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Anthony Naralingom, expert en économie circulaire à Bruxelles

Publié le 24 février 2020

« Je contribue à la transition vers une économie en accord avec les limites de notre planète. » Originaire d’une famille modeste de Vincendo, il coordonne le cluster bruxellois des entreprises pionnières en économie circulaire au sein de hub.brussels, l’Agence Bruxelloise d’Accompagnement des Entreprises. Anthony raconte son parcours et livre son regard sur le développement de la Réunion.


Pouvez-vous vous présenter ?

Anthony Naralingom, 32 ans. Je viens de Vincendo, village entre Saint Joseph et Saint Philippe. Ma mère est originaire de Saint-Philippe et mon père de Saint-Rose où il est agriculteur dans la canne à sucre. Je viens d’un milieu modeste mais avec des parents qui ont mis une emphase claire sur l’éducation et ont tout fait pour que leurs enfants puissent étudier dans les meilleures conditions. Même si cela signifiait des sacrifices de leur part...

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?

Après un bac au lycée de Vincendo et deux ans de classes préparatoires aux grandes écoles au Lycée Leconte de Lisle à Saint Denis, j’ai quitté la Réunion pour poursuivre mes études d’ingénieur. Je pense que mon parcours de mobilité a été simplifié par les deux ans passés en internat. Le rythme intensif de la prépa m’avait déjà préparé à un éloignement de mon cercle familial. Pour l’anecdote, je savais depuis longtemps que je voulais devenir ingénieur, ayant toujours eu une affinité pour les sciences et aussi que je voulais me spécialiser en chimie, étant passionné par les implications des transformations de la matière. Ayant déjà visité Paris avec mes parents, je ne voulais pas y étudier et je préférais une destination plus au Sud et proche de la mer. Mes trois premiers choix étaient donc Toulouse, Bordeaux et Montpellier… Il s’avère que Toulouse est un peu plus éloigné de la mer que ce qu’il me semblait sur les cartes… Mais j’y ai trouvé des amis incroyables, un climat doux et une culture occitane qui m’ont beaucoup plu !

Qu’avez-vous fait ensuite ?

Ma formation initiale est ingénieur, avec une spécialisation en chimie verte – valorisation des bioressources à l’ENSIACET de Toulouse. Après quelques années d’expériences professionnelles en recherche et développement en chimie verte biosourcée (en vue de de substituer des molécules issues de la pétrochimie), j’ai complété ma formation par un Mastère Spécialisé en Management de l’innovation et entrepreneuriat à la Toulouse Business School.

Par la suite j’ai vécu à Toulouse, Lyon, Montpellier mais aussi, sur des durées plus courtes, à Taiwan, à Katmandou au Népal. Aujourd’hui, j’habite depuis presque six ans en Belgique d’abord à Bruxelles et maintenant à Mechelen dans la partie néerlandophone du pays. Je travaille au sein de hub.brussels, l’Agence Bruxelloise d’Accompagnement des Entreprises, où je coordonne circlemade.brussels, le cluster bruxellois des entreprises pionnières en économie circulaire. Pour résumer, l’économie circulaire est une économie qui donne sa vraie valeur aux ressources sur l’ensemble du cycle de vie et évite donc la notion même de déchets, qui reste une ressource.

Quels sont vos projets ?

Au niveau personnel, j’habite avec ma compagne belge dans une petite maison que nous avons entièrement rénové et nous attendons notre premier enfant dans un mois. Donc clairement, le projet est de construire ma petite famille en Belgique. Au niveau professionnel, j’ai l’opportunité de contribuer à la transition économique de la région Bruxelles-capitale vers une économie en accord avec les limites de notre planète. Cela me donne beaucoup d’énergie car j’ai enfin l’impression d’être une partie de la solution et pas du problème, même si cela reste sur un territoire limité.


