Benjamin Clément : renouer avec ses racines
Pour le créateur des Balades-Créatives, concept innovant de spectacle vivant mis en scène sur les sentiers réunionnais, tout s’est joué pendant ses études à Paris. « Le fait de partir m’a fait prendre conscience que je ne savais presque rien des richesses culturelles de mon île. Créer cette entreprise, c’est renouer avec mon identité réunionnaise, et les richesses liées à son patrimoine... ». Une interview "spécial retour".
Benjamin Clément fait partie des 11 Réunionnais primés aux derniers Talents de l’Outre-mer
Pouvez-vous vous présenter ?
Benjamin Clément, 32 ans. Je suis né au Port et j’ai grandi à La Possession. Après deux ans en classe préparatoire économie au lycée de Bellepierre, j’ai fait l’école de commerce ISC Paris. Pendant mes cinq ans d’études, j’ai eu la chance de faire un stage de quatre mois dans une entreprise évènementielle au Maroc. Juste après le diplôme, j’ai monté mon entreprise Balades-Créatives en 2015.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?
J’avais mon idée de création d’entreprise qui devait se développer sur La Réunion. J’ai beaucoup travaillé sur l’élaboration de mon business plan, et sur les personnes à contacter une fois rentré sur l’île, pour élargir mon réseau professionnel. A 24 ans, je me disais que c’était le moment où jamais, car j’avais encore la flamme et l’insolence de la jeunesse pour surmonter tous les obstacles liés à l’entrepreneuriat. Derrière les Balades-Créatives, se cachait un grand désir de réappropriation de mon identité réunionnaise, et de toutes les richesses liées à son patrimoine...
Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.
J’étais vraiment très heureux. Je me souviens encore du grand sourire de ma mère quand elle m’a vu arriver... J’avais vraiment l’impression que j’allais pouvoir reprendre les commandes de ma vie et créer ce que je voulais. J’avais une folle énergie, j’étais au bon endroit au bon moment.
Avez-vous eu des difficultés à vous réinstaller ?
Avant de lancer l’entreprise, j’ai voulu travailler quelques mois dans des petits jobs intérimaires afin de mettre de l’argent de côté. Mais aucune de mes candidatures n’a été acceptée alors que j’avais un Bac+5. Cela m’a conforté dans l’idée que je devais créer mon propre emploi. A mon sens, il n’y a pas d’avantage concurrentiel à être réunionnais expatrié de retour sur son île… Pendant que je recevais des réponses négatives à mes candidatures, des amis métropolitains n’avaient aucun souci à trouver un emploi, alors que j’avais fait plus d’études qu’eux... J’ai ressenti un déséquilibre sur le marché du travail.
Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?
Malgré ce déséquilibre sur le marché du travail, on rencontre plus de jeunes qu’avant qui prennent des risques pour entreprendre et poursuivre leur rêve. On sent que les Réunionnais débordent d’idées innovantes. Finalement, c’est peut-être ce déséquilibre qui nous pousse à nous affirmer en tant que réunionnais créatif. Créer son entreprise c’est partir d’une simple idée abstraite que l’on a en tête, puis travailler sur sa mise en place sur le marché et la partager au plus grand nombre. Le fait que cette idée puisse avoir une utilité sociale, et être source d’épanouissement personnel et professionnel, cela n’a pas de prix !
Quel est le concept des Balades-Créatives ?
Les Balades-Créatives proposent aux petits et grands de partir à la découverte du patrimoine culturel réunionnais par l’intermédiaire de spectacles-vivants sur des sentiers. Nos "balades-spectacles" sont mises en scène et animées par des artistes professionnels, sur des sentiers encore peu connus de l’île. Ce n’est pas une simple visite-guidée, ni un spectacle-vivant, mais bien les deux à la fois ! Les découvertes proposées sont authentiques et insolites. Nos « balades-spectacles » sont concoctées par des écrivains et metteurs en scène réunionnais, qui ont effectué un long travail de recherches et repérages sur les sentiers de l’île. Les informations collectées sont ensuite scénarisées et mises en scène par les artistes de la compagnie, afin de vous faire découvrir en poésie toute l’histoire, les légendes, la faune et la flore, ainsi que tout ce qui a trait à l’identité réunionnaise.
