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Terry Grimoire, entrepreneur engagé - retour à la Réunion

Publié le 21 août 2023

« Je veux montrer aux jeunes réunionnais que l’on peut être noir, créole et pauvre et tout de même s’en sortir. Que tout est à portée de main quand on s’en donne les moyens... » Portois originaire d’une famille nombreuse et modeste, Terry Grimoire décide de rentrer à la Réunion après ses diplômes et des expériences dans plusieurs pays. Il crée « Le Grimoire Numérique » avec un objectif : accompagner les petites entreprises locales dans leur transition numérique.

Présentation du projet barket.re lors du Startup Weekend 2023 : un projet pour mettre en avant les restaurateurs locaux

Pouvez-vous vous présenter ?

Terry Grimoire, 28 ans, je suis originaire du Port. Je viens d’un milieu modeste, troisième membre d’une famille nombreuse de six enfants. J’ai fait des études en banque, finance, assurances et aujourd’hui, je suis entrepreneur. J’ai créé mon entreprise fin 2022, à mon retour à la Réunion : Le Grimoire Numérique. J’accompagne les petites entreprises dans leur transition numérique.

Racontez-nous votre parcours.

Depuis mon plus jeune âge, j’ai appris à m’en sortir par mes propres moyens. Alors que je vivais avec ma famille en métropole, ma mère a perdu son entreprise suite à la crise de 2009. La famille a été contrainte de rentrer en urgence à La Réunion : six enfants et un nourrisson (ma nièce) entassés dans une chambre de 20 m2. Pendant deux ans, on n’a pas mangé à notre faim ; on vivait dans des conditions très précaires, sans eau courante. La journée j’étais lycéen et le soir maçon. Je construisais ma maison pendant que mes camarades faisaient leurs devoirs... Mais cette période m’a forgé, m’a poussé à partir et à m’élever socialement.

Lire en fin d’article : Nantes, Valence, Leipzig, Vienne, Montréal, Lisbonne... les étapes du parcours de Terry

En Espagne avec ma soeur

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion à 28 ans ?

Plusieurs choses m’ont poussé à rentrer. Déjà, j’ai envie d’aider les petites entreprises locales à grandir et à prospérer. Mais il y a aussi mon expérience à Lisbonne. Lisbonne, c’est une ville complètement envahie de touristes et de « digital nomads ». La situation est telle que les Portugais et Lisboètes ne peuvent même plus vivre dans cette ville, ni dans les villages alentour. Le prix d’une chambre en colocation est plus cher que le salaire minimum portugais. Le phénomène de gentrification s’est accentué depuis la pandémie et ce partout dans le monde. J’ai vu les prix des loyers augmenter un peu partout et j’ai vu que La Réunion n’était pas épargnée par ce phénomène. J’ai voulu rentrer maintenant parce que j’avais peur de ne plus en être capable financièrement plus tard.

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L’autre raison, c’est que tout au long de mon parcours scolaire et professionnel, j’ai subi des discriminations dues à ma couleur de peau. Pendant longtemps, je me suis voilé la face, je ne voulais pas admettre que c’était des discriminations. Mais depuis que je partage ma vie avec un zorey, je suis aux premières loges pour constater la différence de traitement entre blancs et noirs : à l’Université, au travail, chez le dentiste et même à l’hôpital… C’est effarant.

Dans quelles conditions s’est déroulé votre retour sur l’île ?

Très spontanément : j’ai pris mon billet, j’ai appelé ma famille pour savoir si je pouvais être hébergé chez eux le temps de trouver un logement et j’ai sauté dans l’avion ! Mon retour s’est très bien déroulé. J’ai retrouvé ma famille, mes amis, mon île, ma culture… Que demander de plus ? J’ai eu la chance de trouver un logement rapidement ; j’ai cherché nuit et jour, j’ai passé beaucoup d’appels et je suis tombé sur une propriétaire sensible à mon projet et à mon parcours. Je sais que j’ai eu beaucoup de chance. C’est malheureusement quelque chose de très compliqué aujourd’hui à La Réunion...


Avez-vous eu des difficultés (professionnelles ou autres) à vous réinstaller ?

Pas spécialement. Il faut bien s’entourer, c’est ça le secret, se rapprocher de sa famille et de ses amis et profiter de leurs réseaux. La Réunion, ça marche comme ça ! Il faut connaître quelqu’un qui connait quelqu’un et ça facilite la vie. Aujourd’hui, cela fait six mois que je suis rentré. Heureux d’être de retour, je suis enfin chez moi et j’ai bien l’intention d’y faire mon nid douillet. Avec mon entreprise « Le grimoire numérique », je veux participer au développement économique, social et digital des petites et moyennes entreprises réunionnaises, les accompagner de mon mieux à chaque étape de leur transition numérique.

En quoi consiste votre travail ?

Je travaille avec les petites entreprises et les associations de La Réunion. Je les aide à développer leur communication pour les rendre plus visibles sur internet. Je travaille beaucoup avec les restaurateurs qui ont besoin d’être accompagnés à ce niveau. Il est encore difficile de trouver un restaurant un lundi ou un dimanche soir, ou de connaître son menu à l’avance. L’idée, c’est d’aider nos snack-bars, nos restaurants familiaux qui mettent en avant notre culture culinaire à être plus visibles et à communiquer davantage (menu, horaires, fermeture/ouverture jours fériés, moyen de paiement acceptés, etc.). Nos snack-bars, tiboutik ou autres petits commerces sont les gardiens de notre identité créole. Ils représentent notre façon de vivre, ils mettent en lèr notre patrimoine culinaire et linguistique car c’est dans ces commerces qu’on parle le plus créole. En ce sens, mes sites internet sont systématiquement traduits en français et en créole.

