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Annie Bordier : comment je suis rentrée à la Réunion

Publié le 23 mars 2023

Elle se définit comme « slasheuse » dans les domaines de l’information, de la communication et de la gestion des connaissances. Embauchée à l’ouverture de la Cité des Métiers de la Réunion, Annie Estelle quitte sa vie métropolitaine par intérêt pour le poste et pour revenir près de sa famille. Depuis, elle a repris une partie de sa liberté grâce aux voyages et à l’entreprenariat. Elle nous raconte comment dans cette interview "spécial retour".


Pouvez-vous vous présenter ?

Annie Estelle Bordier, 40 ans, je suis originaire de La Possession. Je suis une slasheuse dans les domaines de l’information, de la communication et de la gestion des connaissances. Slasheuse c’est quoi ? Cela signifie que je cumule plusieurs activités professionnelles en tant que consultante indépendante en stratégie de communication chez Staïlé, ma micro-entreprise. Je suis également cheffe de département Information, Documentation, Conseils à la Cité des métiers de La Réunion. Enfin, depuis quelques années, j’interviens à l’IUT de La Réunion en tant qu’enseignante vacataire pour l’animation des modules en lien avec le projet professionnel et la communication.

Racontez-nous votre parcours de mobilité.

Mon bac Littéraire au lycée Plateau Caillou de Saint-Paul en poche, j’ai pris l’avion pour Toulouse ! J’étais acceptée en classe prépa Hypokhâgne au lycée Saint-Sernin, mais je n’y ai jamais mis les pieds… Je me suis mise la pression toute seule, je me suis dis que je n’allais pas y arriver... J’avais peur du regard des autres avant même de m’y confronter ! Je ne sais pas s’il s’agissait d’une sorte de syndrome de l’insulaire qui débarque en Métropole mais je me suis clairement auto sabotée ! 

Comment avez-vous rebondi ?

Finalement je me suis inscrite dans un cursus universitaire en lien avec les langues lusophones à l’Université du Mirail, toujours à Toulouse. Je suis allée jusqu’au Master ! Une Réunionnaise qui fait des études de Portugais, ce n’est pas courant, mais après le choix de ne pas faire de classe Prépa, je me suis souvenu qu’Université signifie « Ouverture sur le monde ». J’avais développé une grande curiosité pour la culture portugaise suite à un voyage de classe à Lisbonne en seconde et je me suis dis : pourquoi pas, on verra bien où cela me mène !

Vue sur Lisbonne

C’était un vrai défi. La plupart des autres étudiants du cursus étaient d’origine portugaise. Ils avaient donc pas mal de facilité ... cela m’a clairement challengée jusqu’à être première de promo durant tout mon cursus ! J’avoue que c’était une petite fierté. Mon meilleur souvenir durant ces années, c’est le semestre que j’ai passé à l’Université de Lisbonne dans le cadre du dispositif Erasmus. J’étais immergée dans la culture lusophone, qui je trouve a quelques similitudes avec la culture réunionnaise. Et Lisbonne est une capitale magique ! Si bien que durant mes années en Métropole, quand j’avais un coup de blues et que les voyages vers La Réunion coûtaient trop chers, et bien j’allais faire un tour à Lisbonne et je revenais plus en forme que jamais ! 

Et ensuite ?

Une fois le Master acquis, se posait la question de l’emploi ... Je m’étais laissée bercer par les études sans me poser la question de mon avenir professionnel, et les études de portugais, il faut l’avouer, n’offrent pas énormément de débouchés ! J’ai dû retravailler mon projet professionnel sans perdre de temps. Acceptée à l’Institut Universitaire des Formations des Maîtres, j’ai préparé le concours de professeur documentaliste, et c’est là que j’ai découvert les sciences de l’information, de la communication et de la gestion des connaissances. J’ai finalement monté un dossier en béton pour être acceptée directement en Master 2 professionnel « Sciences et technologies de l’Information et de la communication » à l’Université de Béziers. C’est un Master qui pouvait se faire à distance.

