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Anaelle Pony, co-créatrice de l’appli Leon - spécial retour

Publié le 15 octobre 2021

Après avoir parcouru le monde, elle est rentrée sur son île multi-diplômée et animée par l’envie d’entreprendre. En parallèle d’un poste de professeure en lycée, Anaelle vient de lancer l’App touristique Leon, déjà propulsée dans le top 200 des app de Voyage après trois semaines d’existence sur l’AppStore. Interview "spécial retour".


Pouvez-vous vous présenter ?

Anaelle Pony, 37 ans, originaire de Sainte-Suzanne. Ingénieure de formation en Génie Civil et Environnement, titulaire d’un Master Recherche en Hydrologie-Hydrogéologie à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, je suis également diplômée de Skema Business School, à Nice. Je suis actuellement professeure de Maths-Sciences, en section professionnelle au lycée Marie Curie de Sainte Anne... et l’heureuse présidente co-fondatrice de la startup réunionnaise Leon, qui développe Leon guide, une application mobile culturelle qui raconte la Réunion à travers des podcasts.

Racontez-nous votre parcours.

Je suis loin d’avoir un parcours rectiligne et lisse. Le mien est même plutôt cabossé. Je quitte la Réunion à 18 ans, après mon bac au lycée Sarda Garriga, à Saint André, en 2002 : cap sur Grenoble, et la faculté de médecine. J’avais fait un Bac S option Sciences de l’ingénieur, mais je décide de prendre le virage de la médecine. J’échoue au concours de 1ère année, je me réoriente en Génie Civil, toujours à Grenoble, à l’IUT Joseph Fourier. C’était l’époque des grands chantiers à la Réunion, je me suis dit que dans cette filière, je trouverais facilement du travail à mon retour. Je poursuis mes 3e et 4e années d’études en Ecosse, à Edimbourg en Génie Civil et Environnement.

Remise des prix à Heriot-Watt University à Edimbourg en 2008

Je termine mon cursus à Paris, à l’université Pierre et Marie Curie, par un Master Recherche en Hydrologie-Hydrogéologie. En route, j’ai lâché le Génie Civil pour me spécialiser dans les Sciences de l’Eau. Diplômée, et ne voulant pas encore m’insérer dans le monde du travail, je décide de poursuivre mes études en école de commerce (Merci papa maman de m’avoir soutenu dans mes choix, même quand vous ne les compreniez pas toujours !). Je pose mes bagages à Sophia-Antipolis, à Skema Business School. Je découvre les sciences molles ! Pas évident au début pour la scientifique que je suis, mais j’y trouve mon intérêt.

Et ensuite ?

Arrive le moment de la recherche de stage pour valider mon année. J’ai dû envoyer une centaine de candidatures. Une entreprise finit par m’appeler ! Je m’envole pour Paris passer les entretiens. Je suis prise. Je quitte la Côte d’Azur pour la capitale. J’intègre alors en stage Enablon, un éditeur de logiciels français basé à Courbevoie, en 2010. Je suis loin, très loin de m’imaginer l’aventure qui m’attend dans cette seule entreprise qui m’accepte alors en stage. J’y découvre un nouveau métier, celui de chef de produit, un nouveau secteur, celui de l’informatique et du numérique, une nouvelle organisation, celle d’une startup qui va se muer en organisation au fil des ans. Je signe mon premier CDI à l’issue du stage. J’y resterai 5 ans.

Conférence à Enablon Forum utilisateurs à Chicago en 2014

Des responsabilités croissantes m’y sont confiées, et une expatriation à Chicago en 2013 me permet de travailler avec les plus grandes multinationales de ce monde : PepsiCo, Disney, Nike etc… Une sacrée expérience quand à 29 ans, tu te retrouves dans un workshop dans le fin fond du Texas avec tous les responsables en Risk Management de PepsiCo, et que c’est toi qui dois mener la réunion, en anglais évidemment … A ce moment-là, t’en mènes pas large, mais quelle expérience et quelle chance j’ai eues ! Ce fut une aventure incroyable pour moi, une opportunité de grandir et d’apprendre, qui n’aurait pu se faire sans la confiance et le soutien de mes dirigeants (Phil, Dan, si vous me lisez ici, MERCI !).