Avec Mamy, pâtissière dyonisienne en difficulté à qui Terry a offert un site web. "J’ai toujours été éduqué avec l’idée que kréol lé solidèr et j’ai voulu participer à mon niveau pour offrir à ce commerce une chance d’éviter la faillite"

En tant que Réunionnais expatrié de retour sur son île, avez-vous ressenti un « avantage concurrentiel » ?

Ayant grandi une grande partie de ma vie en France, mon accent créole est un peu rouillé et c’est selon moi un désavantage ! N’en déplaise à certains, à la Réunion on parle créole et pour moi c’est important ! Heureusement, ça revient vite. Mais le plus important c’est mon expérience. Pendant plus de cinq ans, j’ai travaillé dans le secteur financier. Mon expérience professionnelle va du grand groupe américain, processeur de paiement pour les petites et moyennes entreprises du Québec à la plateforme européenne spécialisée dans la cryptomonnaie et les NFTs. J’ai également travaillé dans les banques traditionnelles françaises et allemandes. Ces expériences me permettent aujourd’hui de proposer à mes clients non seulement un site internet solide et sécurisé, mais également des services d’aide à la négociation auprès de leurs partenaires bancaires et financiers.

Quels sont les points de satisfaction / déception devotre retour ?

En tant que gay, j’avais quelques appréhensions à l’idée de revenir à la Réunion et vivre pleinement mon homosexualité. Mais force est de constater que les choses changent et c’est vraiment agréable. Le point noir, c’est la circulation sur l’île qui me paraît de pire en pire. Les embouteillages sont de plus en plus nombreux. Je déplore le manque d’alternatives à la voiture. J’ai essayé de prendre le car jaune mais même avec toute la volonté du monde, la voiture reste indispensable à la Réunion…


Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Chaque changement de pays est une expérience et on apprend toujours d’une expérience, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Les moments difficiles et de galère nous forment et nous font grandir sur plein de choses. Mon regard a changé sur le monde au fil du temps et c’est clairement grâce aux voyages. Il n’y a pas qu’une seule façon de faire les choses et peut-être que notre façon de faire n’est pas la meilleure. Mais ça, on ne peut pas le savoir tant qu’on ne va pas voir comment ça se passe ailleurs.

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Je ne serais pas arrivé là si je n’avais pas connu les échecs de ma vie. C’est en ayant connu la misère que j’ai décidé de tout faire pour en sortir. C’est en ayant raté mon installation aux Pays-Bas, que j’ai vécu ma meilleure expérience à l’étranger (en Autriche). Les meilleures expériences que j’ai eu dans ma vie, c’est parce qu’avant j’avais essuyé un échec. Donc il ne faut pas avoir peur de tenter, il ne faut pas avoir peur de se rater. Prenez toutes les expériences que la vie vous offre. La réussite se cache souvent derrière un échec…

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

Le premier conseil que je donnerai, c’est de foncer ! Plus le temps passe et plus c’est difficile de trouver un logement à La Réunion. Donc il ne faut pas attendre que les prix deviennent inaccessibles. L’autre conseil, c’est de ne pas négliger le réseau et de commencer à réseauter même avant de venir. Ça peut se faire via les groupes Facebook, sur Linkedin ou n’importe quel autre réseau.


+ d’infos sur : https://grimoire-numerique.re


Nantes, Valence, Leipzig, Vienne, Montréal, Lisbonne... les étapes de mon parcours :

J’ai commencé mes études à Nantes et j’y suis resté deux ans. Je ne voulais pas laisser mon statut social déterminer mon avenir et mes ambitions, je me suis battu pour m’en sortir. Ma détermination et mon acharnement ont fini par payer. J’ai ainsi pu étudier pendant deux ans en Espagne, à l’Université de Valence afin d’obtenir un double diplôme français / espagnol en analyse et politique économique. Ce qui m’a donné goût aux voyages…

Avant de finir mes études, j’ai voulu faire une pause et je suis allé travailler en Allemagne, à Leipzig. J’étais gestionnaire d’incidents dans une start-up spécialisée dans les paiements sans contact avec le téléphone portable. Ensuite, je suis rentré à La Réunion parce que je voulais absolument finir mon parcours scolaire là où je l’avais commencé : chez moi. J’y ai fini mon Master 2. Suite à cette année, je me suis rendu en Autriche, à défaut d’avoir réussi à m’installer à Amsterdam. Ce qui de base était un échec pour moi s’est avéré être la meilleure expérience que j’ai vécue ! J’y ai travaillé en tant que « customer and community manager » dans une start-up spécialisée dans la cryptomonnaie. L’ambiance était géniale ; j’ai appris l’allemand, j’ai découvert un monde totalement différent et ce fut vraiment de très loin mon meilleur voyage !

Après l’Autriche, je suis allé vivre au Québec, à Montréal dans le cadre d’un PVT (Visa vacances travail). J’y suis resté quasiment deux ans. J’aidais les petites et moyennes entreprises du Québec à entrer dans le numérique en acceptant de nouveaux moyens de paiement. L’hiver était dur, parce qu’en plus des températures super basses (-27 degrés), j’ai aussi vécu la pandémie au Québec et le moins qu’on puisse dire, c’est que les Québécois sont très stricts. Toutes les contraventions en rapport avec la pandémie étaient de 1500$, non négociable.

Suite au Québec, j’ai décidé de me former et de changer de métier. J’ai suivi une formation intensive à Lisbonne au Portugal pour devenir développeur web. Mon but était de revenir à La Réunion et d’aider les créoles à se rendre plus visibles et à mieux communiquer sur le net...


Pour aller plus loin :
+ de portraits « Spécial Retour »
- Les opportunités d’emplois à la Réunion

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