Publicité

Les clavicules de Salomon

Publié le 19 août 2018

Un extrait de l’ouvrage « Pirates de l’océan indien » de Charles-Mézence Briseul et Emmanuel Mezino paru en 2017 aux éditions Feuille Songe. Charles de La Roncière.


Salomon aurait laissé à son fils Roboam un testament que des rabbins auraient gravé sur des écorces d’arbres et que l’un d’eux, Abognazar, aurait traduit d’hébreu en latin. C’est du moins ce que racontait en 1624 l’archevêque d’Arles, Mgr Jaubert de Barrault, qui mit le texte « en langue vulgaire » — je veux dire en français —, pour le publier sous le titre : Les Clavicules de Salomon. Que disait Salomon à son fils ? « Je ne désirois que le don de sapience et, par la bonté du grand Dieu, j’obtins par surcroît la jouissance de tous les trésors célestes et la connaissance de toutes choses naturelles. C’est, mon fils, par ce moyen que je possède toutes les vertus et richesses dont tu me vois jouir à présent. »

Des signes cabalistiques, dans des cercles magiques, devaient contraindre les esprits à obéir à qui les conjurait. C’étaient là Les Clavicules de Salomon, « les petites clefs » que cherchait la lectrice pour déchiffrer le cryptogramme où un forban indiquait le gîte d’un trésor.

Rappelez-vous Le Scarabée d’or d’Edgar Poe. À la chaleur de la flamme, des mots écrits à l’encre sympathique ont soudain apparu sur un parchemin. Ils révèlent l’existence d’une cachette, qu’on découvrira après maintes péripéties. Dans une île déserte, un vieux nègre monte à la cime d’un tulipier. Un crâne est cloué sur la dernière branche. Par l’orbite de l’œil gauche, Jupiter laisse pendre le fil qui tient le scarabée d’or. Du point où est tombé l’insecte, il déroule un ruban qui mesure cinquante pieds ; à l’extrémité du ruban, il creuse avec son maître une fosse profonde.

Et, tout à coup, un énorme coffre, bardé de lames de fer, apparaît. Les verrous poussés, un éblouissant amas d’or et de pierres précieuses, de bijoux, de montres, de boucles d’oreilles et de vases précieux, resplendit comme un soleil au fond d’un trou sombre comme la nuit.

Les caractères du cryptogramme s’apparentaient aux signes cabalistiques des Clavicules de Salomon. Plusieurs d’entre eux, angles droits, rectangles, doubles angles droits, etc., figurent parmi les Sceaux des Anges et des Éléments. Le triangle inscrit dans le Pentacule de Saturne a pu inspirer aussi le A du cryptogramme : « Ce Pentacule, était-il dit dans Les Clavicules, donne la force de contraindre les gnomes, qui sont des esprits terrestres, à se rendre obéissants en cas de refus : il sert aussi pour l’augmentation des biens de la fortune. Il se fait au mois de juin, environ
le 20, aux jour et heure de Saturne, sur un morceau de peau d’âne écrit avec la plume d’oye. Il se peut faire aussi sur du plomb. »

Ici, dans l’île mystérieuse, il fut gravé sur la pierre. Et c’est ce pentacule inséré dans le cryptogramme qu’il s’agit de tourner, de « virer » pour découvrir le trésor.


Le trésor caché

Au Scarabée d’or, substituez Les Clavicules de Salomon, et vous aurez une idée de l’intérêt qu’y attachait la lectrice de la Bibliothèque Nationale. Voici ce qu’elle savait :

Dans certaine île de l’océan Indien, qu’on me permettra de ne point préciser tant que le trésor ne sera pas découvert, la propriétaire d’un terrain voisin de la mer n’avait pas été peu surprise de voir surgir tout à coup du sein des flots, lors du reflux des grandes marées, ou du sol, lors de la chute de grands arbres, des sculptures et des gravures rupestres d’origine inconnue.

En mer, face au rivage, était ciselée la tête d’un homme endormi, qu’accompagnaient, à distance, deux serpents, une urne et un cœur de scorpion. À terre, une tortue sculptée à ras du sol semblait vivante. En relief sur une roche, une tête de serpent se dressait au-dessus d’une femme de pierre, une jolie femme en chignon, à la taille fine et au cou bien attaché. Et on se plaisait à y voir Andromède délivrée d’un monstre par Persée, quand, non loin de là, on apercevait l’œil d’un monstre. Un chien de chasse, patte levée, évoquait Sirius, et un chien turc au gros ventre rappelait Phocyon, qui rampe dans le ciel. Un museau de cheval évoque à peu près le Sagittaire. Avec l’Ourse, le Taureau…, la voûte céleste était dessinée ou sculptée sur les rochers du sol.

Soudain, fut projeté sur cet énigmatique assemblage un faisceau de lumière. Près de l’Œil du monstre, on exhuma trois corps : deux d’entre eux, couchés dans des cercueils, portaient un anneau d’or à l’oreille gauche, comme l’habitude en était fréquente chez les marins. Le troisième corps était enfoui à même le sol, la face contre terre, la jambe en l’air, sous un amas de pierres. Connaissant la coutume des flibustiers de fracasser le crâne d’un coupable, on pouvait reconstituer le drame. Deux d’entre eux avaient été assassinés ; et le troisième, le meurtrier, avait été exécuté.

Donc, les flibustiers avaient séjourné dans l’île. Avisé de la lugubre découverte, le notaire de l’île déclara à la propriétaire du terrain : « C’est chez vous qu’est le trésor du forban. Voici de quoi en trouver le gîte. » Et il lui remit deux documents, un cryptogramme entre autres, dont le déchiffrement ne pouvait s’achever qu’avec les caractères sibyllins des Clavicules de Salomon.

Les Clavicules de Salomon étaient fort à la mode au xviie siècle. Flacourt leur comparait les talismans dont usaient les indigènes de Madagascar, charmes auxquels ils attribuaient une vertu très grande, lorsque les formules cabalistiques étaient écrites avec de la poudre à canon trempée dans l’urine. Quoi d’étonnant dès lors à la présence des Clavicules à bord d’un navire forban de l’océan Indien, surtout quand on sait l’importance qu’avait pour les navigateurs la recherche du pays
d’Ophir, où les flottes de Salomon allaient embarquer des cargaisons d’or.

Lire la suite : Le cryptogramme du forban La Buse


Commander le livre Pirates de l’océan Indien aux éditions Feuille Songe

Publicité