Comment avez-vous fait ?

Je me souviens qu’il s’agissait d’une période très riche pour moi ! Je travaillais en tant qu’assistante documentaliste au lycée Saint-Sernin de Toulouse à mi-temps, je faisais mon stage de Master deux jours par semaine à l’Institut National de l’Audiovisuel et les samedis, j’allais à Béziers pour les regroupements d’étudiants de la filière et les quelques cours en présentiels. Je n’avais pas le temps de m’ennuyer ! 

« Je n’y serais pas arrivée si je n’avais pas pris confiance en moi à travers chacune de mes expériences, réussites et échecs »

Une fois mon Master Pro validé, j’ai été recrutée à l’Institut Universitaire Technologique de Bordeaux en tant qu’ingénieure d’études spécialisée en stratégie des systèmes éditoriaux digitaux. J’y ai commencé un Doctorat en Sciences de l’information, que j’ai finalement abandonné ... travailler sur le terrain : c’est ce qui me plaisait le plus !

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?  

Au bout de deux années en tant qu’ingénieure à Bordeaux, j’ai eu l’opportunité de rentrer pour travailler en tant que Responsable des Ressources Documentaires puis Information et Communication pour le projet Cité des métiers de La Réunion. En fait, je me plaisais franchement bien en Métropole, mais cette opportunité a coïncidé avec un heureux événement : j’étais enceinte ! C’était l’occasion de rentrer à La Réunion, de travailler sur un projet professionnel intéressant et utile, et de vivre une grossesse sereine aux côtés de mes parents qui clairement s’impatientaient de mon retour et de devenir grand-parents pour la première fois ! Après tout ce qu’ils avaient fait pour moi, rentrer au péi était une décision alignée ! 

Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Au début, le retour devait être provisoire dans la mesure où il s’agissait d’un CDD. J’ai donc préparé une petite valise avec l’essentiel. Je savais que j’allais être avec mes parents dans la maison familiale et tout cela me convenait très bien après plus de dix ans passés en Métropole ! Je me souviens que mon employeur de l’époque avait été compréhensif sur l’organisation de mon retour en me proposant une date de prise de poste confortable. Le plus dur a été de laisser en Métropole mon conjoint ! Il m’a rejoint plus tard ... car mon CDD a été renouvelé et j’ai enchaîné avec un CDI. 

La Cité des métiers de la Réunion

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.  

L’atterrissage à Gillot : c’est que du bonheur ! Bien sûr, j’avais pu durant mes années en Métropole revenir quelques fois en vacances. Mais là, je savais que j’allais rester pas mal de temps ... J’avais hâte de retrouver la famille, hâte de travailler sur et pour mon île ... Avant même l’atterrissage, dans l’avion, quand on se rapproche de l’île et qu’on voit ce bleu de l’océan et du ciel, ce vert des montagnes, puis toutes ces nuances de couleurs : quel spectacle ! J’avais le coeur léger.

Avez-vous eu des difficultés à vous réinstaller ?

Partie à l’âge de 18 ans, je suis revenue à 30 ans. Je n’avais jamais travaillé à La Réunion. Revenir en tant que salariée, c’est se remettre dans le bain … différemment ! J’avais zéro réseau professionnel mais heureusement, mon poste à la Cité des métiers allait me permettre de me ré approprier tous les enjeux de notre île en matière d’emploi et d’insertion et de me créer un réseau professionnel solide ! Je dois dire aussi que le retour au péi, ce n’est pas tout le temps tout rose ! A certains moments je me suis sentie déconnectée, ou je me disais que j’allais tourner en rond. J’avais une sensation de confinement mais ça, c’était avant de re-découvrir mon île ! Je me demande si d’autres Réunionnais on ressenti ce que j’ai ressenti ... c’est peut-être un peu tabou d’en parler ! 

Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?  

