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Une œuvre littéraire tamoule majeure : Le Silappadikāram de Ilango Adigal

Publié le 9 octobre 2009

Par Dominique Jeantet. Ilango, deuxième fils du roi Chera (cēra) Athan II dit Vāna-Varmman et de Sonai (fille de Karikal Chola), est né à une date qui ne peut être donnée avec précision mais que l’on situe au début du IIème siècle après J. C. On dit qu’un jour, un sage prédit au couple royal la mort prochaine du roi et que leur fils cadet présentait tous les signes de devenir souverain...

... Afin de laisser le trône à son frère aîné Sengudduvan alias Imaya-varmman, Ilango choisit de devenir moine-ermite de religion jaïn (Adigal dénommant un ascète jaïn en tamoul). Poète, il a contribué à la création du Silappadikāram (cilappatikāram), l’une des cinq épopées de la littérature tamoule, dont trois seulement sont parvenues jusqu’à nous. Il semble être établi qu’Ilango Adigal (iļaṅkō aṭikaļ) a écrit le Silappadikāram puis que l’œuvre a été remaniée et augmentée par la suite et que donc son écriture s’est développée du IIème au VIIIème siècles.

Il semble être aussi fondé qu’Ilango Adigal était un contemporain de Seethalai Saathanar, l’auteur du Manimekalai (autre épopée littéraire faisant suite au Silappadikāram). Une hypothèse émise est qu’Ilango Adigal ait imaginé un début au Manimekalai, et écrit le Silappadikāram à la façon d’un roman historique.

Une anecdote dit que le roi Sengudduvan, accompagné de son frère Ilango Adigal et d’un ami poète, allèrent se promener près de la rivière Periyaru où le paysage est magnifique. Dans les villages environnants, le roi entendit alors parler d’une femme avec un seul sein, qui avait fait pénitence sous un arbre Vengai, sans manger ni boire pendant quinze jours et qui était morte. Intrigué et ému par cette histoire, le roi voulut avoir davantage de détails et son ami le poète lui apprit qu’il s’agissait de Kannaki, vénérée comme la déesse de la chasteté dans les villages. Il lui raconta l’histoire qui mena à cette tragédie et le roi demanda à Ilango Adigal d’écrire l’histoire de Kannaki afin que son nom soit perpétué pour le bienfait de l’humanité.

L’histoire du Silappadikāram se passe durant les premiers siècles de notre ère et Ilango Adigal y présente les trois royaumes tamouls Chera (cēra), Chola (cōLar) et Pāndya (pānṭiyar) en décrivant la société cosmopolite tamoule de cette époque dans une perspective pacifique.

Kōvalan, un riche marchand de Pukār (pukār ou kāvirippūmpaṭiNam), la capitale Chola, est marié à la renommée Kannaki et tous deux vivent très heureux. Mais lorsque la belle actrice Mādhavi vient donner un récital de danse à la cour du roi, Kōvalan tombe sous le charme de sa beauté, de son prestige et de ses talents artistiques. Il quitte Kannaki et part vivre une vie rangée avec Mādhavi qui lui donnera une fille, Manimekalai. Cependant, au fil du temps, Kōvalan devient jaloux de la séduction que suscite Mādhavi à chacune de ses apparitions publiques. De plus, il a dépensé tout son argent pour la choyer. Il retourne vers Kannaki qui le reçoit avec amour et ils décident d’aller s’établir à Madurai, la capitale Pāndya pour y refaire fortune. Kannaki possède une paire de bracelets de chevilles emplis de rubis, qu’elle suggère de vendre pour commencer de vivre. En arrivant à Madurai, Kōvalan se rend donc chez un orfèvre avec l’un des deux bracelets de Kannaki. Ce joailler, qui avait déjà volé un bracelet à la reine, voit ce superbe bijou et profite de l’occasion pour faire accuser Kōvalan du vol. Sans enquête préalable, les soldats du roi viennent appréhender Kōvalan et le décapitent.

À l’annonce de cette nouvelle, Kannaki désespérée entre en fureur et va défier le roi en lui apportant son deuxième bracelet pour prouver l’innocence de son mari : son bracelet contient des rubis alors que celui de la reine contient des perles. Réalisant son erreur de jugement, le roi meurt sur le coup et la reine peu après. La rage de Kannaki ne s’éteint pas ; elle coupe l’un de ses seins et le jette dans la ville en la maudissant d’ un incendie ravageur qui brûlerait tout à l’exception des brahmanes, des ascètes, des vaches, des femmes chastes, des personnes âgées, des infirmes et des enfants. La cité de Madurai brûle. La déesse de la ville apparaît alors devant Kannaki, lui fait entendre raison et Kannaki retire son sort. Le feu cesse et Kannaki, affaiblie par la perte de sang occasionnée par l’amputation de son sein, part au royaume Chera, s’assoit sous un arbre sur une colline pour faire pénitence et meurt au bout de quinze jours. Pendant ce temps, la nouvelle de la mort de Kannaki se répandit dans tout le Tamil Nadu. Elle fut élevée au rang de déesse, des temples furent érigés et des festivals créés en son honneur. Kannaki devint la déesse de la loyauté féminine conjugale et de la chasteté.

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Le Silappadikāram contient trois livres (livre de Pukār, livre de Madurai, livre de Vanji) subdivisés chacun en plusieurs chants, le tout formant un total de 5270 vers libres.

C’est dans le prologue de l’ouvrage, Ilango Adigal énonce les trois objectifs du Silappadikāram : la loi divine punira les rois qui s’écartent du droit chemin ; une femme chaste sera révérée par tous ; les actes passés et présents de chacun seront rétribués inévitablement.
Les caractéristiques remarquables de cette œuvre sont tout d’abord l’équanimité d’Ilango Adigal, sans prosélytisme aucun, devant toutes les questions religieuses, sociales et politiques. Le statut de la femme et la valeur de la chasteté sont mis en valeur et l’art et la culture, spécialement la danse et la musique, sont décrits avec une précision extrême. Les sentiments humains sont dépeints avec exaltation et nous touchent profondément grâce au talent poétique de l’auteur. L’élévation de la femme chaste au rang de déesse fait aussi du Silappadikāram une épopée magistrale.

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