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André Robèr, peintre, poète, directeur des éditions K’A en Catalogne

Publié le 12 mars 2007

Arrivé en métropole avec un CAP dans les années 70 pour travailler chez EDF, André trouve dans l’art un moyen de se réaliser. Après un DEA d’Arts Plastiques, il peint, sculpte, écrit et expose ses créations à travers toute la France. Il est aussi le fondateur des éditions K’A, qui publient des ouvrages en créole. « Je suis un artiste et éditeur réunionnais qui vit en France et en Catalogne, se définit André Robèr. La Réunion ne me manque pas, je la vis tous les jours tant au niveau de ma création que dans mon travail d’éditeur ».

André Robèr

D’où êtes-vous à la Réunion ?

"Je suis né à la Plaine des Palmistes, c’était il y a 51 ans. Il n’y avait ni eau courante ni électricité ni RMI. Mes études se sont arrêtées à la 5ème transition. J’ai pensé longtemps que le monde était mon village. J’ai vu la mer à 11 ans alors qu’elle était à 20 km (cadeau d’un cousin)".

Dans quelles conditions avez-vous quitté l’île ?

"Je suis arrivé en France en 1974 pour suivre des études dans une école de l’EDF, puis je suis devenu monteur électricien. Juste avant j’étais dans une école de l’EER (Electricité Electrique de la Réunion) à la Réunion pour préparer un CAP d’électricien. On avait pour obligation de passer le concours pour aller dans les écoles EDF. Je laisse à votre sagacité et à vos commentaires les conditions de l’obtention de ce résultat positif, celui-ci étant lié au dispositif mis en place par Michel Debré pour vider la Réunion et les autres DOM de ses forces vives…"

Que s’est-il passé pour vous ?

"Très vite l’électricité m’ennuie. Le syndicalisme, la politique, l’animation socio culturelle me permettent de m’ossifier. En 1981, intervient ma rupture avec le PSU et la gauche. En 1982 je commence des études d’arts plastiques, tout en continuant mon travail salarié. En abordant la maîtrise d’arts plastiques, j’anime une série d’émissions sur l’art à Radio Libertaire. Et c’est après quelques années d’animation à Radio Libertaire que je commence à peindre".

Parlez-nous de votre peinture.

"Loin de l’enseignement que j’ai pu recevoir. Ce sont alors des formes brutes qui sortent, des cris avec des couleurs violentes. Là pas besoin de plaire ; avec des matériaux de récupération, je jongle. J’obtiens un DEA d’Arts Plastiques en 1986. J’organise des expositions et un colloque ayant pour thème « Art et Anarchie » en 1991 pour les 20 ans de Radio Libertaire".

André Robèr

Quelles sont vos autres activités ?

"En 1989 je deviens responsable de l’information et de la formation de la région PACA du CE d’EDF. A partir de ce moment je m’intéresse à la poésie d’avant garde et prend conscience de l’importance de ma langue maternelle. L’année 1996 va marquer mon travail, c’est une exposition personnelle à l’île de la Réunion. Le processus de rapprochement avec le pays natal débute alors. Plusieurs pistes de travail se font sous forme d’échanges (organisation de kabars, d’expositions, éditions) Et puis il y a ce soir de l’été 1999, au cours d’une soirée arrosée…"

Que s’est-il passé ?

"Dans la conversation on me déclare : « C’est extraordinaire de se trouver à la Réunion en ce moment, car la culture réunionnaise n’existe pas, on va pouvoir la créer ». Tout être normalement constitué ne peut accepter de telles remarques. Les éditions K’A naissent alors".

Quel est votre projet ?

"Ce n’est plus un projet, c’est un acte avec deux axes dans mon travail pour et sur mon identité kréol.
L’édition :
Il y a ces rapports de langues et de territoires, la perception que si sur le territoire il y a un peuple et une langue, la langue n’a pas à être banalisée puisque identifiant d’un peuple et d’une culture. Pour ce qui me concerne et qui concerne la Réunion et le kréol réunionnais, l’absence de père, de guide rend le combat difficile mais oh combien plus excitant. Il convient de dépasser l’appartenance à un groupe ethnique fondateur et de revendiquer sa réunionnité et donc sa créolisation. Il serait si simple de s’enfermer dans un communautarisme étroit et sans intérêt ni pour l’homme ni pour la communauté. C’est la première clé de mon désir de lutter pour la culture réunionnaise".

