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Alain Turby, maire de Carbon-Blanc en Gironde

Publié le 9 mars 2017

C’est le deuxième maire réunionnais en métropole* et vice-président de Bordeaux Métropole en charge du numérique. A 37 ans, ce Saint-Andréen est à la tête d’une commune de 8 000 habitants dans l’agglomération bordelaise… tout en dirigeant les programmes informatiques et en enseignant dans l’école de commerce INSEEC.

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D’où êtes-vous à la Réunion ?

Né à Saint-Denis, j’ai grandi à Saint-André, chemin Lagourgue, avec un père passionné de politique. Ancien élève du centre de la Ressource, j’ai fait la fin de mon secondaire au Lycée Lislet Geoffroy à Saint-Denis. C’est en 1997, le bac en poche, que j’ai quitté La Réunion pour la région de Bordeaux.

Racontez-nous vos débuts en métropole.

Je suis arrivé le 7 septembre 1997, je m’en souviens comme si c’était hier. A la base, je venais faire mes études de droit mais au bout d’un an j’ai compris que le droit n’était pas fait pour moi (à moins que ce soit l’inverse…). Je me suis donc réorienté vers le marketing et la création d’entreprise. Après un Master 1 Marketing à l’Institut Supérieur Européen de Gestion de Bordeaux, j’ai suivi un DESS en Création d’Entreprise et Gestion de Projets Innovants.

Avez-vous des anecdotes à partager ?

Des anecdotes ? En 20 ans, j’en ai plein. Par exemple, à mes débuts, j’avais une montre qui était toujours à l’heure de la Réunion. Un matin j’ai mis mon réveil (sur cette montre)… Réveillé trois heures trop tôt, est-ce nécessaire de vous décrire la tête des éboueurs quand j’ai demandé pourquoi il n’y avait pas de bus ce matin-là ?

Qu’est ce qui vous a amené à devenir maire de Carbon-Blanc ?
 
Je n’ai pas vraiment de « parcours » politique… En septembre 2013, j’étais directeur de programmes d’enseignement pour l’INSEEC et je dois avouer que je n’avais pas pour ambition de devenir le maire de Carbon-Blanc. A l’invitation d’un de mes amis à lire la presse locale, j’ai appris que le maire de ma commune était concerné par une affaire judiciaire et qu’il avait démissionné. Plus fort ! J’ai appris alors que le maire « historique » (de 1976 à 2001, il était aussi sénateur et président du Conseil Général de la Gironde) tentait d’imposer son fils comme successeur. J’ai cru voir quelques mauvais feuilletons politiques de mon enfance...

Carbon-Blanc

Qu’avez-vous fait ?

Mon sang n’a fait qu’un tour. Je me suis renseigné sur la présence d’une liste d’opposition et c’est comme ça que je me suis lancé. J’ai voulu une liste citoyenne. C’est pourquoi j’ai demandé aux Carbonblanais qui le souhaitaient de me rejoindre. Nous avons mené une campagne de quatre mois qui aura marqué les esprits, élu dès le premier tour avec 51,33% des suffrages.

Parlez-nous de votre ville.

Carbon-Blanc est une commune périurbaine qui a grandi très vite, sans perdre pour autant son âme de village. Le Ladi Lafé fait partie du charme de la Réunion… J’ai le plaisir de le retrouver aussi ici, dans ma commune. Les rumeurs vont vite et il s’agît souvent de les anticiper pour éviter que le malaise s’installe. Ceci étant, les Carbonblanais ont une ouverture d’esprit et un sens de l’accueil remarquables. Nul besoin de longs discours : un sourire, un signe de la tête, un regard suffisent souvent à percevoir leur bienveillance. Une preuve de leur ouverture aux autres : c’est la deuxième ville française à avoir fait confiance à un Réunionnais pour sa gestion !

Vous occupez également des fonctions à Bordeaux Métropole.

