le sommet du vimāNam . Pouvez-vous vous charger du transport de cette pierre et l’utiliser comme dôme ? Cela me ferait vraiment plaisir. » « Cela sera fait aujourd’hui même. » répondit le contremaître. Il alla chez Alagui avec un groupe de ses ouvriers, trouva la pierre bien appropriée ; ils l’apportèrent au temple, la ciselèrent et, en temps voulu, la hissèrent à la cime de la tour.

La construction du temple était finie et les prêtres du roi fixèrent une date de bon augure pour la cérémonie de consécration du temple. Le roi, bien sûr, vint procéder à l’état des lieux le jour précédent et fut très content du résultat. C’était pour lui une fierté naturelle d’avoir été élu par le dieu Civa pour être le grand maître d’œuvre de cette splendeur architecturale. Il trouva que tout était en ordre et donna les instructions de dernière minute à ses ministres pour la cérémonie de consécration du lendemain puis retourna dans son palais.

Durant la nuit le roi eut la vision du dieu Civa qui lui dit : « Mon roi, je suis heureux de trouver refuge dans le Grand Temple grâce à la vieille dame Alagui. » Le roi s’éveilla en pouvant à peine en croire ses oreilles. Le Grand Dieu, logeant dans l’abri de la vieille dame ! Impossible ! N’est-ce pas lui qui avait construit le temple ? La conception du temple, son plan en entier, l’intendance de toutes les ressources, humaines et matérielles, son érection et sa finition...c’était son œuvre et celle de personne d’autre. Aucune vieille femme n’avait à y voir quoi que ce soit. Et pourtant si le dieu Civa lui-même l’avait dit c’est que c’était vrai.
En toute humilité, le roi vint au temple et essaya de trouver une vieille femme qui aurait eu un rôle à jouer dans sa construction. Mais personne ne correspondait à ce profil. Il envoya ses ministres enquêter et, après des recherches minutieuses, ils entendirent parler d’Alagui qui avait distribué chaque jour du petit-lait rafraîchissant aux ouvriers pendant toutes les années de la construction du temple. Le roi prit alors conscience que cette action, modeste mais si charitable, avait tellement plu au dieu Civa qu’il se sentait accueilli par cette vieille femme dans le temple. Les mains jointes, Rajaraja Chola I alla chercher Alagui dans son humble paillote, l’amena au temple et l’honora en public avant de commencer la cérémonie de consécration du temple.

Les gens furent frappés d’étonnement quand ils réalisèrent combien le dieu Civa avait attaché d’importance à l’action si simple d’Alagui mais celle-ci, aussi discrète que d’habitude, s’inclina devant le dieu qui avait témoigné de la reconnaissance pour son insignifiant service. Elle passa le restant de ses jours au temple parmi les serviteurs du dieu.

Le vimāNam comporte treize étages et est surmonté d’un bloc de granit de quatre-vingt tonnes (la pierre de la cour d’Alagui ?). Sa hauteur de soixante-six mètres fait qu’il dépasse les gopura (skr.) (tour d’entrée) et cette particularité architecturale hors norme inspire un sentiment d’ascension au pèlerin qui pénètre dans le temple. L’énigme posée par le transport d’un dôme monolithe si lourd jusqu’au sommet de la tour a deux explications. La première est que, d’après une tradition locale, la pierre aurait été apportée au moyen d’une longue rampe de bois inclinée depuis un village nommé Sarapallam (cāram : l’échafaudage + paļļam : dénivellation) distant de six kilomètres (et dont on ne dit pas s’il correspond au lieu où était situé la paillote d’Alangui...). La seconde interprétation est qu’on aurait entouré le vimāNam d’un rempart de terre portant une route en spirale qui atteignait le sommet de la tour et que des éléphants auraient hissé le monolithe sur des chemins de bois. À l’intérieur du vimāNam se trouve un monumental liṅgam taillé dans un monolithe de près de huit mètres de haut.

Le temple offre dès le gopura principal franchi, un sanctuaire à Nandi (monture de Civa), majestueux taureau logé dans son propre maṇḍapa (skr.) (pavillon à piliers). Cette représentation de Nandi est un bloc monolithique de quatre mètres de haut, cinq mètres de long et pesant vingt-cinq tonnes. Une légende raconte que l’imposant Nandi, allongé sur son socle de pierre dans son maṇḍapa, ne cessait de croître année après année après son installation par Rajaraja Chola I et que, pour l’empêcher de grossir, il a fallu le fixer à l’aide d’un clou enfoncé à l’arrière de son dos.

Le temple de Brihadishwara, modèle d’architecture de style dravidien, se singularise également par la présence de statues grandeur nature des dieux gardiens des huit directions (aṣṭa dik pālaka) (skr.) : Indra (est), Varuna (ouest), Agni (sud-est), Isana (nord-est), Vayu (nord-ouest), Niruthi (sud-ouest), Yama (sud) et Kubera (nord).
Attraction du site, un éléphant, gardien du temple, est élevé et vit sur le lieu ; son corps est décoré de motifs symboliques traditionnels à la farine de riz. L’accès à l’entrée est encouragé par le don d’une piécette de monnaie à l’éléphant qui l’attrape et adresse en échange une bénédiction au donneur, en lui tapotant le dessus du crâne avec sa trompe.

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