Votre travail est influencé par la pensée anarchiste.

"La force et la détermination je les ai trouvées grâce à mon rapport à l’individualisme anarchiste et dans la création. Ce rapport à la construction, à l’élaboration et à l’élévation de l’individu. Ce désir d’éviter de déléguer, de maîtriser tout ce qu’il est possible, cette posture, cette attitude est aussi puisée dans l’éthique anarchiste. C’est bien avec cette découverte que je me suis épanoui, que j’ai grandi, que je me suis ossifié et que j’ai posé les bases de mon existence sur la terre".

André Robèr

"Ma peinture et mon écriture :
Ce lieu, cette île n’existe que parce qu’il y a eu peuplements divers et le drame de l’esclavage. Mais un lieu est aussi fait pour être quitté même si on y est né. Le manque de mon île est ressorti dans un travail plastique (le catalogue « Cela qui manque ») et le premier essai d’écriture : « lékritir lot koté la mèr ». En 1998 tout cela devient plus concret avec un travail plastique autour du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Avec une recherche sur le marronnage, naissent alors Kan nou lété maron, Kan nou la sort maron, Lontan konm koméla : trois séries de peintures".

"Lékritir lot koté la mèr, Carnets de retour au pays natal, ce sont quelques-uns de vos écrits.
Et aussi Fonnkér pou lo zié. Même si c’est de l’exil que j’ai écrit « fonnkèr pou lo zié », dans ces poèmes visuels la préoccupation est avant tout de revendiquer ma créolité.
Ici on baise Fonnkèr pou la po
Le rapport des réunionnais avec le sexe est compliqué et beaucoup de pudeur trop de pudeurs entourent l’acte sexuel et le sexe, même si le rapport des hommes lui est très débridé voir machiste. Fonnkèr pou la po est le début d’une approche, d’une recherche sur la vulve parce qu’il faut parler de tout et que l’art ne doit se priver de rien.
Isi on s’injure
C’est un art, une esthétique de vie, une poésie concrète d’une violence rare et d’un vocabulaire imagé. L’objet ici consiste à transformer le rapport à une esthétique de la violence et de l’engueulade en une esthétique positive. Linsilt
Et puis il y a les mystères qui entourent mon rapport à la création, mon rapport à chaque œuvre. Pour comprendre ce rapport particulier il faut lire Carnets de retour au pays natal
Bien sûr on peut vivre sans mais c’est dans ce recueil que sont les clefs ou en tous cas des éléments pour lire voire appréhender mon travail".

Quels sont vos projets ?

"Outre la continuité du travail éditorial de K’A, je prépare l’ouverture d’un lieu associatif en Catalogne (Ille-sur-Têt). Ce lieu en devenir accueillera lectures, expositions, musiques expérimentales".

André Robèr

Est-ce que la Réunion vous manque ?

"La Réunion ne me manque pas, je la vis tous les jours tant au niveau de ma création que dans mon travail d’éditeur. Je parle la langue et de la langue du dehors de la langue. Je suis un artiste et éditeur réunionnais qui vit en France et en Catalogne".

Que vous apporte l’expérience de la mobilité ?

"Le départ, même non souhaité, m’a permis de prendre conscience que je pouvais grandir. Il m’a apporté des espaces de liberté, de l’expérience, de la volonté... Je suis fier aujourd’hui de pouvoir éditer de la littérature réunionnaise, de la soutenir et de pouvoir faire des choix, d’éditer des choses qui m’intéressent".

Quels ont été les avantages/inconvénients de venir de la Réunion dans votre parcours ?

"Quand on vient de la Réunion on subit le racisme comme tout immigré même si on est un yab. On s’intègre comme on peut : certains choisissent le sport, moi j’ai trouvé la politique et la culture. C’est le militantisme qui m’a sauvé de l’indigence en France et qui m’a permis d’avancer".

Et maintenant ?

"Je vais vivre en Catalogne du nord, j’ai déjà des contacts avec des éditeurs de la région en affirmant le particularisme de K’A, qui est d’éditer du créole réunionnais et de la poésie contemporaine de Catalogne. Je vais apprendre le catalan. C’est une nécessité pour moi de défendre les langues minorisées et de comprendre mes voisins. Ce comportement, je le souhaite aussi pour tous ceux qui viennent vivre à la Réunion, qu’à minima il apprennent le kréol".

Le site d’André Robèr - Le site des Editions K’A

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