J’aime cette région bordelaise qui connaît une belle diversité de paysages et de populations. Alain Juppé et ses équipes municipales ont su donner vie à cette ville qu’on appelait encore récemment « la belle endormie ». C’est un honneur pour moi de travailler avec lui sur la politique numérique de notre agglomération. Habiter la région bordelaise est une chance… Vous êtes à moins d’une heure des plages (mem’ si lo lé fré), à quelques minutes des vallons de l’entre-deux mers, une ou deux heures des villages pittoresques de Dordogne, trois heures des sentiers de randonnées du pays basque ou des stations de ski des Pyrénées.

Quels sont vos projets ?

Ah… Vaste question ! Les mauvaises langues disent que je suis ambitieux. Je pense que ce n’est pas un défaut. L’ambition d’un homme est saine surtout si elle est mise au service de son territoire. C’est ce que je pense faire pour Carbon-Blanc. Le contexte général des communes est compliqué, notamment au niveau budgétaire. Faire et bien faire devient de plus en plus compliqué. Mais c’est un défi que je relève avec passion. Je me rends compte chaque jour de la chance qui est la mienne de vivre cette expérience. Cette fonction est un véritable ascenseur émotionnel. Vous êtes amené à gérer des difficultés sociales profondes sur votre territoire de 8 000 habitants à une heure donnée et passer à l’organisation d’une manifestation à l’échelle de l’agglomération de 800 000 habitants, 10 minutes plus tard. Vous voyez le territoire évoluer au fur et à mesure des décisions que vous prenez. C’est un véritable honneur que les Carbonblanais m’ont fait en m’accordant leur confiance. Mais il n’y a pas qu’eux que je dois remercier : il y a aussi les membres de ma majorité municipale qui m’ont fait confiance alors que je n’étais pas connu à Carbon-Blanc. Je respecterai jusqu’à la fin de ce mandat mon engagement : Je me consacre uniquement à ma ville. Je ne serai candidat à aucun mandat électif d’ici 2020.

« Sans-étiquette politique, venant du privé, et Réunionnais... J’appartiens, ici, à toutes les minorités ! »

Et après ?

Ma courte expérience d’élu et l’actualité récente démontrent que parler d’avenir est compliqué pour les candidats à des fonctions électives. Donc aucun pari sur l’avenir. J’ambitionne bien sûr, un jour, d’évoluer mais je crois qu’il ne faut pas envisager l’engagement politique comme une carrière professionnelle. Je ne m’acharnerai pas à me présenter inlassablement à toutes les élections. Pour parler à nos concitoyens, il faut aussi vivre leur quotidien.

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Ma maman m’avait offert avant de partir, il y a 20 ans, une couverture de lit… Et oui, il fait froid en métropole ! Je n’ai jamais pu m’en séparer. Elle est rangée dans une armoire, je ne l’utilise plus, mais elle est là. Elle est tout un symbole cette couverture. J’ai gardé aussi les valises de mon départ. Je ne les utilise plus pour mes voyages mais je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais pu m’en séparer. Qui sait ? Peut-être me serviront-elles un jour pour le billet retour ?

Quel lien gardez-vous avec la Réunion ?

Je rentre sur l’île environ une fois tous les deux ans pou retrouv’ mon famille, mon ban’ dallons, soley i pwak mon po… Quitter la Réunion a été douloureux pour moi. J’ai passé de longs mois sans revoir ma famille. On quitte une île pour rejoindre un grand territoire, et pourtant la solitude est pesante. Je viens d’un milieu modeste donc les sorties étaient rares et les fins de mois très difficiles. Mais je ne regrette pas cette expérience. Elle a participé à faire de moi ce que je suis, avec mes qualités et mes défauts (J’en ai beaucoup, oui !). J’ai apporté à mes amis métropolitains une autre façon de voir le monde et grâce à eux, je me suis ouvert à d’autres modes de pensée. Encore aujourd’hui, je fais quotidiennement référence à mon île dans mes réflexions. Notre territoire est mal connu des métropolitains. Mais je ressens souvent une forme de curiosité bienveillante pour notre île et je ne manque jamais d’en faire la promotion.