Je n’y serais pas arrivé si je n’étais pas aussi « insolent ». Et oui, tout le monde me disait que l’idée des balades-créatives ne marcherait jamais ! On me disait que faire des balades-spectacles entièrement en créole, les touristes ne comprendraient rien, qu’on ne gagne pas d’argent avec ça, c’est beaucoup trop casse-gueule, et puis resasser toutes ces vieilles histoires lourdes du passé, à quoi bon ? Plus on me déconseillait, plus mon insolence me disait : ah on se rapproche de quelque chose là, ça bouscule l’ordre établi, tant mieux !
Qu’est-ce qui a joué dans le succès des Balades-Créatives ?
Les personnes ressources sont facilement accessibles. J’ai pu rencontrer de grands artistes comme Danyel Waro, Patrice Treuthardt, Sully Andoche ou Jean-Luc Trulès afin de créer mes balades-spectacles. Dans une grande ville comme Paris, je n’aurais pas pu rencontrer de grands artistes aussi facilement. Par contre, rien n’est fait pour faciliter l’installation des réunionnais à leur retour, on doit se battre pour se faire sa place.
Aujourd’hui quels sont vos projets ?
Les Balades-Créatives ont soufflé leur 7ème bougie au mois de juin 2022 et je compte bien les développer. Je me suis lancé récemment dans l’écriture de mes spectacles, avec comme formateur Sully Andoche. Je me forme également pour être professeur de yoga.
Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?
La vie est beaucoup plus agréable à la Réunion qu’à Paris. La nature abondante nous apporte plus d’équilibre et nous maintient en bonne santé. L’environnement réunionnais, que ce soit sa nature, son histoire ou sa culture, nous inspire beaucoup pour créer de nouvelles choses.
Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?
La mobilité m’a apporté de nouvelles rencontres, je garde encore aujourd’hui des liens très forts avec des amis rencontrés dans l’école. Mais je pense que pousser tous les Réunionnais à partir systématiquement n’est pas une bonne chose. On nous met dans la tête qu’il faut absolument partir. Finalement, cette pensée est la continuité des politiques du BUMIDOM, avec aucune aide pour revenir, et la nécessité de se battre pour retrouver sa place sur l’île.
Malgré tout, le fait de partir m’a fait prendre conscience que je ne savais rien sur les richesses culturelles de mon île. J’ai pu prendre du recul et ainsi mesurer toutes les problématiques liées à la Réunion : le chômage chez les jeunes, l’histoire lourde qui garde encore des traces bien visibles dans la société d’aujourd’hui. Mais c’est aussi en partant que je me suis mis à écouter du maloya et lire le créole. Donc la mobilité fait prendre du recul, mais elle ne doit pas être une obligation ou une fatalité. On peut dire aux jeunes qu’il y a un avenir pour eux à la Réunion, qu’ils peuvent créer tout ce qu’ils rêvent de créer, qu’ils peuvent avoir un impact positif sur leur île... tout ça c’est possible !
Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?
Il faut se battre pour croire en ses rêves, le jeu en vaut vraiment la chandelle. On rentre sur l’île pour se rapprocher de soi, mieux se connaître. Ce voyage vers soi est jonché d’obstacles, qui nous détournent de nos objectifs. Mais dans ce voyage l’échec n’existe pas. Il n’y a que des obstacles à surmonter. Le résultat ensuite tient vraiment ses promesses : on est plus aligné avec sa personne, on se sent plus ancré, équilibré et fort. Par ailleurs, le cadre réunionnais nous aide à nous dépasser, et à cultiver nos rêves.
+ d’infos sur https://balades-creatives.com / www.facebook.com/baladescreatives /
Et si vous appreniez à voir ce qui ne se voit pas forcément sur les sentiers de l’île ? La Réunion dispose d’un patrimoine culturel immensément riche : Avec les balades-créatives, vous sortirez des sentiers battus et vous découvrirez quelques endroits extraordinaires de la Réunion, avec en prime toute la poésie de notre île.
Lire d’autres interviews "Spécial Retour à la Réunion"