Je suis persuadé qu’un changement profond de notre façon de penser la valeur des ressources est nécessaire pour en finir avec les déchets et la surutilisation de ressources. Le challenge est énorme et pour être honnête, je suis assez souvent pessimiste quant à la faculté des humains à changer en profondeur. Mais à Bruxelles, j’ai trouvé un écosystème motivé par le changement, que ce soit au niveau des entreprises, du monde politique, des chercheurs et même des étudiants qui me donnent de l’énergie pour développer les actions de politiques publiques et l’accompagnement d’entreprises permettant de faciliter la transition vers une économie circulaire.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Ce que je vois, c’est une région avec énormément de potentiels : ses ressources naturelles, son positionnement stratégique pour l’Europe, les personnes qui habitent l’île... Mais ce potentiel n’est pas exploité, essentiellement parce que l’on a coincé l’ile dans des schémas de pensée passéistes : agriculture faisant la part belle à la monoculture sans résilience urbaine, peu de développement de nos espaces marins, une population avec beaucoup de potentiel que l’on ne valorise pas suffisamment car on s’appuie encore trop sur les diplômes... Cela dit, le changement de comportements est ce qu’il y a de plus difficile à installer, donc je ne veux surtout pas insinuer que la solution est facile ou que je ferais mieux ! Dans mon travail, nous explorons avec des entreprises des modèles économiques ayant un impact environnemental moindre, mais demandant à l’utilisateur de changer sa façon de consommer. Et on peut constater que c’est très difficile…

Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

La Réunion me manque souvent, mais j’aime aussi sentir que je suis au centre des enjeux socio-économiques. Bruxelles est une région avec une grande autonomie ; elle est aussi la capitale de la Belgique et de l’Europe. Pour me convaincre de revenir, il faudrait que le contexte économique et environnemental s’améliore, ce qui me permettrait de rentrer l’esprit serein. La Réunion porte un potentiel formidable en termes de différenciation économique vers une économie durable et circulaire, en termes de multiculturalité et de qualité de vie. Mais la transformation pour en tirer le plein bénéfice va être longue et complexe. J’espère que les Réunionnais vont s’en saisir rapidement et faire de l’île un pôle d’attractivité pour l’Europe comme pour l’océan indien.

Avec le recul, que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

La mobilité, que j’ai choisie, m’a permis de m’ouvrir aux réalités de peuples différents avec à chaque fois des cultures différentes, des enjeux différents, des façons de penser et de faire différentes. Cela m’a appris qu’il n’y a pas une vérité absolue, que ce que l’on considère comme essentiel ne l’est que selon un certain angle de vue. Le Népal m’a probablement le plus marqué en ce sens notamment parce que, professionnellement, je quittais un poste de consultant en stratégie d’innovation qui ne me satisfaisait pas pour venir « aider » des gens démunis au Népal. Mais ce sont eux qui m’ont aidé en me démontrant à quel point on peut être heureux avec peu, juste en pensant autrement.

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

L’avantage de venir de la Réunion c’est de savoir que l’on peut être très différent et vivre ensemble. J’adore la Réunion pour sa diversité. En même temps, j’ai un père malbar hindou et une mère créole blanche, cela amène à aimer la diversité ! L’inconvénient, c’est que l’on croit naturellement que la diversité est normale. Alors le racisme ordinaire auquel on est confronté en dehors de l’île nous frappe avec d’autant plus de violence…

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Ma famille en premier lieu. En second, le métissage de cultures, de religions, avec une intégration de chacun dans un grand tout réunionnais. J’ai été - et suis toujours en fait - choqué par l’absence de métissage réel ailleurs et par la différenciation forte entre ethnies en dehors de la Réunion… Alors qu’à la Réunion, sans « faire exprès » tu es toujours ami avec un chinois, un caf, un malbar, un zarab, un yab, etc. En métropole comme en Belgique, je me retrouve très (trop) régulièrement à être le seul non-blanc… Et ce qui me manque aussi c’est l’océan (la mer comme on dit en créole), son omniprésence dans le paysage réunionnais, son bruit continu, son odeur…

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Un kayamb, des photos, une bouteille de rhum « upcyclée » en bouteille d’eau… et surtout des pots de piments (confit et piment la pâte) dont j’accompagne toujours mes plats (mais avec plus de modération que quand je suis à la Réunion).

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Pour beaucoup de Belges, l’île de la Réunion est une destination de vacances paradisiaques. Une des premières questions que les gens me posent quand j’explique que je viens de la Réunion c’est : « mais pourquoi tu es parti ? ».


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