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Adèle Hoarau : « Nou lé pas plus, nou lé pa moin »

Publié le 18 août 2020

Étudiante à Sciences Po, elle a créé l’association « De la Réunion aux Grandes Ecoles » pour inciter les jeunes à briser le plafond de verre. Interview.


Pouvez-vous vous présenter ?

Adèle Hoarau, 19 ans. Après avoir passé la majorité de ma vie dans l’Est, j’ai quitté l’île à 17 ans à l’issue de mon Bac au lycée Levavasseur. Ce départ a été difficile en raison de mon attachement à la Réunion. Bien qu’admise à Sciences Po, cette école représentait encore pour moi une institution lointaine, élitiste, voire inaccessible...

Comment avez-vous fait ?

J’ai sollicité l’aide de beaucoup de personnes à La Réunion (professeurs, professionnels…) pour préparer le concours de Sciences Po Paris en 2018. J’ai été admise sur le campus de Reims (programme Europe-Afrique) avec grande joie. L’expérience de la mobilité m’a appris énormément, d’abord sur moi-même. Elle m’a permis d’avoir une ouverture sur le monde mais aussi d’acquérir des connaissances et une expérience unique de l’engagement. En rejoignant Sciences Po, j’ai en effet souhaité comme tout étudiant participer à la vie associative du campus. C’est ainsi que j’ai rencontré à Reims des étudiants animés par la même volonté de valoriser leurs territoires en permettant un meilleur accès des lycéens de leur région d’origine aux grandes écoles.

Cette initiative nationale s’appelle “Des Territoires aux Grandes Écoles” et je la voyais comme un moyen de ne pas oublier d’où l’on vient. J’ai donc décidé d’ouvrir la première branche ultramarine de l’association, celle de La Réunion. Entrer dans la boucle nationale était essentiel pour montrer qu’à La Réunion, nous rencontrions les mêmes problématiques d’égalité des chances que les régions rurales, voire plus amplifiées étant donné l’éloignement supplémentaire de notre île…

Intervention dans un lycée de la Réunion

De La Réunion aux Grandes Écoles est donc une réaction face à cette situation puisque nous nous engageons notamment à accompagner les lycéens réunionnais avant, pendant et après leur intégration en grande école. Il me semble rassurant de pouvoir être accompagné dans une voie qui nous semble inaccessible en raison de l’autocensure et de l’éloignement. De La Réunion aux Grandes Écoles est une association loi 1901 créée dans le but de fédérer et d’animer une communauté d’étudiants et de diplômés de tout âge qui souhaitent agir en faveur de l’égalité des chances et du développement du territoire réunionnais. Le siège social se trouve à Sainte-Suzanne, là où j’ai grandi.

Quelle est l’image de La Réunion là où vous vivez ?

En plus de l’éloignement de la famille, compliqué à vivre pour nous, certains stéréotypes collent à la peau. Dans le milieu que j’ai fréquenté, l’image est souvent celle d’une île exotique, “une colonie”, “très lointaine” avec des “attaques de requins récurrentes”. La phrase la plus fréquente serait “la Réunion, c’est pas aux Antilles ça ?”. D’autres étaient cependant très ouverts à l’idée de découvrir les thématiques importantes de notre île et m’écoutaient avec grande attention. La réalité réunionnaise, c’est celle d’une jeunesse souvent tiraillée entre la volonté de partir et de rester. Autrement dit, entre l’idée du nécessaire départ pour réussir et le retour pour participer à la construction du territoire...

Réunion d’équipe en juillet 2020 profitant pour certains des vacances sur l’île

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de La Réunion ?

Il y a encore à faire pour l’améliorer… La Réunion n’est pas uniquement une belle région ensoleillée toute l’année mais il y a aussi beaucoup potentiel de la part de sa population. Beaucoup de Réunionnais sont brillants, pourtant j’ai cette impression que peu d’initiatives existent encore pour la jeunesse. Notre association est là pour montrer que nous aussi, nous sommes capables de réaliser des parcours d’excellence, que nous aussi nous avons cette légitimité et cette capacité à entrer dans des filières sélectives, souvent perçues comme inaccessibles. Nous voulons montrer que ni notre origine ou ni notre milieu social ne déterminent notre orientation scolaire. Je trouve cela fondamental dans une époque où beaucoup de jeunes réunionnais à l’université ne savent pas réellement ce qu’ils veulent faire et enchaînent les redoublements. L’objectif de La Réunion aux Grandes Écoles est aussi de fédérer les jeunes réunionnais conscients de l’importance du retour au territoire pour son développement socio-économique.

Quels sont vos projets ?

Tout d’abord, promouvoir l’accès aux grandes écoles pour les étudiants réunionnais n’ayant pas forcément les moyens ! Nous avons eu l’opportunité d’accompagner plusieurs étudiants cette année grâce à nos interventions et notre aide, notamment Harry Boyer, Gwenaelle Hoarau, qui vient du Chaudron et bien d’autres... Notre objectif est d’aller plus loin en accompagnant à long terme les jeunes que nous avons aidé avec un dispositif de bourse. Tous les jeunes indépendamment de leur origine sociale doivent pouvoir accéder aux grandes écoles. Il est nécessaire que les lycéens brillants de l’île, même s’ils ont été scolarisés toute leur vie dans des lycées classés REP, aient accès aux grandes écoles.