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

J’avais enchaîné plusieurs années de travail assez intenses à Paris, aux Etats-Unis, et j’avais besoin de me reposer. J’avais besoin d’une coupure, de reprendre un peu d’air à la Réunion, de force en famille. Mon frère et sa famille avaient eux aussi reposé leurs bagages à la Réunion, je m’étais dit que ce retour me ferait du bien aussi. Dans ma tête, je revenais me ressourcer quelques semaines. C’était un retour comme les autres, à ceci près que j’avais 5 valises au lieu d’une, mon billet était un aller-simple pour la Réunion et que je ne savais pas quand j’allais revoir ma meilleure amie, réunionnaise aussi, que je laissais à Paris.

Avec ma soeur Ségolène, venue me rendre visite à Chicago en 2014

Décrivez-nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

Très heureuse. Comme tous les retours. Quand tu vois les reliefs de la Réunion se dessiner à travers le hublot, c’est magique. T’es juste super heureux et tu penses aux bons carrys qui t’attendent à la case ! Les 3-4 premières semaines qui suivent le retour sont assez grisantes, on se croit en vacances. Et puis il y a un temps d’adaptation pour redescendre et se caler au rythme de la Réunion, qui s’est fait plus ou moins naturellement, pour ma part.

Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?

A mon retour, j’ai très vite embrassé l’entrepreneuriat, sans trop me questionner sur l’état du marché du travail à la Réunion. J’y voyais donc plutôt un champ des possibles. Très honnêtement, je pensais que m’expatrier et revenir sur l’île pouvait constituer un avantage concurrentiel. Mais j’ai vite compris que c’était un mythe ! Je crois qu’il nous faut avoir l’humilité de comprendre et d’accepter que la place que nous avons laissée en partant ne nous attend pas au retour. La Réunion n’a pas attendu que l’on revienne pour se développer, apprendre et avancer, et heureusement ! Il faut sauter dans le train en marche, et patiemment faire ses preuves, développer son réseau et se (re)faire une place.

Conférence à la DIECCTE Réunion en 2017

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

J’ai été agréablement surprise par la dynamique entrepreneuriale à la Réunion. Je ne la connaissais pas sous cet angle. C’est galvanisant de voir autant de forces vives sur le territoire, souhaitant apporter sa contribution au développement de l’île. Et puis il y a aussi une autre réalité, une Réunion de ceux qui n’ont d’autres horizons que le chômage et les minima sociaux, depuis plusieurs générations. Dans mon métier de professeure, je rencontre ces gamins, j’évolue avec eux, j’apprends aussi beaucoup et j’essaie de leur donner une autre perspective que celle qu’ils connaissent depuis qu’ils sont nés. La mobilité, l’entrepreneuriat sont des perspectives qu’ils n’entrevoient même pas. Beaucoup ne se sentent pas concernés. L’éducation, la sensibilisation sont un travail de fond, qui demandent optimisme, patience et persévérance. Alors ti pas ti pas…

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

Je suis l’heureuse présidente co-fondatrice de Leon, une startup réunionnaise qui lie culture, tourisme et technologie dans une application mobile, Leon guide, qui raconte l’histoire de la Réunion à travers des podcasts. L’application est gratuite, et est disponible depuis quelques semaines sur les plateformes de téléchargement. Avec mes associés Gilles Leny, et Fabrice Manson, nous avons souhaité, à travers cet outil numérique, faire connaître l’histoire de l’île aux réunionnais et touristes de passage. Grâce aux podcasts disponibles sur l’application, Leon incite ses utilisateurs à prendre le temps de découvrir l’histoire, de s’imprégner des lieux visités et de laisser l’imaginaire prendre le dessus. La bibliothèque est déjà riche d’une centaine de podcasts, à écouter où que l’on soit dans le monde, de chez soi, dans les embouteillages, ou sur les lieux à visiter.