Le marché du travail était clairement tendu, avec un taux de chômage élevé mais à côté de cela, des structures publiques, privées, associatives qui travaillent ensemble pour mettre en place des solutions concrètes. Cela fait maintenant 10 ans que je suis rentrée au péi ! Et en 10 ans, c’est sûrement le terrain entrepreneurial que j’ai vu progresser d’année en année ! 

Mon entreprise, Staïlé

En tant que Réunionnais expatrié de retour sur son île, avez-vous ressenti un « avantage concurrentiel » ?  

Je n’ai pas forcément ressenti un « avantage concurrentiel ». Mais ce qui est sûr, c’est que j’ai réinvesti pour mon job tout ce que j’ai pu apprendre ailleurs. J’étais « imbibée » d’expériences diverses et variées, j’avais hâte de les réinvestir dans de nouveaux projets. Je savais aussi qu’en rentrant, j’allais également beaucoup apprendre ! Je crois que quand on rentre au péi, il faut rester humble : on n’est pas plus ou moins que quelqu’un qui serait resté ici. Si avantage concurrentiel il y a, il se joue du côté de certains employeurs qui aiment les profils qui sont allés voir ailleurs. Il faut dire que dans les voyages, on acquiert énormément de « soft skills » ; l’école de la vie est très instructive ! 

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Les constructions et infrastructures avaient fleuri, j’ai trouvé certains paysages changés. C’est impressionnant de voir son île changer. Tout évolue très vite, des fois pour le meilleur et d’autres fois pour le pire ! C’est valable aussi pour le terrain économique et environnemental. Heureusement certaines chosent restent préservées, comme les points de vue inégalables, reliefs et micro-climats qui nous permettent de voyager sans quitter l’île ! Et je dois parler de notre métissage de cultures. Quand on est à La Réunion, c’est comme si on voyait tous les peuples du monde ! Chose qu’on ne vit pas forcément ailleurs.

Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

Mes points de satisfaction portent sur les évolutions de la Réunion dans les domaines de l’environnement, du digital et de l’offre de formations. Quand j’ai quitté l’île en , ce n’était pas aussi développé ! Les points de déception ? Le voyage Maurice-Réunion est encore trop cher ! Ce que je veux dire par là, c’est que l’île manque peut-être de coopération dans la zone Océan-Indien. Je ne suis pas spécialiste du sujet mais je suis sûre qu’on gagnerait énormément à s’ouvrir plus aux pays de la zone, notamment sur les volets de la formation et de l’entrepreneuriat. Bien sûr, en travaillant un savant équilibre entre la nécessité de nous centrer sur nous et la volonté d’ouvrir certaines portes pour de nouvelles opportunités.

Au TedX Saint-Denis women

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Oui, j’en tire un bilan plus que positif. La mobilité c’est partir pour mieux revenir ! On apprend beaucoup de ses expériences ; on apprend sur soi et on agrandit sa zone de confort. Grâce à la mobilité, j’ai aussi appris à m’émerveiller de certaines choses auxquelles je ne prêtais plus attention quand j’étais à La Réunion : ça va du coucher de soleil au bruit de la pluie sur la tôle, en passant par les bonnes odeurs de nos épices. Tout cela était là avant que je parte, mais je ne le voyais pas ou peu !

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

Je n’exclus pas d’aller à nouveau explorer ailleurs ! D’ailleurs, au moment où je réponds à cette interview, je suis en Métropole pour six mois. Je sais que mon retour me fera encore plus « kiffer » mon île ! J’avoue, j’aimer voyager, et voyager depuis La Réunion coûte très cher. On verra où la vie me mène mais en attendant, je compte bien faire ma part pour mon île ! 

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

Préparez votre retour ! Ça tombe bien, il existe maintenant une association qui s’appelle Réunionnais de Retour au Péi. Je me dis que des échanges avec ses bénévoles peuvent vous aider à vous réinstaller sereinement ! C’est un sas intéressant !


+ d’infos sur : https://staile.re


Pour aller plus loin :
+ de portraits « Spécial Retour »
- Les offres d’emplois de la Cité des métiers de la Réunion

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