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

En 20 ans, j’ai noté une nette amélioration de la connaissance de notre île par les Métropolitains, mais il faut dire qu’on part de loin ! L’outremer est très peu abordé dans les programmes scolaires. La Réunion est souvent perçue par les seuls prismes des journaux et des reportages télévisés. Or, souvent, ce média parle de la Réunion lorsqu’il s’y passe quelque chose d’exceptionnel, rarement un événement positif. Par exception, le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO d’une partie de notre territoire a par exemple été très largement relayé ici. Donc, il faut reconnaître une amélioration des choses.


Mais les stéréotypes ont la vie dure... Les Métropolitains associent encore souvent la vie insulaire à une douceur de vivre, une nonchalance. Ils commettent parfois l’erreur de nous positionner près des Antilles. Ils nous appartient de corriger le tir… Pour la nonchalance, il paraît que j’ai réussi à convaincre ceux qui travaillent à mes côtés du contraire très rapidement !
 

Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?

La région bordelaise est très appréciée des Réunionnais. Certains sont devenus des amis. Nous organisons régulièrement des gueuletons, c’est l’occasion de manger un bon carry ou un bon rougail. J’ai aussi pris un coup de vieux quand deux de mes neveux sont venus s’installer récemment en Métropole. Ils n’habitent pas à côté, mais j’ai toujours beaucoup de plaisir à les voir.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de l’île ?

Compliqué de répondre à cette question en ne vivant pas à la Réunion et en s’y rendant quinze jours tous les deux ans. Je trouve que ce territoire a des atouts qui ne sont pas suffisamment mis en valeur. L’île a connu des évolutions majeures en termes d’infrastructures qui méritent d’être soulignées. J’ai voyagé dans d’autres terres ultramarines et par comparaison la Réunion est très bien dotée et dépasse même bon nombre de départements métropolitains. Pour l’anecdote, je suis Vice-Président en charge du numérique à Bordeaux Métropole et je n’ai toujours pas la fibre optique chez moi ! Ma mère, qui vit à la Confiance à Saint-Benoit l’a !

Il y a un savoir-faire réunionnais dans le domaine du numérique, mais aussi des énergies vertes qui reste à mon avis trop anonyme. Cet anonymat entraîne des paradoxes flagrants. Il y a la fibre optique à La Confiance, mais la 4G ne s’est implantée que récemment sur le territoire. Ces domaines d’excellence dans lesquels je ressens un réel potentiel sont à mettre en parallèle avec la situation de l’emploi. Nous disposons de secteurs porteurs en termes d’employabilité et nous n’arrivons pas à orienter nos jeunes vers ces filières d’excellence. Il appartient aux politiques locaux de s’en saisir !


Enfin, j’ai l’impression que la dynamique économique de notre territoire est trop tournée vers le tourisme. Je ne conteste pas les nécessaires investissements en la matière, mais nous devons veiller à ne pas devenir trop dépendants du tourisme. La moindre crise sanitaire, le moindre phénomène climatique, la moindre actualité à connotation négative peuvent entraîner des situations catastrophiques au niveau de la fréquentation touristique. Et cette activité est encore trop tournée vers la Métropole. Il n’est pas normal que l’île Maurice arrive à capter l’essentiel du trafic aérien de la zone Océan Indien…

Enfin, les dispositifs réglementaires spécifiques à la Réunion sont devenus pour certains, totalement obsolètes. La situation de l’octroi de mer mérite d’être soulignée. Bien sûr, il faut encourager la production locale, mais je n’ai pas entendu l’intention, même récente, d’un constructeur automobile de s’installer à la Réunion. Il suffit de voir le prix des voitures sur le territoire pour se rendre compte que la fiscalité associée est totalement disproportionnée. J’arrêterai là mon analyse, on va finir par croire que je déroule un programme politique et certains vont bientôt se sentir menacés ! 

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