Avec Laurence Akossi, marraine de l’association

C’est pour cela que nous voulons développer notre site internet, la première ressource digitale spécifiquement destinée à cette cause. Ce site web par le biais de fiches, ressources, conseils, portraits… permettra aux lycéens de se projeter et de s’inscrire à notre système de parrainage pour être accompagné tout au long de l’année dans leur orientation (oraux blancs, aides pour CV, lettres de motivation…). Ce site sera également une interface pour les professeurs, proviseurs et principaux souhaitant se renseigner et nous poser des questions sur notre parcours.

Et ensuite ?

La deuxième étape consiste à inciter ces étudiants à retourner sur le territoire afin de permettre une mise en valeur du territoire. Fédérer les jeunes étudiants et diplômés et créer un véritable tissu économique nous permettra de promouvoir la création de nos propres écoles ou universités à La Réunion. Nous avons déjà commencé notamment avec la signature de partenariats avec l’entreprise Pharmar, qui nous accompagne financièrement pour le dispositif de bourses que nous voulons mettre en place, et l’école HEDECI créée par Laurence Akossi, première école de hautes compétences internationales à La Réunion qui fait revenir des parcours d’excellence sur le territoire. Nous avons pour projet d’aider les entreprises et les écoles avec qui nous signons des partenariats, en leur faisant bénéficier de la fédération de diplômés réunionnais adhérents à notre association.

Les décideurs locaux sont-ils sensibles à votre discours ?

Nous avons pu rencontrer quelques personnalités dans le cadre de notre activité, notamment l’ancien recteur de l’Académie de La Réunion, le Professeur Vêlayoudom Marimoutou, le service Jeunesse de la Région Réunion et nous rencontrons le Département prochainement pour entamer un partenariat plus concret avec cette institution. Mais nos principaux contacts demeurent les étudiants réunionnais en grande école (Warwick, écoles d’ingénieur, prépas, IEP...) ainsi que les lycéens et professeurs intéressés par notre initiative. Notre marraine Laurence Akossi, est le lien verbal de notre association lors de ses interventions dans les établissements de l’île pendant que nous sommes en Hexagone dans le cadre de nos études.

Convention signée avec Pharmar - Rencontre avec Ericka Bareigts

Nous avons eu également la chance d’être sollicités par Madame la Maire, Ericka Bareigts, qui nous a notamment félicités pour l’admission de Gwenaelle Hoarau et d’autres terminales dans les filières de leur choix grâce à notre accompagnement. Cela a été l’occasion d’aborder des questions d’éducation importantes comme l’accès des jeunes réunionnais aux grandes écoles, le retour de ces diplômés au pays et l’embauche locale. De La Réunion aux Grandes Écoles a signé des conventions avec quatre lycées dyonisiens pour accompagner les élèves dans leur accès aux filières sélectives souvent perçues comme inaccessibles.

Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à La Réunion ?

Le sentiment d’avoir la possibilité de pouvoir changer certaines problématiques sur le territoire. Nous sommes encore une jeune association mais à long terme nous comptons devenir le pilier d’un nouveau tissu économique réunionnais. Revenir à La Réunion nous permettrait de resserrer les liens entre les diplômés et le tissu économique local afin que le territoire profite du dynamisme provenant de la restitution des compétences et des expériences.

L’établissement d’un système de parrainage via notre plateforme en ligne est un des piliers de notre action. Sur le long terme, la création d’un réseau, la rencontre de parlementaires et d’élus locaux nous permettra de mettre en place un dispositif de bourses financé par les élus locaux et entrepreneurs locaux. L’objectif de ces événements est de montrer le dynamisme économique du territoire à travers des histoires entrepreneuriales inspirantes pour donner envie aux diplômés de créer leur entreprise sur le territoire.

C’est notamment le cas de notre marraine Laurence Akossi, originaire de la ville du Tampon. Conférencière, consultante et accélératrice de réussite professionnelle, elle a bâti son expérience en Métropole, au Canada et aux États-Unis, fondant plusieurs écoles et réalisant des conférences sur la façon dont l’éducation doit être transformée aujourd’hui. Elle décide alors de rentrer à La Réunion et d’apporter son expérience pour fonder une école d’enseignement supérieur dans sa ville natale, Le Tampon : HEDECI, Haute École de Développement des Compétences Internationales, permet à des étudiants en post-bac de trouver leur voie tout en ayant une approche multidisciplinaire et un accompagnement personnalisé. Elle est devenue une des plus grandes militantes qui fait bouger les lignes de l’éducation à La Réunion et son histoire entrepreneuriale est inspirante pour tous nos diplômés réunionnais.

Contact : [email protected]


Lire aussi : De la Réunion aux grandes écoles / Portraits de Réunionnais(es) diplômés de grandes écoles : www.reunionnaisdumonde.com/mot/grande-ecole / Portraits « spécial retour à la Réunion » : www.reunionnaisdumonde.com/mot/special-retour

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