Avec Fabrice (au centre) et Gilles (à gauche), à l’occasion du lancement de Leon

Comment avez-vous conçu cette application ?

Nous nous sommes entourés d’une équipe rédactionnelle qui fait le travail de recherche et d’écriture, de comédiens professionnels qui prêtent leur voix et d’un artiste compositeur interprète qui met en musique tout l’univers de Leon. Des dialogues en créole viennent animer nos podcasts, et nous nous sommes véritablement amusés à capter les vrais sons de nos forêts primaires, avec les vrais oiseaux péï qui chantent, de la mer plus calme à l’ouest au fracas du sud sauvage. Une vraie immersion à la rencontre de la mémoire de la Réunion, pour tous les amoureux de l’île ! Et tout est fait en local ! C’est une vraie fierté pour mes associés et moi-même, de pouvoir faire travailler la Réunion sur un projet comme celui-ci, et contribuer à valoriser et transmettre notre patrimoine.

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Et comment ! Si c’était à refaire, je ne changerais rien à l’histoire. La mobilité est une expérience très riche. Et parce que nous sommes la diaspora du monde - pour reprendre l’expression d’une amie – nous avons la capacité de nous fondre dans la masse très facilement. Notre histoire nous a dotés d’un pouvoir de résilience très fort également. Donc oui, marmailles, faut saute la mer, rester curieux, apprendre toujours, et quand vous vous sentirez prêts, revenez.

« Je ne serais pas arrivée là si les anciens n’avaient pas trimé pour nous ouvrir les portes. Nous récoltons les fruits de leur sacrifice. A notre tour d’œuvrer pour que les portes restent ouvertes aux générations de demain. C’est le cycle de la vie, indissociable de l’espace et du temps. »

Partir nous permet de prendre conscience plus rapidement de la chance que l’on a d’être réunionnais, d’avoir grandi sur cette île, de parler créole, d’avoir une mémé catholique et un pépé hindou, d’avoir des cousins musulmans, des camarades chinois, cafres, malbars, créoles, zoreils et de trouver cela normal. Notre pluralité est issue d’un entremêlement de racines. Cet entremêlement nous dote d’une formidable grille de lecture du monde, et nous ramène à la beauté et à la puissance d’une nécessaire conjugaison à l’autre. Nous avons ça dans le sang. Il est là notre avantage. C’est un sacré avantage concurrentiel sur le monde en réalité, et c’est celui de tous les réunionnais !

Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

A la Réunion, c’est son énergie singulière, son magnétisme qui me touchent profondément. Il est une sensibilité sur cette terre réunionnaise que je n’ai pas retrouvée ailleurs, bien qu’ayant vécu dans des villes très cosmopolites. Ici, nous sommes allés un cran plus loin, nous avons franchi l’étape du vivre avec l’autre. Nous faisons déjà un. Nous avons la peau des autres dans la nôtre et avons créé notre culture créole. Nous n’avons en réalité rien à envier à d’autres territoires. Nous avons fait le plus beau ! Il nous appartient de faire fructifier cet héritage, intelligemment, en gardant le cœur ouvert sur le monde, et le transmettre à tous ceux qui arrivent après nous.

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

A ceux qui souhaitent revenir, je leur dirais de rester eux-mêmes, de mobiliser la grande capacité d’adaptation et de résilience que nous avons dans notre ADN pour se refaire une place ici, rester concentrés, humbles et patients face au chemin à construire, et de ne pas plier devant l’effort pour faire bouger les lignes.


Voir le profil d’Anaelle Pony / Lire aussi : Leon, la mémoire de la Réunion dans une Appli
Pour plus d’information sur l’application mobile, Leon guide, rendez-vous sur le site www.leon-guide.app / https://play.google.com/store/apps/details?id=app.leonguide.fr / https://apps.apple.com/us/app/leon-guide/id1584649035


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